Dans la peau de Don Quichotte

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© La Cor­don­ner­ieD’après Miguel de Cervantès
Adap­ta­tion, réal­i­sa­tion et mise en scène : Métilde Wey­er­gans et Samuel Hercule
Musique orig­i­nale : Tim­o­th­ée Jol­ly et Math­ieu Ogier
Avec : Métilde Wey­er­gans , Samuel Her­cule , Philippe Vin­cenot , Tim­o­th­ée Jol­ly , Math­ieu Ogi­er (dis­tri­b­u­tion en cours)
Pro­duc­tion: La Cordonnerie

Michel Alon­zo, la cinquan­taine, est bib­lio­thé­caire. À quelques mois de l’an 2000, ce pas­sion­né de lit­téra­ture est chargé de la mod­erni­sa­tion des cat­a­logues. Il numérise tous les textes pour créer une base de don­nées et est à deux doigts d’achev­er sa mis­sion. Mais en ce mois de décem­bre 1999, on annonce le grand bug, ou bogue, du pas­sage au troisième mil­lé­naire. Sont prévus des sit­u­a­tions apoc­a­lyp­tiques, des frac­tures dans le temps, un chaos uni­versel. De quoi s’inquiéter.

Et pata­tras! Michel Alon­zo, fonc­tion­naire de classe 2, se retrou­ve en armure aux côtés de San­cho Pança et Rossi­nante. Change­ment de per­spec­tive, change­ment d’at­mo­sphère et grand cham­barde­ment sur scène. Alors qu’im­porte que les moulins ne soient pas en Espagne mais en Picardie, seule compte la grandeur d’âme.

La Cor­don­ner­ie depuis près de vingt ans fait un tra­vail d’or­fèvre, mêlant ciné­ma, théâtre et musique. Ses spec­ta­cles sont des petits bijoux espiè­gles et pleins d’hu­mour qui s’at­tachent à faire redé­cou­vrir les grands mythes. Il y a eu Super-Ham­let, Blanche-Neige ou la chute du mur de Berlin, Hansel et Gre­tel. Mais ce nou­veau ciné-spec­ta­cle va encore plus loin et invite à nav­iguer entre réal­ité et imag­i­naire, au bord de la folie du Cheva­lier errant.

Notre avis :

Alors qu’ils avaient présen­té Hansel et Gre­tel sous les traits de deux per­son­nes âgées lors de la sai­son précé­dente, c’est à un autre mythe que les mem­bres de la Cor­don­ner­ie s’attaquent, celui de Don Qui­chotte. Et si le cheva­lier à la triste fig­ure vivait une autre vie au début du troisième mil­lé­naire ? Michel Alon­zo, un bib­lio­thé­caire quelque peu pris­on­nier de sa vie quo­ti­di­enne y échappe bien mal­gré lui au moment du sup­posé bogue de l’an 2000. Il se retrou­ve alors pro­jeté dans la peau de Don Qui­chotte, vivant des événe­ments invraisemblables.

Métilde Wey­er­gans et Samuel Her­cule indiquent en préam­bule qu’ils ont décou­vert par hasard cette his­toire dans un car­ton à l’occasion d’une bro­cante. Ce pro­jet artis­tique resté sans suite trou­ve avec eux une nou­velle vie (on notera que le Don Qui­chotte de Ter­ry Gilliam n’est pas le seul à voir enfin le jour actuelle­ment après avoir été aban­don­né pen­dant plusieurs années !). Cette his­toire revis­itée de Don Qui­chotte est entre de bonnes mains avec la Cor­don­ner­ie. Cette équipe livre un nou­veau ciné-spec­ta­cle mar­quant. C’est d’abord sous la forme d’un film que l’histoire est présen­tée avant de laiss­er place égale­ment à des comé­di­ens sur scène.

Les dou­blages et les bruitages assurés en direct sur scène par Métilde Wey­er­gans et Samuel Her­cule sont tou­jours aus­si pré­cis, incisifs et drôles. Le duo de musi­ciens for­mé par Tim­o­th­ée Jol­ly et Math­ieu Ogi­er n’est pas en reste. Les com­po­si­tions s’intègrent par­faite­ment dans l’histoire de ce Don Qui­chotte des années 2000. Plusieurs instru­ments trou­vent leur place, dont dif­férents claviers…y com­pris un clavier d’ordinateur !

Ceux qui ont util­isé les tech­nolo­gies d’il y a vingt ans apprécieront les clins d’œil à des out­ils phares de l’époque, de Win­dows 98 au CD-ROM en pas­sant par les graveurs. Le bib­lio­thé­caire soli­taire et dépassé par la tech­nolo­gie sem­ble en être vic­time en se retrou­vant dans la tête du héros de Cer­van­tès. Tout en restant drôle, le spec­ta­cle révèlera toute­fois d’autres failles du personnage.

On ne pour­ra con­clure sans saluer la presta­tion de Philippe Vin­cenot qui joue remar­quable­ment avec deux tem­péra­ments diamé­trale­ment opposés, tan­tôt dans la peau du bib­lio­thé­caire effacé tan­tôt dans celle du fougueux Don Quichotte.

Au début du spec­ta­cle, Métilde Wey­er­gans fait référence à la forme de pres­sion qui peut exis­ter à la fin de la créa­tion d’une œuvre en pen­sant à la suiv­ante. Nous com­patis­sons tout en sig­nalant que la prochaine œuvre de la Cor­don­ner­ie est bien enten­du atten­due avec impa­tience et gourmandise !