L’ombre de Stella (Critique)

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de Pierre Bar­il­let, mise en scène de Thier­ry Har­court, avec Denis d’Ar­can­ge­lo, cos­tumes : Michel Dus­sar­rat, lumière : Jacques Rou­vey­rol­lis, assisté de : Jes­si­ca Duc­los, son : Claudie Mar­tin, scéno­gra­phie : Mar­ius Strass­er, assis­tanat à la mise en scène : Stéphanie Froeliger, per­ruques et maquil­lage : Michèle Bernet

Début juil­let 44, tout foutait le camp. Pierre Bar­il­let, auteur de Fleur de Cac­tus et de L’Or et la Paille, abor­de les rôles d’une star sous l’Occupation, vue par sa secré­taire par­ti­c­ulière. Por­trait acidulé d’une femme déçue, partagée entre l’admiration et la haine. Elle tourne Typhon sur Macao, joue Phè­dre, passe ses nuits chez Maxim’s et dans les boîtes en vogue. Stel­la con­naît la gloire dans les années quar­ante, avec son caniche Whisky et ses com­pro­mis­sions. Avec sa suiv­ante, surtout ; une autre femme qui ne fréquente que l’ombre de la célébrité. Mylène, fille de concierge, con­damnée à la face cachée du soleil, aux humil­i­a­tions, crises de nerfs et caprices. Son amour, plus fort que tout, mais déçu, tra­verse des accès de rage.

Notre avis : C’est parce qu’on la paie 50 000 francs (sans compter les droits d’auteur) que celle qui vit dans l’ombre de Stel­la Mar­co en tant que secré­taire par­ti­c­ulière et désor­mais infir­mière accepte de tout révéler sur cette anci­enne vedette du ciné­ma et du théâtre, en s’attardant surtout sur le scan­dale qui l’éclaboussa à l’issue de la sec­onde guerre mon­di­ale. Nul besoin de rédi­ger, l’éditeur s’en charg­era : un enreg­istrement suf­fi­ra. Une biogra­phie à venir, donc, alors que Stel­la se refusa tou­jours à cet exer­ci­ce. Une trahison ?

Ces con­fes­sions ain­si motivées offrent un seule en scène à Josette, alias Mylène, qui con­te ses sou­venirs tru­cu­lents, vachards et émou­vants. Une femme au des­tin ambigu, aux sen­ti­ments com­plex­es pour celle qui la vam­pirisa. Des­tin brisé par l’exigence et l’égocentrisme de Stel­la, mais se soumet­tant et accep­tant, cette vie. Un duo où l’amour n’est jamais loin de la haine, entre Stel­la la star manip­u­la­trice et Mylène, pas dupe, qui encaisse, par­fois prof­ite, mais sait qu’elle passe, d’une cer­taine manière, à côté de sa pro­pre vie. Fille de concierge, remar­quée gamine lors d’un tour­nage auquel elle assis­tait, elle aurait, peut-être, pu devenir elle aus­si une vedette. Elle aurait sans doute pu vivre une belle his­toire d’amour. La ren­con­tre avec Stel­la lors d’un tour­nage avant guerre où elle dût lui admin­istr­er une gifle magis­trale, ori­en­ta dif­férem­ment les choses. Pour le pire et le meilleur du pire.

Pierre Bar­il­let, 93 print­emps, a sans doute puisé dans ses pro­pres sou­venirs pour bâtir cette his­toire. Il est en tout cas pos­si­ble de penser à divers­es stars dont le passé, con­nu, offre un ter­reau fer­tile. Le texte est inspiré, con­stru­it de manière à ménag­er ses effets. Mais sans incar­na­tion un texte ne serait qu’un vête­ment vide. Et là, une fois encore, Denis d’Arcangelo se révèle encore intense, vibrant et livre une presta­tion où brille l’excellence. Le trav­es­tisse­ment n’a aucune impor­tance, nous oublions le comé­di­en au prof­it de son incar­na­tion imposée avec tact et aplomb. Du grand art servi par une mise en scène sub­tile et elle aus­si inspirée de Thier­ry Har­court. Le des­tin de cette femme cap­tive l’attention de bout en bout grâce au tra­vail con­jugué de l’artiste, de son met­teur en scène et des tech­ni­ciens qui habil­lent ce spec­ta­cle. Un beau moment de théâtre qui se révèle par­ti­c­ulière­ment émouvant.