Inspiré du classique de Gaston Leroux, The Phantom of the Opera conte l’histoire d’un personnage défiguré et masqué qui se cache dans les catacombes de l’Opéra de Paris, exerçant un règne de terreur sur tous ceux qui fréquentent l’établissement. Il tombe éperdument amoureux d’une jeune soprano, Christine, et se consacre alors à l’éclosion de cette nouvelle star en cultivant ses talents extraordinaires et en employant toutes les méthodes sournoises à sa disposition.
The Phantom of the Opera (POTO pour les habitués) est, bien sûr, l’une des œuvres les plus connues du compositeur anglais Andrew Lloyd Webber, à qui l’on doit de nombreux « megamusicals » comme Evita (1976), Cats (1981) ou encore Sunset Boulevard (1993). C’est en 1986 qu’a lieu la première du Phantom au Her Majesty’s Theatre, à Londres. Deux ans plus tard, fort de son succès, la pièce gagne l’Amérique. Elle fait son Broadway debut le 26 janvier 1988 au Majestic Theatre, et ne l’a pas quitté depuis lors ! À peine arrivée de l’autre côté de l’Atlantique, l’œuvre charme et remporte sept Tony Awards, notamment celui du meilleur musical.
Le Phantom a donc élu domicile sur la 44e rue il y a trente-quatre ans. Il est devenu le spectacle le plus joué de l’histoire de Broadway lorsque, le 9 janvier 2006, il détrônait Cats et ses 7 485 représentations. Depuis ce jour, aucun spectacle n’a osé lui faire de l’ombre et chacune des nouvelles représentations rend son record de plus en plus inégalable – plus de 13 500 selon Internet Broadway Database.
Après plus de trois décennies de représentations, à raison de huit par semaine, le spectacle est, évidemment, extrêmement bien rodé, et la fréquentation du public ne semble pas s’essouffler : chaque soir, la jauge du théâtre est atteinte, que ce soit grâce aux touristes de passage à New York ou aux fans habitués – notre voisine, qui emmenait ses enfants pour la première fois découvrir ce classique, l’avait, elle, déjà vu seize fois ! Il est vrai que le Phantom regorge d’inventivité pour continuer d’attirer le public et le captiver. Un des moyens a été d’agrémenter la distribution en invitant une star à participer à une représentation, comme ce fut le cas avec Sierra Boggess, qui avait incarné le rôle de Christine aussi bien lors du concert du 25e anniversaire de la naissance du Phantom au Royal Albert Hall que lors du 25e anniversaire de la production à Broadway en janvier 2013.
Après dix-neuf mois de fermeture du fait de la crise sanitaire, c’est encore une fois sa distribution qui permet au Phantom de faire les gros titres des journaux et de rentrer à nouveau dans l’histoire. À la réouverture en octobre 2021, Emilie Kouatchou rejoint le cast en tant qu’alternate pour le rôle de Christine – c’est-à-dire qu’elle joue deux ou trois fois par semaine tandis que l’actrice principale joue les cinq ou six autres représentations. Elle devient ainsi la première actrice noire à jouer ce personnage à Broadway. Et, le 26 janvier 2022, le soir du 34e anniversaire de la production new-yorkaise, elle franchissait une étape supplémentaire en passant « principale ».
Elle marche ainsi sur les traces de la principale de la production du West End, Lucy St Louis, devenue la première actrice noire à jouer le rôle de Christine, lors de la réouverture du spectacle à Londres à l’été 2021.
Emilie Kouatchou raconte dans une interview pour Broadway.com que Phantom est le premier musical qu’elle a vu et c’est cette œuvre qui lui a donné envie d’exercer sa profession. Elle témoigne aussi de l’importance de la visibilité sur la scène de Broadway et de la fierté qu’elle ressent d’inspirer de nombreuses jeunes filles à suivre leurs rêves, quelle que soit leur couleur de peau.
Seth Sklar-Heyn, le responsable de production du Phantom à Broadway, explique que la pandémie et les luttes pour la justice raciale – notamment la résurgence du mouvement Black Lives Matter (BLM) à l’été 2020 – ont donné aux décideurs et aux créateurs, y compris le compositeur Andrew Lloyd Webber et le producteur Cameron Mackintosh, l’occasion de transformer les appels à la diversité et à l’inclusion en action. Une façon pour eux d’y participer était d’élargir la caractérisation du rôle de Christine.
Avec le soutien de Tara Rubin Casting, la production a donc publié en mai 2021, sur Instagram et d’autres réseaux sociaux, un open call – casting ouvert à tout le monde : artistes syndiqués ou non, avec ou sans agent – pour trouver une nouvelle Christine. Sur 4 000 vidéos reçues, après un long processus d’audition, le choix s’est porté sur Emilie Kouatchou.
« L’une des choses que nous avons décidé de faire dans les deux productions était d’élargir consciemment et intentionnellement notre approche du processus de casting », a déclaré Seth Sklar-Heyn dans le Chicago Sun Times. « Je me sens mal que cela nous ait pris autant de temps. À ce stade, j’accepte simplement le fait que nous en sommes capables, et j’ai hâte de continuer à développer consciemment la façon dont les gens voient la scène dans notre théâtre et qui ils y voient. »
Cette orientation est donc le reflet d’un Broadway qui évolue. Après le mouvement BLM, on a vu apparaître sur les scènes de Broadway de nombreuses pièces célébrant les auteurs, créateurs et artistes noirs, et leur culture. Un petit coup d’œil sur la saison 2021/2022 est très révélateur : Caroline, or Change, Chicken and Biscuits, Slave Play, Thoughts of a Colored Man, A Strange Loop, pour ne nommer que ceux-là.
Cela découle-t-il d’une prise de conscience des propriétaires de théâtres, des grands conglomérats, des producteurs et autres magnats du showbiz ? N’est-ce qu’un coup de marketing ou bien une démarche sincère ? Il n’en reste pas moins que c’est ainsi que les choses avancent ; lentement mais sûrement ! Espérons simplement que cette nouvelle dynamique saura s’inscrire sur le long terme et changer réellement la face très blanche du Great White Way.