Paul-Émile Fourny : une note de comédie musicale à l’Opéra de Metz

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Paul-Émile Fourny est directeur artistique de l'Opéra-Théâtre de Metz Métropole depuis maintenant plus de dix ans. Il nous partage ici sa passion pour la comédie musicale et comment inscrire ladite passion dans sa maison d'Opéra.

Par quel biais avez-vous décou­vert la comédie musicale ?
Je l’ai décou­verte par le biais de la télévi­sion. Lorsque j’étais ado, il y avait encore beau­coup de musi­cals des années 50–60 qui y étaient pro­posés ; en tout cas à la RTBF (la télévi­sion belge). Je me sou­viens de ces artistes qui com­po­saient tout ce ciné­ma améri­cain, avec des films plus ou moins bons d’ailleurs. Les scé­nar­ios n’étaient pas tou­jours géni­aux, mais le côté grandiose à l’américaine me fasci­nait beau­coup. Ce n’est pas du tout une décou­verte via une salle de spectacle.

À par­tir de quand en avez-vous vu sur scène ?
J’en ai vu sur scène assez peu finale­ment car ce n’est pas quelque chose qui s’est dévelop­pé énor­mé­ment en Bel­gique ou en France. Main­tenant on en fait, mais ce n’était pas courant avant. C’est plutôt du côté alle­mand qu’il y avait dans chaque ville un opéra, une salle de con­cert et une salle de spec­ta­cles dédiée à la comédie musicale.
Je me suis d’ailleurs sou­vent posé la ques­tion de pourquoi il y a eu cet essor en Alle­magne et pas dans les pays lim­itro­phes comme la France. Et j’ai une théorie toute per­son­nelle – que je n’ai pas véri­fiée : les Améri­cains, après la Sec­onde Guerre mon­di­ale sont restés très longtemps dans une Alle­magne qui, bien que la guerre soit finie, était gardée par les forces de l’OTAN. Il y avait donc énor­mé­ment de troupes améri­caines dans le pays en rai­son du rideau de fer. Je pense que les Améri­cains ont importé leur cul­ture en Alle­magne, là où il y avait des troupes, tout sim­ple­ment pour pou­voir con­tin­uer à assis­ter à ces spec­ta­cles-là. Puis cela s’est trans­for­mé, ces spec­ta­cles se sont ensuite don­nés en langue alle­mande. À Ham­bourg, j’ai vu Le Fan­tôme de l’Opéra ; il y a le Operetten­haus là-bas et j’y ai vu Cats et bien d’autres… alors même que chez nous cela ne pre­nait pas. Nous avions un autre prob­lème : la grande présence de l’opérette qui n’a pas fait son virage vers la comédie musicale.

Qu’est-ce qui vous a poussé à pro­gram­mer de la comédie musi­cale dans votre maison ?
Parce que j’adore ! La pre­mière comédie musi­cale que j’ai tra­vail­lée c’est My Fair Lady ; cela fait déjà une bonne dizaine d’années. On avait fait une co-pro­duc­tion avec plusieurs théâtres (les Opéras d’Avignon, de Massy, de Reims…) qui a fait l’objet d’une cap­ta­tion télévisée. Et j’ai été très éton­né : les jeunes con­nais­saient les airs de My Fair Lady et ils ressor­taient de la salle en chan­ton­nant. Alors je me suis dit que s’il y avait encore des jeunes d’une quin­zaine d’années qui con­nais­saient ce réper­toire c’est qu’il avait encore sa place !
De plus, j’ai la chance d’avoir la direc­tion artis­tique d’une mai­son qui a encore des ate­liers décors, des ate­liers cos­tumes… Et j’ai tou­jours dit que la comédie musi­cale comme l’opérette d’ailleurs ne peut pas sup­port­er le cheap – à moins d’être dans un reg­istre de la comédie musi­cale à con­cept ou quelque chose de plus intel­lectuel qui ne deman­derait donc pas autant de bud­get pour les cos­tumes, la scéno­gra­phie, etc. Cela veut donc dire que, quand on fait une comédie musi­cale, on dépense le même prix que ce que l’on dépenserait tech­nique­ment pour un opéra. Car sinon cela n’a pas de sens pour moi. Les gens ont besoin de rêver, ils vien­nent pour ça, et c’est d’ailleurs ce qu’ont bien com­pris Dis­ney ou Mogador !

