Contrairement à d’autres films de divertissement qui cherchent à emmener le public loin, loin, loin de ses préoccupations, 42nd Street, sorti en 1933, intègre pleinement le contexte socio-économique de l’époque. On est en pleine Dépression et le scénario, inspiré du roman éponyme de Bradford Ropes paru l’année précédente, met en scène un directeur de théâtre célèbre mais ruiné par le krach de 1929, et des artistes de scène eux-mêmes en situation précaire, qui survivent dans un New York déprimé et qui s’éreintent au travail. Donc, même si le public reste bouche bée d’admiration devant les incroyables figures chorégraphiques de Busby Berkeley, on est à mille lieues de l’exotisme romancé de Flying Down to Rio (Carioca) qui sortira sur les écrans quelques mois plus tard, avec, en couple vedette, Fred Astaire et Ginger Rogers – rappelons par ailleurs que cette dernière tient un second rôle savoureux dans 42nd Street.
Les studios Warner n’ont jamais caché leur penchant pour les problématiques sociales et ont pris parti pour le démocrate Franklin Delano Roosevelt, encore gouverneur de l’État de New York pendant le tournage de 42nd Street et qui, quelques jours plus tard, en novembre 1932, allait être très confortablement élu président des États-Unis pour mettre en application son programme de redressement du pays, le New Deal.
C’est dans cette optique socio-réaliste que 42nd Street a fait date en devenant la référence historique du backstage musical, même si The Broadway Melody of 1929 a initié le genre quatre ans plus tôt. Le film ne se contente pas de montrer au public un joli spectacle, un produit fini ; il donne à voir, depuis les coulisses, le processus de production, de recrutement des artistes : les auditions, la concurrence, les rancœurs, les désillusions mais aussi l’entraide, l’épanouissement et le succès. L’idée est de montrer la pénibilité à la fois au travail et dans un contexte extraprofessionnel, mais aussi de valoriser l’effort pour s’en sortir. Les dialogues sont plus vrais que nature, l’humour grinçant, l’argot pittoresque, les reparties croustillantes, le ton souvent amer : le spectateur peut aisément s’identifier aux personnages. Des problématiques plus délicates font également partie du décor, comme le harcèlement sexuel et la promotion canapé – voire la prostitution ; on voit même dans la séquence finale une femme se faire poignarder par son amant…
Cet ancrage dans la réalité d’alors – qui ressemble à celle d’aujourd’hui ? – confère à 42nd Street une aura qui l’emporte sur ses imperfections et son grand âge – 90 ans cette année.