Par quel biais avez-vous découvert la comédie musicale ?
Je l’ai découverte par le biais de la télévision. Lorsque j’étais ado, il y avait encore beaucoup de musicals des années 50–60 qui y étaient proposés ; en tout cas à la RTBF (la télévision belge). Je me souviens de ces artistes qui composaient tout ce cinéma américain, avec des films plus ou moins bons d’ailleurs. Les scénarios n’étaient pas toujours géniaux, mais le côté grandiose à l’américaine me fascinait beaucoup. Ce n’est pas du tout une découverte via une salle de spectacle.
À partir de quand en avez-vous vu sur scène ?
J’en ai vu sur scène assez peu finalement car ce n’est pas quelque chose qui s’est développé énormément en Belgique ou en France. Maintenant on en fait, mais ce n’était pas courant avant. C’est plutôt du côté allemand qu’il y avait dans chaque ville un opéra, une salle de concert et une salle de spectacles dédiée à la comédie musicale.
Je me suis d’ailleurs souvent posé la question de pourquoi il y a eu cet essor en Allemagne et pas dans les pays limitrophes comme la France. Et j’ai une théorie toute personnelle – que je n’ai pas vérifiée : les Américains, après la Seconde Guerre mondiale sont restés très longtemps dans une Allemagne qui, bien que la guerre soit finie, était gardée par les forces de l’OTAN. Il y avait donc énormément de troupes américaines dans le pays en raison du rideau de fer. Je pense que les Américains ont importé leur culture en Allemagne, là où il y avait des troupes, tout simplement pour pouvoir continuer à assister à ces spectacles-là. Puis cela s’est transformé, ces spectacles se sont ensuite donnés en langue allemande. À Hambourg, j’ai vu Le Fantôme de l’Opéra ; il y a le Operettenhaus là-bas et j’y ai vu Cats et bien d’autres… alors même que chez nous cela ne prenait pas. Nous avions un autre problème : la grande présence de l’opérette qui n’a pas fait son virage vers la comédie musicale.
Qu’est-ce qui vous a poussé à programmer de la comédie musicale dans votre maison ?
Parce que j’adore ! La première comédie musicale que j’ai travaillée c’est My Fair Lady ; cela fait déjà une bonne dizaine d’années. On avait fait une co-production avec plusieurs théâtres (les Opéras d’Avignon, de Massy, de Reims…) qui a fait l’objet d’une captation télévisée. Et j’ai été très étonné : les jeunes connaissaient les airs de My Fair Lady et ils ressortaient de la salle en chantonnant. Alors je me suis dit que s’il y avait encore des jeunes d’une quinzaine d’années qui connaissaient ce répertoire c’est qu’il avait encore sa place !
De plus, j’ai la chance d’avoir la direction artistique d’une maison qui a encore des ateliers décors, des ateliers costumes… Et j’ai toujours dit que la comédie musicale comme l’opérette d’ailleurs ne peut pas supporter le cheap – à moins d’être dans un registre de la comédie musicale à concept ou quelque chose de plus intellectuel qui ne demanderait donc pas autant de budget pour les costumes, la scénographie, etc. Cela veut donc dire que, quand on fait une comédie musicale, on dépense le même prix que ce que l’on dépenserait techniquement pour un opéra. Car sinon cela n’a pas de sens pour moi. Les gens ont besoin de rêver, ils viennent pour ça, et c’est d’ailleurs ce qu’ont bien compris Disney ou Mogador !
Vous parlez de l’aspect financier mais finalement, est-ce que c’est différent de produire un opéra et une comédie musicale ?
J’ai la chance d’avoir dans ma maison un chœur permanent et un ballet qui ont encore l’habitude de travailler ce genre de répertoire. C’est quelque chose qui leur plaît et ils y prennent beaucoup de plaisir. C’est important car la danse en comédie musicale est indispensable ! Dans l’opéra, c’est plus rare et bien souvent lorsqu’il y a des ballets, ils sont coupés. Moi je ne le fais pas. La comédie musicale fait partie des habitudes de programmation de notre maison. Indépendamment du côté artistique, c’est aussi permettre à des chanteurs et des acteurs de pouvoir s’exprimer alors que dans un opéra ils ne le pourraient pas, car ils n’ont pas la technique vocale appropriée. Car une des grandes différences avec l’opéra évidemment, c’est que quand on fait une comédie musicale à Metz, on sonorise !
Comment choisissez vous les œuvres de votre programmation ?
