Tous à bord de The Band Wagon !

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The Band Wagon (Tous en scène) est à l'affiche des Musicales du Publicis le 9 juin prochain : l'occasion de se pencher sur quelques aspects de ce film musical sorti en 1953 et aujourd'hui considéré comme un chef-d'œuvre.

THE BAND WAGON (TOUS EN SCÈNE)

L’in­trigue
Tony Hunter (Fred Astaire) est une star vieil­lis­sante de la comédie musi­cale. Il espère que le pro­jet que des amis lui pro­posent à Broad­way va relancer sa car­rière. Mais, ce qui était à l’o­rig­ine une pièce légère et diver­tis­sante se trans­forme, sous la direc­tion du met­teur en scène Jef­frey Cor­do­va (Jack Buchanan), en une pré­ten­tieuse relec­ture du mythe de Faust. L’ar­rivée dans la dis­tri­b­u­tion d’une jeune danseuse clas­sique, Gabrielle Ger­ard (Cyd Charisse), enven­ime un peu plus la situation…

Un clas­sique de l’âge d’or
Le film fut une décep­tion au box-office à sa sor­tie en 1953. Pour­tant, avec An Amer­i­can in Paris (1951, déjà Vin­cente Min­nel­li à la réal­i­sa­tion) et Sin­gin’ in the Rain (1952), il est aujour­d’hui con­sid­éré comme l’un des chefs-d’œu­vre tardifs de la Freed Unit, un organe de pro­duc­tion au sein de la MGM créé au début des années 1940 qui est à l’o­rig­ine de nom­breux suc­cès musi­caux grâce notam­ment aux stars de son cat­a­logue (Gene Kel­ly, Judy Gar­land, Vin­cente Minnelli).

Le show avant le film
Avant d’être un film hol­ly­woo­d­i­en, The Band Wag­on fut une revue à Broad­way qui tint l’af­fiche du New Ams­ter­dam The­atre de juin 1931 à jan­vi­er 1932. Fred Astaire et sa sœur Adele fai­saient par­tie des cinq artistes sur scène. Le scé­nario de la paire Bet­ty Com­den & Adolph Green (Sin­gin’ in the Rain, On the Town) pour le film de Vin­cente Min­nel­li n’a pas grand-chose à voir avec ce spec­ta­cle d’o­rig­ine. Howard Dietz et Arthur Schwartz ont com­posé paroles et musiques de la revue et du film. De la revue le film retient six numéros : « High and Low », « New Sun in the Sky », « I Love Louisa », « The Beg­gar’s Waltz », « Sweet Music » et « Danc­ing in the Dark 👇 ».

Une mise en abyme de Fred Astaire
Lorsque Tony, cette anci­enne gloire de Broad­way jouée par Fred Astaire, passe devant le New Ams­ter­dam The­atre, il se sou­vient : « J’y ai don­né un de mes plus grands suc­cès, qui est resté à l’af­fiche pen­dant un an et demi. » – allu­sion à la revue The Band Wag­on dans laque­lle Fred s’est illus­tré aux côtés de sa sœur de 1931 à 1932. Plus tard dans le film, Tony con­fesse qu’il est angois­sé par son âge et par la dif­férence de taille avec ses parte­naires… On croirait enten­dre Fred Astaire lui-même, 53 ans lors du tour­nage du film, qui fait équipe, pour la pre­mière fois, avec Cyd Charisse 👇. Ce zeste d’au­todéri­sion lui aura prob­a­ble­ment per­mis de s’at­tir­er la con­nivence de son fidèle pub­lic qui le suit sur grand écran depuis vingt ans.

Un film au pro­pos ambitieux et confus ?
Sans trop théoris­er sur le sujet, on pour­rait dire que le film oppose deux visions de l’enter­tain­ment, c’est-à-dire de la façon dont un spec­ta­cle est livré à un pub­lic pour le diver­tir, le cul­tiv­er, l’in­ter­roger, le faire réa­gir… Tony, le per­son­nage incar­né par Fred Astaire – et Astaire lui-même – représente plutôt une vieille école qui puise dans une forme d’a­muse­ment, de légèreté, tan­dis que Jef­frey, le per­son­nage du met­teur en scène joué par Jack Buchanan, croit en une grande réu­ni­fi­ca­tion des arts de la scène : « J’en ai assez de ces bar­rières arti­fi­cielles entre la comédie musi­cale et le théâtre dra­ma­tique. Selon moi, il n’y a aucune dif­férence entre les rythmes mag­iques des vers immor­tels de Bill Shake­speare et les rythmes mag­iques des pieds immor­tels de Bill Robin­son. »  Cette vision – un brin pom­peuse dans sa con­créti­sa­tion par Jef­frey, et donc moquée dans le film – con­duit le pro­jet à un échec pub­lic. Tony, à la demande de Jef­frey, reprend les rênes du spec­ta­cle en le recad­rant dans une veine plus spon­tanée, comme envis­agé par ses deux amis au début – avec, en ligne de mire, une réc­on­cil­i­a­tion des deux approches.

