N.T. Binh, d’où vous vient ce goût pour la comédie musicale ?
Ça date de l’enfance, mes parents aimaient le cinéma et nous emmenaient, ma sœur et moi, voir des comédies musicales. Quand j’étais gamin, il y avait un cinéma avenue de l’Opéra, qui s’appelait le Studio universel, où ils passaient des dessins animés et des films de Fred Astaire des années 30. C’est là que j’ai découvert ce genre. La première comédie musicale qui m’ait transporté en tant que « spectateur conscient », c’était My Fair Lady. C’était en 1964–65, j’avais sept ans, je suis allé la voir plusieurs fois. J’avais le disque et je me rappelle de discussions à la maison sur le fait qu’Audrey Hepburn ne chantait pas avec sa voix, ensuite j’ai vu la VF avec une autre voix parlée et une autre voix chantée. Je m’intéressais déjà à l’aspect coulisses de la chose, c’est ce que l’on retrouve dans l’exposition.
Je dois dire aussi que mon parrain, Marcel Achard, était un grand auteur dramatique français et scénariste. Il a travaillé à Hollywood avec Ernst Lubitsch sur la version française de La Veuve joyeuse. Il a aussi réalisé un biopic d’Offenbach, La Valse de Paris. Il écrivait aussi des opérettes pour le Châtelet. Et enfant, j’assistais à tout ça dans les coulisses : les acteurs qui se maquillent, les répétitions… Au départ, j’étais plus attiré par le théâtre mais à partir du collège, petit à petit, le cinéma a pris la place du théâtre.
Je me suis formé de façon autodidacte, avec le ciné club du lycée. Puis, la comédie musicale a pris de l’importance quand je suis devenu critique de cinéma. Très vite, j’ai eu envie d’écrire sur les comédies musicales et je me souviens que le deuxième article que j’ai écrit dans Positif, quand j’y suis entré à vingt ans, c’était la critique d’un film rare qui venait de ressortir, Yolanda et le voleur de Minnelli, un de ses échecs commerciaux, un film atypique pour l’époque. Écrire sur le musical, réfléchir à la forme et au contenu des films musicaux a nourri et enrichi mon goût pour le genre
Comment est née l’idée de cette exposition ?
L’idée est née d’une précédente exposition que j’ai faite à la Philharmonie (qui à l’époque s’appelait la Cité de la musique), « Musique et Cinéma », sur la musique de films, il y a cinq ans. A la fin de cette exposition, qui a été un grand succès, on m’a demandé si j’avais un autre projet, je leur ai répond que je n’en voyais qu’un : une expo sur la comédie musicale et là, en plus, je suis spécialiste. Je leur ai rendu un dossier qui est resté dans un tiroir quelque temps, jusqu’à ce que Marie-Pauline Martin, la directrice du musée de la Musique, m’appelle, il y a deux ans, pour me dire que parmi tous les projets qui étaient en discussion, il y avait le mien et qu’elle adorait la comédie musicale. Elle prévoyait ça pour 2019 ou 2020, puis elle me rappelle deux mois plus tard pour me dire qu’une exposition était retardée donc qu’elle voulait avancer la mienne à 2018. J’ai dit non, je ne voyais pas comment j’aurais eu le temps… mais c’est impossible de résister à une telle proposition et finalement, j’ai dit oui et je me suis embarqué dans deux ans de travail intensif et de plus en plus démentiel.
Qu’est-ce qui vous a le plus excité dans la préparation de cette exposition ?
Tout ! Ce qui était excitant, c’était de tout concevoir en même temps et de pouvoir tester. C’est comme si un scénariste écrivait en ayant tout le temps à côté de lui le réalisateur — en l’occurrence le directeur artistique et scénographe Pierre Giner — pour discuter des plans et des mouvements de caméra.
Comme pour « Musique et Cinéma », je ne voulais pas faire un parcours historique qui commence par les années 20 et se finisse par La La Land. Pour la comédie musicale, je trouvais ça particulièrement adapté de parler de la fabrication, du making of, de tout ce que les gens ne voient pas, même si énormément de comédies musicales racontent… la création d’une comédie musicale ! Ce n’était pas complètement idiot d’avoir cette approche là, dans un genre qui cultive la mise en abyme, l’auto-réflexivité. C’est un usage narratif de la comédie musicale de parler d’elle-même. Même dans les comédies musicales dites « à livret », il y a un moment de représentation. Par exemple, dans West Side Story, il y a une scène de bal. C’est très rare qu’il n’y ait pas au moins un moment où les personnages chantent ou dansent devant un public, même restreint.