Vous par­lez de l’aspect financier mais finale­ment, est-ce que c’est dif­férent de pro­duire un opéra et une comédie musicale ?
J’ai la chance d’avoir dans ma mai­son un chœur per­ma­nent et un bal­let qui ont encore l’habitude de tra­vailler ce genre de réper­toire. C’est quelque chose qui leur plaît et ils y pren­nent beau­coup de plaisir. C’est impor­tant car la danse en comédie musi­cale est indis­pens­able ! Dans l’opéra, c’est plus rare et bien sou­vent lorsqu’il y a des bal­lets, ils sont coupés. Moi je ne le fais pas. La comédie musi­cale fait par­tie des habi­tudes de pro­gram­ma­tion de notre mai­son. Indépen­dam­ment du côté artis­tique, c’est aus­si per­me­t­tre à des chanteurs et des acteurs de pou­voir s’exprimer alors que dans un opéra ils ne le pour­raient pas, car ils n’ont pas la tech­nique vocale appro­priée. Car une des grandes dif­férences avec l’opéra évidem­ment, c’est que quand on fait une comédie musi­cale à Metz, on sonorise !

Com­ment choi­sis­sez vous les œuvres de votre programmation ?
Cela dépend du type de réper­toire que l’on veut pro­pos­er à l’Orchestre nation­al de Metz Grand-Est qui tra­vaille avec nous.
La dernière comédie musi­cale qui a été don­née chez nous, c’est Titan­ic de Mau­ry Yeston pour les fêtes de fin d’année. La musique de Yeston est extrême­ment sym­phonique, c’est qua­si­ment une musique de film. On y retrou­ve d’ailleurs les com­posantes d’un orchestre sym­phonique. Donc, j’aurais ten­dance, quand on tra­vaille avec l’Orchestre nation­al, à tra­vailler ce genre de répertoire.
En revanche, si je prends Mel Brooks et son Franken­stein Junior que l’on reprend pour la troisième fois en avril 2025, là, on a un ensem­ble que l’on com­pose de musi­ciens spé­cial­isés car la musique est beau­coup plus jazzy. Donc on a recours à un ensem­ble d’une trentaine de musi­ciens qui sont plus spé­cial­isés dans ce type de musique là.
Je choi­sis mes œuvres par rap­port à la musique mais aus­si au livret; le plaisir de voir ces œuvres sur scène. Par exem­ple Titan­ic ! L’émission « 42e rue » sur France Musique nous a con­sacré une heure d’interview sur ce spec­ta­cle. Parce qu’à ma con­nais­sance il n’y avait eu que deux pro­duc­tions : une à l’Opéra roy­al de Wal­lonie-Liège en 2000, qui a été jouée à l’Opéra d’Avignon en 2001, et depuis ce spec­ta­cle n’a plus été mon­té ! Bon, il y a 54 rôles à dis­tribuer, il faut réus­sir à ren­dre l’image d’un bateau qui coule sur scène… mais cela mis à part je voulais absol­u­ment pou­voir pro­pos­er une nou­velle pro­duc­tion de ce spec­ta­cle là. Sachant que déjà le titre en lui-même – grâce au film de Cameron, mais aus­si de tout ce qui se dit sur ce drame mythique – est une grande promesse.
Et dans le livret de Titan­ic, bien sûr, il y a des choses romancées, mais il y a des per­son­nages qui ont vrai­ment existé, comme l’équipage ou cer­tains pas­sagers qui sont des noms con­nus. Les comé­di­ens étaient très émus de faire vivre cette his­toire et d’interpréter ces per­son­nages qui ont réelle­ment vécu ce drame et qui, quelles que soient leurs orig­ines, sont tous morts de la même manière : noyés dans un océan gelé.