Cyd Charisse
The Band Wag­on est le pre­mier des deux longs-métrages dans lesquels Fred Astaire et Cyd Charisse sont parte­naires, l’autre sera Silk Stock­ings (La Belle de Moscou) en 1957. À l’in­star de ce qui se joue entre les per­son­nages du film, la comé­di­enne représente, en quelque sorte, une antithèse d’As­taire : elle a 31 ans, il en a 53 ; elle est une vir­tu­ose de la danse clas­sique, il a seule­ment de très bonnes bases et ce n’est pas sa tasse de thé ; elle est élancée – ah ! ses jambes ! – et exhibe une tonic­ité de bal­ler­ine, il trim­balle un gabar­it élé­gant mais frêle ; elle dégage une sen­su­al­ité nim­bée d’ex­o­tisme, il a un physique banal. Ces dif­férences sont évidem­ment à la source du scé­nario, et en font tout le piquant – cer­taines répliques cinglantes du per­son­nage joué par Charisse en dis­ent d’ailleurs long sur l’ob­so­les­cence du per­son­nage incar­né par Astaire – et con­stituent un sujet d’an­goisse pour Astaire et son per­son­nage. D’ailleurs il l’avoue lui-même : « Soyons bien clairs : je ne suis pas Nijin­sky, je ne suis pas Mar­lon Bran­do. » À l’écran, pour gom­mer la dif­férence de taille – « Ce n’est pas seule­ment sa danse, elle est trop grande pour moi, cette fille est une géante ! » –, Charisse ne met ses pointes que quand elle évolue seule ; quand ils dansent côte à côte, elle ne porte que des chaus­sures plates, sauf pour le bal­let final (« Girl Hunt »👇), où son per­son­nage impose qu’elle chausse des talons hauts, et on remar­que alors qu’As­taire porte tou­jours un chapeau.

©MGM

« Danc­ing in the Dark »
Ce numéro scelle le rap­proche­ment, la réc­on­cil­i­a­tion entre les per­son­nages joués par Astaire et Charisse. Après l’échange de sar­casmes lors de leur pre­mière ren­con­tre – qui dis­simule, en réal­ité, un manque de con­fi­ance en soi, cha­cun se sen­tant moins tal­entueux que l’autre –, Tony et Gaby – qua­tre let­tres, deux syl­labes, un y final – se trou­vent des points com­muns et finis­sent par danser ensem­ble dans Cen­tral Park. Tan­dis qu’ils marchent, les mou­ve­ments dan­sés font leur appari­tion, d’abord sans qu’au­cun con­tact n’ait lieu, puis de plus en plus pas­sion­né­ment. Le style est épuré, dans la veine préférée d’As­taire, tant au plan gestuel que dans la manière de met­tre en valeur les artistes dans le cadre – en oppo­si­tion avec le sur­jeu et la sur­charge scéno­graphique prônés par le per­son­nage de Jef­frey. La tonal­ité de ce pas de deux est roman­tique et, même si l’on a l’im­pres­sion, par les pos­tures, que c’est la femme qui cède en douceur à l’homme, Charisse est, tout le long du numéro, force de propo­si­tion, et il règne finale­ment une cer­taine égal­ité dans le jeu de domination/abandon.