Cette approche nous permettait de parler de casting, de contraintes techniques, de la bande son, de l’écriture musicale, du fait qu’il y ait des choses pré-enregistrées, d’autres enregistrées sur le plateau ou post-synchronisées…
Pensez-vous que la comédie musicale revient à la mode ?
Il y a le fait que la comédie musicale, depuis qu’elle est née en tant que genre cinématographique, a toujours eu des cycles, des gros succès suivis de déclins. Dès 1930, il y a eu une crise de la comédie musicale. Puis, il y a eu un renouvellement avec des gens comme Mamoulian, Busby Berkeley, Fred Astaire, qui ont permis de relancer le genre. Quand il y a eu des innovations techniques tel que le Technicolor, la comédie musicale a été utilisée comme une vitrine, idem pour l’écran large ou le son stéréophonique… A chaque fois, il y a eu des périodes où le public avait besoin de rêve… suivies de périodes de désaffection : renouvellement des genres musicaux, apparition du rock, de la télévision… Tout ça a contribué à faire muter le genre : gros déclin à la fin des années 50, sursaut dans les années 60, puis nouveau déclin. Le rock apparaît : changement de goût du public. Apparition d’auteurs cinéphiles qui veulent tous réaliser des comédies musicales. Dans les années 70 à 90, il y avait très peu de comédies musicales produites mais à chaque fois qu’un metteur en scène voulait faire un caprice, il faisait une comédie musicale : Scorsese avec New York, New York, Coppola avec Coup de coeur… Produire des comédies musicales en masse, c’est compliqué. Il faut la structure d’un studio. Sinon, c’est du coup par coup. Si les équipes sont payées à l’année, ont des contrats, le système va être alimenté mais ce n’est pas le cas. Pour La La Land, ils ont été obligés de transformer des entrepôts déserts en studios où les décors étaient construits, les costumes réalisés et les chorégraphies répétées. Si vous ne faites ça qu’une fois, ça coûte beaucoup plus cher que si vous êtes une méga-entreprise qui fait ça à l’année. Donc, c’est une des raisons pour laquelle on n’en fait plus à grande échelle.
Alors, on dit que ça revient, il y a quelques films qui sont mis en production : La La Land, A Star Is Born, Bohemian Rhapsody, Mary Poppins Returns… Si ce sont des énormes succès, il y en aura quinze qui seront mis en production mais ce ne sera jamais comme des blockbusters de super-héros où vous avez une franchise qui vous permet de renouveler sans cesse. Même s’il y a des schémas qui se retrouvent, toutes les comédies musicales sont des prototypes.
Pour conclure, par rapport au futur de la comédie musicale, vous pensez qu’on est dans un bon cycle ?
Je pense qu’un verrou a sauté, notamment en France. Il y avait un blocage sur la comédie musicale. En France, ça n’a jamais été un genre populaire à quelques exceptions près. Or maintenant, je pense que la musique fait beaucoup plus partie de la vie des jeunes qu’avant. Finalement, ça les choque moins que la musique soit partout, car ils baignent dedans en permanence. Les enfants veulent faire des comédies musicales pour leur spectacle de fin d’année, il y a des écoles, des cours dans les conservatoires… Ils se sont aperçus que la comédie musicale n’était pas qu’un genre dépassé mais un genre qui était sans cesse en train de synthétiser toutes les formes (musicales, chorégraphiques) du présent et du passé. Il y aussi des producteurs de théâtre comme Jean-Luc Choplin au Châtelet qui a voulu légitimiser la comédie musicale, produite avec des moyens dignes d’un opéra, en anglais et parallèlement à ça, il y a des grandes comédies musicales populaires traduites en français qui marchent très bien, comme Grease, par exemple. Il y le public « savant » et le public populaire qui se rejoignent dans une redécouverte de ce genre au théâtre. Quand on a derrière le succès planétaire de La La Land, ça fait une conjonction de choses. C’est peut-être le bon moment pour que l’engouement change les mentalités vis à vis de ce genre. J’espère… Je pense que c’est en train de changer !
Comédies musicales, la joie de vivre du cinéma – jusqu’au 27 janvier 2019 :
du mardi au jeudi : 12h – 18h
vendredi : 12h – 20h
samedi et dimanche : 10h – 20h
Pendant les vacances scolaires de Noël (du samedi 22 décembre 2018 au dimanche 6 janvier 2019) : ouverture à 10h.
Les visites guidées ont lieu les samedis, dimanches, et tous les jours pendant les vacances scolaires.
Philharmonie de Paris. Métro Porte de Pantin.