Rimbaud Verlaine (Critique)

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De et mis en scène par Stéphan Roche.
Scéno­gra­phie : Rodri­go Basil­i­cati Cardin.
Musique : Daniele Martini.
Avec Eric Jet­ner (Rim­baud), Stéphan Roche (Ver­laine), Mar­i­on Cador (Mathilde Mauté), Éléonore Beaulieu (la mère des poètes), Hen­ri de Vas­selot (le juge, Le Pel­leti­er), Pas­cale Moe Brud­er­er (La fée verte).
Choré­gra­phie : Pas­cale Moe Bruderer.

Rim­baud Ver­laine est une pièce de théâtre musi­cal rela­tant la vie des deux poètes et leur ren­con­tre, aus­si destruc­trice que mag­nifique. C’est le chemin de deux être hors normes, deux poètes intem­porels et incom­pris, qui se révèle à nous. Deux révoltés en quête de « lib­erté libre » pris dans les pièges de la pas­sion et d’un cal­cul du des­tin qui les fit se ren­con­tr­er, s’aimer et se déchir­er pour laiss­er der­rière eux une œuvre magis­trale, mod­erne, qui a trans­for­mé la pen­sée et le verbe de nos contemporains.
Notre avis:
Dans le monde de la comédie musi­cale, on peut générale­ment class­er les spec­ta­cles dans trois caté­gories : le théâtre musi­cal pur, les œuvres mythiques et les grands shows à la française. Rim­baud Ver­laine ne cor­re­spond à aucune d’entre elles… hélas. Il se situerait plutôt entre le théâtre ama­teur et le spec­ta­cle de fin d’année, à moins que ce ne soit tout bon­nement un pas­tiche des deux. Une chose est cer­taine : durant l’heure et demie que dure cette pièce, impos­si­ble de com­pren­dre ce que les artistes sont allés faire dans une telle galère. D’une pépite – la ren­con­tre et la pas­sion de deux des plus grands poètes de la lit­téra­ture française –, ils ont fait une pièce ennuyeuse, à l’intrigue plate, au livret pous­sif et à la musique arti­fi­cielle. Lorsque l’on béné­fi­cie de la grande salle du théâtre du Gym­nase, du sou­tien de Pierre Cardin et d’une his­toire aus­si pas­sion­nante, ce résul­tat est incompréhensible.
La « muse » qui accueille le pub­lic, d’où s’extraient, sans que l’on com­prenne pourquoi, tous les artistes en civ­il, aurait dû nous alert­er… Capée d’un improb­a­ble tulle vert luisant, telle une fée clo­chette venue tout droit de Dis­ney, elle ne fait que don­ner le ton de ce qui va suiv­re : une gen­tille his­toire nav­iguant entre l’eau de rose et l’absinthe sur fond d’images de synthèse.
Comme tétanisés d’incarner de tels grands hommes, Eric Jet­ner et Stéphan Roche réci­tent poli­ment mais pénible­ment leur texte, sem­blant presque s’excuser d’être là. Ni crédi­bles, ni con­va­in­cants, ils enchaî­nent de cour­tes scènes, sans cesse inter­rompues par des mono­logues ou des flash-back. Si les pre­miers ont le mérite de nous en appren­dre un peu plus sur la vie des héros, les sec­onds brouil­lent l’ensemble et s’attardent sur des anec­dotes inutiles. On guette des extraits d’œuvres, des instants sus­pendus, la plume des poètes mau­dits, des san­glots longs ou des rêves étranges et péné­trants… en vain.
Mais le pire n’est pas là : une demi-douzaine de chan­sons qua­si lunaires ponctuent le spec­ta­cle, sur une bande syn­thé­tique au son étouf­fé et l’on se sur­prend à regarder les sous-titres – pour­tant en anglais – pour com­pren­dre les paroles. La suite se passe de com­men­taires : le départ des héros pour Lon­dres est l’objet d’une choré­gra­phie avec para­pluies, car­i­cat­u­rale et décalée, avant un (trop long) procès de Ver­laine qui tourne à la farce, avec un grotesque exa­m­en anal du poète par deux infir­mières toutes guillerettes.
Alors que la pièce s’achève, comme elle avait com­mencé, sur une choré­gra­phie ultra-con­tem­po­raine, en décalage com­plet avec la dra­maturgie de l’histoire, la troupe se met à chanter a capel­la des vers du prince des poètes. C’est har­monieux et réus­si mais c’est trop tard, et l’on sort de la salle bien décidé à se rep­longer dans les poèmes éter­nels d’Arthur Rim­baud et de Paul Ver­laine que la soirée nous aura don­né envie de redé­cou­vrir. C’est tou­jours ça.