Comment est né le projet ?
Hervé : Mon rôle est de créer et d’exploiter les spectacles qui sont présentés au parc. Nous avons aujourd’hui cinq salles de spectacles qui proposent de la cascade, de la performance, de l’humour, du jeune public, et il nous manquait vraiment un registre musical. Évidemment, quand la demande de renouvellement du Théâtre Panoramix est arrivée, tout de suite je suis allé dans ce registre. Et, alors que je rédigeais l’appel d’offre pour un « simple spectacle musical », Delphine Pons (directrice générale du parc) me demande : « Comment peut-on aller plus loin dans le style musical ? » Je lui propose de partir sur une vraie comédie musicale, dans une version puriste du genre, qui n’est pas commune dans les parcs d’attractions. Nous démarchons donc quatre binômes d’auteurs/compositeurs en demandant une page de dialogues, un synopsis et une chanson. Les garçons (Ludo et Julien) vont plus loin et nous en proposent deux de chaque et, pour toute l’équipe, ça a été un vrai coup cœur et une évidence. Toute l’année 2022, ils ont écrit le livret en dialogue permanent avec les Éditions Albert René pour les ajustements de texte et de vocabulaire.
Ludo : Toute cette première année d’échanges était hyper excitante parce que, quand tu t’attaques à un patrimoine culturel pareil, tu as envie de mixer tous les codes de la comédie musicale à l’anglo-saxonne comme on les aime et, en même temps, de faire exister tout l’univers d’Astérix. Faire coexister les deux, c’était le gros défi pour que les gens aient l’impression d’avoir la BD sur scène. Et c’était intéressant de voir que tel mot ne rentrait pas dans la grammaire de l’univers mais un autre oui. On a donc relu l’ensemble des albums d’Astérix.
Julien : La commande initiale du parc était d’avoir un spectacle moderne, donc il fallait écrire un texte moderne tout en gardant le vocable d’Astérix et c’était une des gageures ; et pour moi, la seconde était d’écrire une histoire avec des personnages qu’on ne connaît pas et ayant un arc narratif, en trente minutes.
Justement, quelles ont été vos contraintes dans ce travail ?
Julien : La première était une contrainte de temps.
Hervé : Au départ, on visait 25 minutes et on a terminé à 29 minutes 44 ! Un spectacle dans un parc d’attractions ne peut pas excéder un format de 30 minutes, parce que la journée des gens est un vrai contre-la-montre : au-delà de 30 minutes, ils regardent leur montre et décrochent. On voulait également que ce soit familial et pas jeune public, festif et interactif, avec des musiques peps qu’on retient.
Julien : Là où je suis plutôt content du pari pour ce qui est du timing, c’est que les gens nous disent que c’est trop court et qu’on ne voit pas le temps passer.
Ludo : Oui, et nous nous sommes dit aussi tous les trois que, pour beaucoup de monde, ça serait leur première expérience de comédie musicale de type théâtre musical anglo-saxon, qu’on aime tous et qu’ils n’iraient pas forcément voir à l’extérieur…
Hervé : … ou qu’ils n’auraient pas forcément les moyens d’aller voir. J’aime bien cette idée d’ouverture à la culture : des jeunes se rappelleront peut-être, quand ils seront plus grands, que leur première comédie musicale, ils l’ont vue ici et qu’elle leur a mis des paillettes dans les yeux.
Julien : Dans le cahier des charges, il y avait quand même l’humour aussi, qui est assez présent dans l’univers d’Astérix, l’irrévérence, l’impertinence…
Hervé : … c’est ce qu’ici nous appelons l’ADN gaulois ! Et Ludo l’a bien compris, il a retranscrit l’univers de la BD, la signature d’Uderzo et Goscinny.
Julien : L’humour, ça prend du temps dans une histoire qu’il faut dérouler, surtout que nous voulions de grands ensembles aussi, donc ça faisait beaucoup de choses à mettre en vingt-cinq minutes.
Dans votre histoire, pourquoi ne pas avoir représenté Astérix et Obélix ?
Hervé : Ici au parc, les personnages d’Astérix et Obélix sont obligatoirement masqués et ne parlent pas ; ça fait partie des contraintes. Avoir des gens sur scène qui chantent et dansent tout en étant masqués, ça ne fonctionne pas. Et cela aurait un impact sur le modèle économique d’avoir des gens qui ne parlent ni ne chantent et qui ne feraient qu’être là. Visuellement aussi, on aurait eu des gens avec de très gros visages au milieu de l’ensemble… Nous avons donc pris le parti de faire une histoire originale, tout en évoquant Astérix, Obélix et Panoramix, partis vivre une autre aventure. Nous avons fait valider auprès de la direction et des éditions. Je pense que c’était le bon pari.
