D’après Luchino Visconti, Nicola Badalucco et Enrico Medioli
Mise en scène Ivo van Hove
Réalisation Don Kent
Avec la troupe de la Comédie-Française
Co-production Comédie-Française — La Compagnie des Indes
Durée : 2h20
Résumé : Allemagne, 27 février 1933. La riche famille d’industriels von Essenbeck, propriétaire d’aciéries dans la Ruhr, est réunie pour fêter l’anniversaire du patriarche, le Baron Joachim, lorsque survient l’incendie du Reichstag. Alors qu’il s’était toujours refusé à collaborer avec les nazis, Joachim annonce sa volonté de rapprocher l’entreprise du nouveau pouvoir. Dès lors les dissensions s’exacerbent entre les protagonistes. Pris dans un engrenage infernal, ils sombrent dans la violence la plus crue, luttant à mort pour le pouvoir jusqu’à l’élimination de la quasi-totalité de la famille.
Notre avis : Voici donc la captation du spectacle choc qui électrisa Avignon avant d’intégrer la Comédie Française, puisque le metteur en scène belge, Ivo Von Hove, a adapté le scénario (et pas le film) de Visconti pour cette auguste maison, que l’on imagine avoir été un rien secouée par l’expérience.
Tout d’abord le Palais des Papes en Avignon, imposant, se révèle le lieu parfait pour que se déchaînent ces passions destructrices, celles de la famille von Essenbeck. La troupe, en nombre, vient tout d’abord sur le plateau vide, dans ce rectangle orangé qui accueillera toute la fureur de cette famille. Meurtre, viol, inceste, trahison et manipulation en tout genre pour parvenir au(x) pouvoir(s). Cela deviendra une constante, à la fin de chaque acte. La disposition scénique, avec ce qui s’apparente à des loges à jardin, des praticables côté cour (sur lequel, à plusieurs reprises, sont installées les musiciens), Ivo van Hove choisit de mêler performance audiovisuelle (les comédiens sont filmés en temps réel) et jeu théâtral. Un énorme écran central permet donc, d’une part, de voir des images d’archives inscrivant l’histoire dans son contexte historique : Allemagne 1933 après l’incendie du Reichstag, l’autodafé, Dachau et, d’autre part, de suivre l’évolution des acteurs, cadrés de manière très précise jusque… dans leur cercueil. En début de spectacle, l’incrustation de texte permet, comme pour un générique, de préciser qui est qui, de donner son nom et sa qualité à chaque personnage. Puis l’histoire prend véritablement corps. Cette captation propose donc une sorte de mise en abîme : le spectacle filmé, les images projetées dans le spectacle s’y intégrant. Une partition musicale, jouée tout d’abord par un seul instrument, puis par un ensemble de saxophones installe le spectacle dans un climat poisseux, idéal. De la musique, diégétique ou utilisée sous forme d’underscore, il y en aura beaucoup. La plupart du temps elle émane de ces musiciens, elle peut parfois être enregistrée. Elle participe véritablement de la réussite du spectacle. Une mise en scène sophistiquée, osée, cruelle, où les acteurs n’hésitent pas à se mettre à nu.
Contrairement au scénario de Visconti duquel cette adaptation découle, le metteur en scène ne propose pas une reconstitution respectueuse de l’époque dans les costumes, mais sait faire revivre, avec maestria, la pesanteur de cette époque troublée, de la montée du nazisme au sein de cette famille qui se déchire sur un rythme implacable, comme dans un drame antique. Il est possible de trouver un peu forcé, voire déplacé le final (qui défraya en partie la chronique, Martin tirant sur les spectateurs… Il eût presque été préférable, comme pour Cabaret, de tendre un miroir vers les spectateurs, chacun devant peut être s’interroger sur sa capacité à résister à quelque fanatisme que ce soit). Inutile d’utiliser cette image assez lourde pour prouver que cette histoire de totalitarisme lié à de vastes manipulations, fasse écho avec une situation présente, nous l’avions parfaitement compris. Si la troupe du Français ne démérite pas, jusque dans ses excès, il convient de saluer le travail des techniciens plateaux et des cadreurs, dont le rôle est essentiel dans ce type de création.