À quelques jours de la première, Regard en Coulisse a pu assister en exclusivité aux répétitions de Siddhartha l’Opéra Rock au Palais des Sports.
« Jamais, je n’aurais pu imaginer qu’un arbre géant pousserait aussi vite au milieu du Palais de Sports ! » Devant le banyan géant, trônant sur la scène, le technicien lui-même écarquille les yeux et ne peut s’empêcher d’ironiser. Pourtant rodé aux multiples productions qui se succèdent régulièrement dans la grande salle parisienne, il ne se lasse pas d’observer ce nouveau venu aux dimensions hors du commun : douze mètres d’envergure sur huit mètres de haut ! L’arbre n’est évidemment pas sorti de terre. Avec ses deux tonnes, il est arrivé la veille par convoi spécial et il a fallu toute la nuit pour l’installer. Dans une semaine, il sera l’un des éléments majeurs de Siddhartha l’Opéra Rock. A quelques jours de la première, l’heure est aux répétitions, que Regard en Coulisse a pu vivre de l’intérieur en exclusivité.
Après quinze jours à Saint-Omer, la troupe a, en effet, pris ses quartiers sous le dôme parisien. Au programme ce jour-là : calages des lumières, balances et essais son pour tout le monde. Décontractée, la vingtaine de chanteurs se succède au micro, dans une ambiance détendue et bienveillante. L’esprit de Bouddha planerait-il sur les lieux ?
Au premier rang, Fred Juarez tend l’oreille et ne laisse rien passer. Le producteur musical a dirigé une dizaine de labels chez Universal, BMG ou EMI MUSIC. Il a côtoyé Tina Turner, Bécaud et Robbie Williams. C’est à lui que David Clément-Bayard (l’auteur-compositeur) a confié le soin d’organiser l’enregistrement de tous les titres. « Il y a chaque morceau, et il y a l’ensemble mis bout à bout. Il faut un équilibre, c’est l’une des missions les plus délicates : un équilibre global et un équilibre entre les sons. » Si les violons ont été enregistrés à Prague, tout le reste s’est fait à Paris, jusqu’au mixage final des morceaux.
Et des morceaux, il y en a beaucoup… 53 au total, majoritairement pop. « Siddhartha est entièrement chanté du début à la fin » rappelle INCA, « c’est l’une de ses particularités, il est musical de bout en bout. » Discrète, presque timide, la tête d’affiche du spectacle se métamorphose lorsqu’elle évoque le show : « Sur certains tableaux, 25 voix se mélangent. C’est superbe ! Le mot « Opéra Rock » n’est pas galvaudé. » Héros du spectacle, il reste sur scène les trois-quarts du show. Pourtant, loin de lui l’idée de s’en vanter. « Il faut juste prendre le rythme pour tenir physiquement. Mais nous sommes avant tout une troupe, une petite famille ! D’ailleurs, voilà papa ! » En fait de père, c’est de Sebastiao Saramago qu’il s’agit. Le chanteur arbore encore son sweat We Will Rock You, dans lequel il a récemment triomphé au Casino de Paris. Après La Petite Fille aux allumettes et Tom Sawyer au théâtre Mogador, le voilà Suddhodhana, père de Siddhartha. Un roi, homme de pouvoir et d’autorité. « Je n’ai que des rôles de méchant cette année » rigole-t-il !