©MGM

« Girl Hunt Ballet »
Ce numéro con­stitue le grand final du spec­ta­cle mon­té par les per­son­nages et l’a­pogée du film, la con­clu­sion qu’on attendait : la réc­on­cil­i­a­tion entre le style pop­u­laire défendu par Tony/Astaire et le diver­tisse­ment plus con­ceptuel représen­té par Jeffrey/Buchanan. Pour­tant, on reste cir­con­spect. En effet, au vu de sa longueur, de sa tonal­ité jazz et som­bre qui s’in­spire du film de gang­sters, des décors très présents et de son esthé­tique choré­graphique, signée Michael Kidd et éloignée de la légèreté prônée par Astaire – sauf peut-être lorsque Charisse appa­raît en blonde apeurée –, ce numéro sem­ble tir­er plutôt vers le côté pré­ten­tieux que com­bat le film. Serait-ce là une des expli­ca­tions de l’ac­cueil réservé que reçut le film à sa sor­tie en 1953 : les spec­ta­teurs pen­saient-ils retrou­ver « leur » Astaire léger et sautil­lant comme dans Top Hat dix-huit ans plus tôt, cepen­dant qu’on leur sert, en clô­ture du film, un pas­tiche dou­teux qui verse dans une moder­nité pas com­plète­ment assumée ? Les défenseurs de cette séquence y voient des sim­i­lar­ités avec les numéros con­clusifs de Sin­gin’ in the Rain et de An Amer­i­can in Paris – et puis bon… com­ment ne pas suc­comber à Cyd Charisse, irré­sistible de bout en bout ?

©MGM

« A Shine on Your Shoes »
Ce numéro provient d’une autre revue de Broad­way, Fly­ing Col­ors (1932). Il s’ag­it d’un moment un peu fou-fou qui se déroule dans l’u­nivers col­oré des jeux d’ar­cade. La choré­gra­phie puise dans le reg­istre des cla­que­ttes et des rythmes syn­copés. Et les paroles visent à chas­s­er la déprime. « Quand ton moral est aus­si bas que le fond d’un puits et que tu ne peux pas te sor­tir de cette humeur, fais quelque chose pour aller mieux et chang­er ton atti­tude : tire sur ta cra­vate, fais un pli à ton pan­talon ; mais si tu veux vrai­ment te sen­tir bien, fais briller tes chaus­sures. » Et voilà l’oc­ca­sion pour Tony/Astaire de met­tre en mou­ve­ment un cireur de chaus­sures. Dans le fait que ce dernier soit afro-améri­cain, on y voit un hom­mage d’As­taire aux danseurs noirs qui l’ont inspiré – Bill Robin­son en pre­mier lieu – et son envie de ren­dre vis­i­ble une pop­u­la­tion d’artistes vic­time de ségré­ga­tion à l’écran, mais notre regard actuel y décèle aus­si une forme de dom­i­na­tion blanche par la dif­férence de statut social et même par la choré­gra­phie qui place Astaire tou­jours au-dessus – c’est évi­dent lorsqu’il est assis sur la chaise et le cireur au niveau de ses chaus­sures, mais même plus tard, lorsque l’ac­tion s’est éloignée de la chaise, Astaire est debout et le cireur se retrou­ve car­ré­ment age­nouil­lé au sol…

©MGM

« That’s Entertainment »
Cette chan­son écrite spé­ciale­ment pour le film est dev­enue par la suite un clas­sique repris par de nom­breux artistes, notam­ment par Judy Gar­land en 1960. Dans The Band Wag­on, elle est d’abord chan­tée par Jack Buchanan avec Fred Astaire, Nanette Fab­ray et Oscar Lev­ant. Si la musique d’Arthur Schwartz est entraî­nante, ce sont surtout les paroles de Howard Dietz qui font mouche. Et on com­prend pourquoi la chan­son est devenu un hymne du show-biz, du spec­ta­cle, du diver­tisse­ment : « Tout ce qui arrive dans la vie peut arriv­er dans un spec­ta­cle. Tu peux les faire rire, tu peux les faire pleur­er… Le monde est une scène, la scène est un monde d’en­ter­tain­ment. » La reprise dans la dernière séquence par tous les artistes, y com­pris Cyd Charisse – dou­blée pour le chant par India Adams – qui vient de trans­met­tre la grat­i­tude et l’ad­mi­ra­tion de toute la troupe à Astaire – et lui déclar­er son amour –, mar­que la con­sécra­tion de ce dernier comme artiste et per­son­ne, et aus­si le rassem­ble­ment en grande pompe du monde du spec­ta­cle qui, en dépit de ses dif­férences, est uni pour diver­tir le public.


Pour pré­par­er cet arti­cle, je me suis référé, entre autres, à l’in­con­tourn­able Fred Astaire, le dandy dansant de Fan­ny Beuré et Jules Sandeau. D’autres élé­ments – pas­sion­nants – d’analyse du film, en par­ti­c­uli­er s’agis­sant des choré­gra­phies et de la per­son­nal­ité de l’ac­teur, vous y attendent.

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