On voit de plus en plus de maisons d’opéra pro­gram­mer de la comédie musi­cale. Est-ce que la cloi­son qui sépare ces deux gen­res est encore bien solide ou est-ce qu’une brèche s’installe ?
Pour moi : oui, la cloi­son est encore là. J’ai l’impression que cer­taines maisons d’opéra ne passeront pas le cap car elles esti­ment que c’est un art plus mineur que l’art lyrique. Aus­si, moi j’ai la chance d’avoir une pro­gram­ma­tion lyrique, de bal­let, et théâ­trale. Donc, en fait, c’est tou­jours ce qui m’a intéressé dans ma direc­tion à Metz : les trois dis­ci­plines sont défendues dans cette mai­son et on ne fait pas de dif­férence entre une opérette, un opéra, etc. en tout cas dans la qual­ité de ce que l’on y met et dans les efforts que l’on fournit.
Nous tra­vail­lons tous les styles, donc cela ne nous pose aucun prob­lème de pro­gram­mer de la comédie musi­cale. Je peux vous garan­tir que lorsque j’ai mis en scène Titan­ic, avec toutes les équipes qui étaient avec moi – parce qu’il faut une énorme équipe pour mon­ter ce genre de pro­jet – eh bien ! on y a apporté autant de soin à ce qu’on aurait apporté à Nabuc­co ou à La Travi­a­ta. Il faut que ce soit impec­ca­ble. Pour moi, cette forme d’art a tout à fait sa place dans une mai­son d’opéra et ce n’est pas un genre mineur !

Lorsque vous mon­tez une comédie musi­cale, com­ment recrutez-vous vos artistes ?
Je cherche d’abord dans le vivi­er des artistes de comédie musi­cale, mais par exem­ple dans Titan­ic, je ne trou­vais pas l’in­ter­prète pour le rôle d’Andrews, l’ingénieur naval qui a con­stru­it le Titan­ic. Comme cet homme a existé, on a des références, des pho­tos, il faut quelqu’un qui colle physique­ment aus­si. Donc, pour finir, c’est Jean-Michel Rich­er, un ténor lyrique cana­di­en, qui a rejoint la pro­duc­tion et qui s’est décou­vert une pas­sion pour ce genre. Ça ne lui fai­sait pas peur car venant d’outre-Atlantique, la comédie musi­cale est déjà dans sa cul­ture, mais il n’en avait jamais fait. Et pour nous, c’était gag­nant car, non seule­ment, physique­ment il col­lait au per­son­nage, mais c’est un très bon comé­di­en et il y a don­né de très belles émotions !
C’est pareil pour Léo­vanie Renaud qui est une sopra­no du monde lyrique et qui sera la fiancée de Franken­stein dans Franken­stein Junior. Et c’est vrai qu’elle est incroy­able dans ce rôle, très à l’aise. En France nous avons un prob­lème : les choses doivent tou­jours être cal­i­brées, cloi­son­nées. Moi je viens d’un petit pays où il est per­mis de tout faire. Le pan­el d’un met­teur en scène en Bel­gique com­mence, par exem­ple, au théâtre en pas­sant par l’opéra et même le ciné­ma. Mais je crois que la ten­dance est en train de chang­er en France et que l’éventail qui se met en place aujourd’hui est beau­coup plus large.

Et pourquoi choisir de présen­ter des comédies musi­cales en français alors que l’on n’adapte jamais l’opéra ?
Si nous étions dans une cap­i­tale, je me dirais que cela vaudrait la peine de jouer ce réper­toire dans sa ver­sion orig­i­nale. L’anglais est sans doute plus pra­tiqué à Paris qu’en province. L’autre rai­son, c’est que les comédies musi­cales sont sou­vent pro­gram­mées en fin d’année, pour le spec­ta­cle de Noël, et il est de tra­di­tion qu’il soit en français. Et je pense aus­si que, pour la com­préhen­sion, c’est quand même mieux car le sur­titrage à l’opéra nous oblige à relever la tête et on perd la moitié de ce qui se passe sur le plateau, donc ce n’est pas très gai pour les artistes. Je crois qu’à l’opéra, on est sur des airs, des his­toires et des livrets plus con­nus. Sauf peut-être les créa­tions évidem­ment. Et donc le pub­lic fait plus atten­tion au chant et à l’artiste, et a moins besoin de lever la tête con­stam­ment pour voir les suritres.