Cela dépend du type de répertoire que l’on veut proposer à l’Orchestre national de Metz Grand-Est qui travaille avec nous.
La dernière comédie musicale qui a été donnée chez nous, c’est Titanic de Maury Yeston pour les fêtes de fin d’année. La musique de Yeston est extrêmement symphonique, c’est quasiment une musique de film. On y retrouve d’ailleurs les composantes d’un orchestre symphonique. Donc, j’aurais tendance, quand on travaille avec l’Orchestre national, à travailler ce genre de répertoire.
En revanche, si je prends Mel Brooks et son Frankenstein Junior que l’on reprend pour la troisième fois en avril 2025, là, on a un ensemble que l’on compose de musiciens spécialisés car la musique est beaucoup plus jazzy. Donc on a recours à un ensemble d’une trentaine de musiciens qui sont plus spécialisés dans ce type de musique là.
Je choisis mes œuvres par rapport à la musique mais aussi au livret; le plaisir de voir ces œuvres sur scène. Par exemple Titanic ! L’émission « 42e rue » sur France Musique nous a consacré une heure d’interview sur ce spectacle. Parce qu’à ma connaissance il n’y avait eu que deux productions : une à l’Opéra royal de Wallonie-Liège en 2000, qui a été jouée à l’Opéra d’Avignon en 2001, et depuis ce spectacle n’a plus été monté ! Bon, il y a 54 rôles à distribuer, il faut réussir à rendre l’image d’un bateau qui coule sur scène… mais cela mis à part je voulais absolument pouvoir proposer une nouvelle production de ce spectacle là. Sachant que déjà le titre en lui-même – grâce au film de Cameron, mais aussi de tout ce qui se dit sur ce drame mythique – est une grande promesse.
Et dans le livret de Titanic, bien sûr, il y a des choses romancées, mais il y a des personnages qui ont vraiment existé, comme l’équipage ou certains passagers qui sont des noms connus. Les comédiens étaient très émus de faire vivre cette histoire et d’interpréter ces personnages qui ont réellement vécu ce drame et qui, quelles que soient leurs origines, sont tous morts de la même manière : noyés dans un océan gelé.
On voit de plus en plus de maisons d’opéra programmer de la comédie musicale. Est-ce que la cloison qui sépare ces deux genres est encore bien solide ou est-ce qu’une brèche s’installe ?
Pour moi : oui, la cloison est encore là. J’ai l’impression que certaines maisons d’opéra ne passeront pas le cap car elles estiment que c’est un art plus mineur que l’art lyrique. Aussi, moi j’ai la chance d’avoir une programmation lyrique, de ballet, et théâtrale. Donc, en fait, c’est toujours ce qui m’a intéressé dans ma direction à Metz : les trois disciplines sont défendues dans cette maison et on ne fait pas de différence entre une opérette, un opéra, etc. en tout cas dans la qualité de ce que l’on y met et dans les efforts que l’on fournit.
Nous travaillons tous les styles, donc cela ne nous pose aucun problème de programmer de la comédie musicale. Je peux vous garantir que lorsque j’ai mis en scène Titanic, avec toutes les équipes qui étaient avec moi – parce qu’il faut une énorme équipe pour monter ce genre de projet – eh bien ! on y a apporté autant de soin à ce qu’on aurait apporté à Nabucco ou à La Traviata. Il faut que ce soit impeccable. Pour moi, cette forme d’art a tout à fait sa place dans une maison d’opéra et ce n’est pas un genre mineur !
Lorsque vous montez une comédie musicale, comment recrutez-vous vos artistes ?
Je cherche d’abord dans le vivier des artistes de comédie musicale, mais par exemple dans Titanic, je ne trouvais pas l’interprète pour le rôle d’Andrews, l’ingénieur naval qui a construit le Titanic. Comme cet homme a existé, on a des références, des photos, il faut quelqu’un qui colle physiquement aussi. Donc, pour finir, c’est Jean-Michel Richer, un ténor lyrique canadien, qui a rejoint la production et qui s’est découvert une passion pour ce genre. Ça ne lui faisait pas peur car venant d’outre-Atlantique, la comédie musicale est déjà dans sa culture, mais il n’en avait jamais fait. Et pour nous, c’était gagnant car, non seulement, physiquement il collait au personnage, mais c’est un très bon comédien et il y a donné de très belles émotions !