Sebastiao Saramago est l’une des rares figures de la comédie musicale présentes dans la distribution. Un choix délibéré de la production, qui a souhaité faire appel en partie à des talents inconnus et nouveaux, venus de toute la France, aux parcours très différents… L’ancien représentant de la Belgique au concours Eurovision, Axel Hirsoux, côtoie Célia de la Fontaine, totalement néophyte dans le milieu. Plus loin, Cédric Chupin (Munkustrap, le narrateur, dans Cats à Mogador) blague avec Benoit Valliccioni. Révélé par Blanche-Neige et moi, l’ancien élève de l’AMDA de New York City (American Musical and Dramatic Academy), présentera en janvier 2020 aux Déchargeurs le spectacle qu’il a adapté avec Mattia Pastore : Faire semblant d’être normaux. Un duo qu’il a dévoilé à Avignon l’été dernier. « Passer d’un projet très intimiste à une grande fresque où nous partageons la scène à trente, c’est ça mon équilibre ! »
Tous sont en civil. « Les costumes sont encore bien rangés et impeccables, ça ne durera pas » ironise INCA devant les dizaines de cintres colorés. Tuniques, turbans, saris, s’alignent devant les loges. Toutes les étoffes ont été spécialement cousues à la main, dans un patchwork de couleur, de (fausses) pierres et de fil d’or. « J’ai tout respecté, en passant des heures à faire des recherches. Je me suis beaucoup inspiré des familles royales indiennes » précise Magda Hadnagy pas peu fière, « il ne fallait surtout pas basculer dans le ridicule, dans le kitsch ou le Bollywood… » Directrice artistique du cirque Phoenix, elle assure également la mise en scène et la scénographie de Siddhartha. « Pour traiter un tel thème, il faut être très, très vigilant. C’est l’histoire de Bouddha, ce n’est pas rien. Il faut être à la hauteur de l’histoire. » Voyage en Inde, recherches archéologiques, Magda Hadnagy n’a pas fait les choses à moitié. « Même pour les stucs ou les toiles des décors, les motifs et les couleurs sont rigoureusement fidèles. » Les toiles immenses, justement, ont été fixées à l’aube. Une demi-douzaine, figurant les différents univers de l’histoire. Elles mesurent près de vingt mètres de longs et sont rétro-éclairantes. Le résultat est magnifique.
Retour sur le plateau où les répétitions reprennent. Face à face, Mélissa Forton et Julien Arcuri entonnent « Peut-être ». Le chanteur est chambré par ses amis : « Julien, c’est le Daniel Levy de demain ! » Allusion à son physique bien sûr. À sa voix surtout. Comme celle du reste de la troupe, elle est puissante et monte aisément dans les aigus. Il faut dire que Julien Arcuri vient de l’opéra. Longtemps membre du chœur Opéra Junior à Montpellier, il a sillonné le monde avant de rejoindre le théâtre musical.
Un peu à l’écart, Sébastien Duchange observe tout ce petit monde en silence. Du haut de ses 39 ans, avec sa barbe et son regard sombre, il fait presque figure de sage au milieu des jeunes artistes. Cela tombe bien, puisque c’est son rôle dans le spectacle. Baryton Martin, l’homme est un peu chez lui au Palais de Sports, Gospel pour cent voix – dont il fut membre durant dix ans – s’y est produit à de nombreuses reprises. Calme et posé, Sébastien Duchange est incollable sur le monde de la comédie musicale et la palette des « genres ». D’Un Américain à Paris au Roi Soleil, en passant par Fame, il maîtrise les codes et porte sur Siddhartha un regard particulier. « C’est un honneur, en tant qu’interprète de servir le si beau message que celui du Bouddha. Nous offrons un spectacle qui a du sens. Où l’émotion et le spirituel sont volontairement présents. » Avant d’insister : « Il y a du sens sur le fond, et il y a du sens sur la forme. Chaque effet est justifié. Par exemple, les huit comédiens d’action (les cascadeurs, N.D.L.R.) vont servir le propos. Ce n’est pas du remplissage. » Et l’artiste de conclure : « J’espère que le public sera touché et « lotus sur le gâteau », que cela pourra participer à éveiller un cheminement spirituel, dans notre société qui en a bien besoin. » Quand il ne répète pas Siddhartha, Sébastien Duchange est Baloo dans Le Livre de la jungle aux Variétés. La sagesse sous toutes ses formes !
INCA balaie du regard la salle et ses 4 000 places. Dans quelques heures aura lieu la première…
Le chanteur médite. 2 500 ans après, le message du Bouddha n’a pas fini de porter ses fruits…