Quel musi­cal vous avez envie de mon­ter et quel est votre musi­cal préféré ?
Le Fan­tôme de l’Opéra. Je crois que c’est le rêve de beau­coup de met­teurs en scène. Je crois que l’on com­mence seule­ment à voir des pro­duc­tions dif­férentes de celle, éter­nelle, qui se jouait à New York. J’ai forte­ment appré­cié la pro­duc­tion fran­co-ital­i­enne présen­tée l’an­née dernière à Monte-Car­lo. La scène de l’Opéra de Monte-Car­lo n’est pas grande et il fal­lait quand même faire tous ces change­ments de décors (parce qu’il y en a beau­coup !) et j’ai trou­vé que c’était très sub­til, bien joué et très bien mon­té. Ils n’avaient rien changé à l’histoire, mais les décors n’étaient pas les décors habituels qui sont imposés par la pro­duc­tion améri­caine. La grande dif­fi­culté qui nous reste en France, c’est celle des droits d’auteurs qui sont encore très chers. Il faut avoir les reins solides pour pou­voir mon­ter une nou­velle pro­duc­tion du Fan­tôme de l’Opéra.

En par­lant de l’Amérique, com­ment cela se passe en tant que met­teur en scène avec les Américains ?
Moi j’ai revendiqué la lib­erté de mise en scène, mais il est tou­jours oblig­a­toire de men­tion­ner la pre­mière per­son­ne qui a mis en scène cet ouvrage sur les affich­es par exem­ple. Les Améri­cains sont très pointilleux là-dessus. Mais je n’ai eu aucune con­signe en dehors de cela. D’ailleurs Mel Brooks avait prévu de venir, mais il est quand même âgé main­tenant et l’on était à la péri­ode de l’épidémie de Covid. On lui a pro­posé de revenir à la reprise l’année prochaine, il a décliné : l’âge est l’âge. Il a plus de 90 ans main­tenant ! Nous n’avons eu aucune pres­sion. Vrai­ment, j’ai eu toute lib­erté à par­tir du moment où je respecte l’œuvre.

Pou­vez vous nous par­ler juste­ment de cette œuvre et de votre production ?
Comme tou­jours chez Mel Brooks, tout le monde en prend pour son grade ! On m’a dit que, par moments, c’était antifémin­iste, qu’il con­sid­érait très mal les femmes, mais en fait c’est faux ! On se moque de tout le monde, et en pre­mier du jeune doc­teur Franken­stein. Il ne faut pas aller voir ce spec­ta­cle en se dis­ant que l’on va assis­ter à une analyse de la société : c’est un pur diver­tisse­ment. J’ai pris cette année toutes les pré­cau­tions d’usage et vous ver­rez dans le pro­gramme de sai­son que j’ai mis une men­tion. Mel Brooks a l’humour juif améri­cain et c’est un humour qui égratigne tout le monde ! Il y a le même souci dans l’ouvrage Les Pro­duc­teurs. Ce sont des car­i­ca­tures, des scènes amu­santes. En même temps dans Franken­stein Junior, le final est quand même assez osé et après plusieurs scènes très cocass­es, tout finit plutôt bien ! Mel Brooks c’est ça. Et le Mel Brooks du ciné­ma, c’est exacte­ment la même chose. Si on ne veut pas voir ce genre de spec­ta­cle, il faut tout sim­ple­ment ne pas venir, mais il fera le plaisir de ceux qui ont envie de le décou­vrir, j’en suis certain !

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