C’est pareil pour Léovanie Renaud qui est une soprano du monde lyrique et qui sera la fiancée de Frankenstein dans Frankenstein Junior. Et c’est vrai qu’elle est incroyable dans ce rôle, très à l’aise. En France nous avons un problème : les choses doivent toujours être calibrées, cloisonnées. Moi je viens d’un petit pays où il est permis de tout faire. Le panel d’un metteur en scène en Belgique commence, par exemple, au théâtre en passant par l’opéra et même le cinéma. Mais je crois que la tendance est en train de changer en France et que l’éventail qui se met en place aujourd’hui est beaucoup plus large.
Et pourquoi choisir de présenter des comédies musicales en français alors que l’on n’adapte jamais l’opéra ?
Si nous étions dans une capitale, je me dirais que cela vaudrait la peine de jouer ce répertoire dans sa version originale. L’anglais est sans doute plus pratiqué à Paris qu’en province. L’autre raison, c’est que les comédies musicales sont souvent programmées en fin d’année, pour le spectacle de Noël, et il est de tradition qu’il soit en français. Et je pense aussi que, pour la compréhension, c’est quand même mieux car le surtitrage à l’opéra nous oblige à relever la tête et on perd la moitié de ce qui se passe sur le plateau, donc ce n’est pas très gai pour les artistes. Je crois qu’à l’opéra, on est sur des airs, des histoires et des livrets plus connus. Sauf peut-être les créations évidemment. Et donc le public fait plus attention au chant et à l’artiste, et a moins besoin de lever la tête constamment pour voir les suritres.
Quel musical vous avez envie de monter et quel est votre musical préféré ?
Le Fantôme de l’Opéra. Je crois que c’est le rêve de beaucoup de metteurs en scène. Je crois que l’on commence seulement à voir des productions différentes de celle, éternelle, qui se jouait à New York. J’ai fortement apprécié la production franco-italienne présentée l’année dernière à Monte-Carlo. La scène de l’Opéra de Monte-Carlo n’est pas grande et il fallait quand même faire tous ces changements de décors (parce qu’il y en a beaucoup !) et j’ai trouvé que c’était très subtil, bien joué et très bien monté. Ils n’avaient rien changé à l’histoire, mais les décors n’étaient pas les décors habituels qui sont imposés par la production américaine. La grande difficulté qui nous reste en France, c’est celle des droits d’auteurs qui sont encore très chers. Il faut avoir les reins solides pour pouvoir monter une nouvelle production du Fantôme de l’Opéra.
En parlant de l’Amérique, comment cela se passe en tant que metteur en scène avec les Américains ?
Moi j’ai revendiqué la liberté de mise en scène, mais il est toujours obligatoire de mentionner la première personne qui a mis en scène cet ouvrage sur les affiches par exemple. Les Américains sont très pointilleux là-dessus. Mais je n’ai eu aucune consigne en dehors de cela. D’ailleurs Mel Brooks avait prévu de venir, mais il est quand même âgé maintenant et l’on était à la période de l’épidémie de Covid. On lui a proposé de revenir à la reprise l’année prochaine, il a décliné : l’âge est l’âge. Il a plus de 90 ans maintenant ! Nous n’avons eu aucune pression. Vraiment, j’ai eu toute liberté à partir du moment où je respecte l’œuvre.
Pouvez vous nous parler justement de cette œuvre et de votre production ?
Comme toujours chez Mel Brooks, tout le monde en prend pour son grade ! On m’a dit que, par moments, c’était antiféministe, qu’il considérait très mal les femmes, mais en fait c’est faux ! On se moque de tout le monde, et en premier du jeune docteur Frankenstein. Il ne faut pas aller voir ce spectacle en se disant que l’on va assister à une analyse de la société : c’est un pur divertissement. J’ai pris cette année toutes les précautions d’usage et vous verrez dans le programme de saison que j’ai mis une mention. Mel Brooks a l’humour juif américain et c’est un humour qui égratigne tout le monde ! Il y a le même souci dans l’ouvrage Les Producteurs. Ce sont des caricatures, des scènes amusantes. En même temps dans Frankenstein Junior, le final est quand même assez osé et après plusieurs scènes très cocasses, tout finit plutôt bien ! Mel Brooks c’est ça. Et le Mel Brooks du cinéma, c’est exactement la même chose. Si on ne veut pas voir ce genre de spectacle, il faut tout simplement ne pas venir, mais il fera le plaisir de ceux qui ont envie de le découvrir, j’en suis certain !