Si je vous dis comédie musicale ?
Je vous réponds : Trois places pour le 26 ! En effet, ce dernier film de Jacques Demy est le premier sur lequel j’ai travaillé. Par ailleurs, j’ai toujours regardé beaucoup de comédies musicales ; c’est un monde qui m’enchante et j’aime bien au cinéma voir des choses qui me « décalent » et ce genre est idéal, il apporte un décalage joyeux au récit. J’aime cette mise en musique des paroles, souvent très travaillées, qui font avancer le récit. En prime, j’aime bien chanter. En revanche, je n’ai jamais vu de comédie musicale sur scène. Je crois que j’aime la distance qu’offre le cinéma, qui fait souvent oublier tout le travail intense qu’exige ce genre.
Comment le travail a‑t-il évolué ?
Dans les comédies musicales actuelles, en tout cas pour les trois pour lesquelles j’ai travaillé, je constate une vraie envie de se débarrasser du sempiternel playback qui rend la chanson trop séparée du jeu. Et comme les techniciens français sont très forts en son direct, il y a un vrai travail pour le privilégier au détriment d’un playback. L’évolution des techniques permet ce travail. Pour Tralala, Olivier Mauzevin, l’ingénieur du son, était tout d’abord réticent, mais il s’est lancé et a œuvré pour obtenir un excellent son direct du chant des acteurs. Sur le plateau, des essais ont été faits avec chaque actrice et chaque acteur. Il a fallu jouer avec des appréhensions, rassurer, pour libérer cette créativité nouvelle. Contrairement aux États-Unis, les acteurs ne sont pas formés à chanter, danser. Cela leur est moins naturel. Mais ils se sont lancés. Le travail du preneur de son, formidable, n’a pas été vain ! En effet, dans ce film c’est véritablement le son direct qui a été privilégié. Cela a eu pour conséquence de libérer les actrices et acteurs qui ont pu véritablement jouer leur chanson.
Vous avez donc innové ?
C’est un bien grand mot. Disons que nous défrichons un peu le terrain, c’est très stimulant. Toute l’équipe du son a fait un travail bluffant. Renaud Létang, en charge de la direction musicale, a fait de la dentelle, mêlant habilement son direct et quelques éléments de playback. Le traitement de la voix chantée diffère totalement entre un album, où elle est souvent très réverbérée, et un film. L’approche est toute autre.
La prestation de Mélanie Thierry est très émouvante.
Mélanie chante très bien, mais elle avait très peur et avait beaucoup travaillé son playback. Elle était rassurée de l’avoir, mais elle s’est lancée en son direct ; le résultat est formidable puisque c’est ce direct qui a été gardé en quasi-intégralité. Ensuite, c’est un travail de fourmi pour que l’oreille ne se rende pas compte quand on passe du direct au playback : on y entre et on en sort naturellement. Nous étions très vigilants, avec Renaud Létang, quant à la justesse et au rythme. Je me dis que si Jacques Demy était encore parmi nous, il serait absolument émerveillé. Toutes ces évolutions techniques auraient sans doute changé sa manière de faire de la comédie musicale.
Cette technique s’est-elle appliquée au film de Michel Leclerc ?
Le film de Michel Leclerc aborde les choses un peu différemment, ce qui était intéressant pour moi. Vous ne trouverez aucune scène chantée/dansée – son scénario ne le nécessitait pas. L’intrigue dresse le portrait d’une chanteuse et d’une jeune femme qui rêve d’épouser ce métier. L’histoire est celle d’une transmission.
Et concernant les chorégraphies ?
Le film de Noémie Lvovsky est très audacieux et ambitieux puisqu’il contient de vrais morceaux de comédies musicales chorégraphiés et chantés. Cela a nécessité de nombreuses répétitions et une logistique importante sur le plateau puisque, là encore, le son direct était privilégié. Le preneur de son, Jean-Pierre Duret, a lui aussi fait un travail extraordinaire. Lors du tournage de ces scènes, les musiciens, chorégraphes étaient là. Pour évoquer la musique, c’est le groupe Feu ! Chaterton qui a composé l’intégralité des chansons. Le récit se déroule durant les années 20, vous serez surpris ! Sur Tralala, chaque personnage a son compositeur, le défi était donc autre. Les frères Larrieu ont donné des paroles aux compositeurs, libres à eux de les adapter pour en faire des chansons. Quant à l’approche chorégraphique, elle est ici autre, plus simple d’une certaine manière. Les frères Larrieu auraient sans doute aimé avoir plus de temps et de budget pour ce poste. Mathilde Monnier, la chorégraphe du film, a eu cette intelligence d’adapter la danse – le film en comporte peu – au chant. C’est très réussi.
Aborde-t-on le montage d’un film musical différemment ?
L’approche n’est pas foncièrement différente puisqu’il s’agit toujours de structurer le récit, il est toutefois plus cadré dans une comédie musicale avec les chansons. En effet, dans le cas d’un film dialogué, il est toujours possible d’enlever un mot par-ci, un soupir par-là pour rendre une scène plus tonique par exemple. Ce n’est pas possible dans une chanson, en tout cas bien plus complexe. Si elle n’est pas bien ficelée, cela peut être compliqué. Mais un énorme travail préparatoire en amont est indispensable. C’était bien entendu le cas dans les films de Jacques Demy. Ce qui est très agréable, surtout en période de pandémie, c’est que tous les matins je pars avec les chansons en tête, il m’arrive aussi de chanter dans la salle de montage ! Cela amène un vrai plaisir, ce qui n’enlève en rien à l’exigence que nous nous devons d’avoir dans le travail.