Julien : Par ailleurs, s’ils avaient été non masqués – parce que je pense qu’on aurait pu le négocier –, les contraintes physiques auraient été énormes. Nous avons déjà des contraintes de taille avec Assurancetourix et Ordralfabétix qui sont présents sur scène.
Ludo : Pour ces deux personnages, on imagine bien leurs voix : Assurancetourix, c’est le barde qui chante faux ; et Ordralfabétix, c’est le vendeur de poissons frais ou pas frais, donc on pense naturellement à une gouaille de poissonnier. Imaginer ce que ce serait les voix d’un Astérix et d’un Obélix, trouver une vocalité qui tient la route, ça demande beaucoup plus de réflexion.
Julien : Surtout en chanson, et puis il faudrait aussi élaborer un concept pour ces deux héros qui ne chantent jamais, c’est plus compliqué.
Ludo : Il faudrait, par conséquent, un format plus long.
Julien : Nous sommes partis sur une comédie musicale ; il fallait donc trouver les raisons amenant à « pourquoi les personnages chantent ? ». Et pour que l’histoire chante rapidement dès le début, nous avons imaginé que notre héros veut devenir barde. S’il veut devenir chanteur, c’est assez logique qu’il chante. Cela aurait été plus difficile avec Astérix et Obélix.
Hervé : D’ailleurs, je ne sais même pas si nous aurions le droit d’utiliser autre chose que les voix officielles enregistrées. Quand je vois toutes les questions que cela soulève, je me dis que nous avons bien fait. (Rires.)
Ludo : Je pense que les gens pourraient admettre qu’Astérix et Obélix se mettent à chanter dans une comédie musicale, mais sur un format plus long, de 90 ou 120 minutes. Alors que là, tu mets un nouveau héros dans l’univers familier du village, un héros barde et on utilise comme trigger scénaristique une potion mal fabriquée qui va faire que tout le monde va se mettre à chanter, à danser et à devenir des créateurs de comédie musicale. Très vite, tu trouves un code où la comédie musicale entre dans l’ADN d’Astérix. Mais ils pourraient être amenés à devenir des héros de comédie musicale un jour dans un format plus long, on ne sait jamais. C’est un mélange de contraintes et de choix.
Julien : L’avantage, c’est qu’en inventant des personnages, on peut leur donner des caractéristiques de personnages de comédie musicale – c’est aussi ça le fond du truc. En créant, on peut déjà leur donner tous les atouts de personnages du genre, comme les deux protagonistes, Sérotonine et Groupidupianix, qui sont très passionnels. C’est d’ailleurs ce qui les amène à chanter, ce sont les deux seuls qui chantent sans potion. Scénaristiquement ça nous aide, parce que comme on dit souvent : les personnages de comédie musicale ont tellement d’émotions que c’est pour cela qu’ils se mettent à chanter. C’est logique avec ces deux-là quand on les présente. C’est aussi cet aspect qui nous a guidés.
Combien y a‑t-il de casts ?
Ludo : Quatre casts de onze personnes mais quarante-trois personnes au total puisqu’une personne tient deux rôles.
Hervé : Onze artistes sur scène mais vingt et une personnes au total pour faire tourner le show…
Ludo : … avec dix personnes dans les équipes : technique, habillage, costumes, maquillage, etc.
Ça fait beaucoup de personnes à former !
Julien : Oui, former quatre casts, c’est lourd : quand il y a une info à faire passer, même si on est une petite équipe, pour la communication, c’est compliqué.
Ludo : Sur un an de création, tu sais que tu ajustes au fur et à mesure des répétitions. Donc tu peux avoir une trouvaille avec le cast n°3, que tu dois alors faire remonter aux casts n°1 et n°2, qui n’ont pas eu l’info au départ… donc tu as un effet de cascade qui fait que le montage est passionnant.
Julien : Mais c’est super, c’est excitant ! Il faut savoir qu’on a huit Groupidupianix et huit Sérotonine qui se partagent la journée. Donc, quand ils ne font pas ces rôles, ils jouent Assurancetourix ou les sangliers ; quant à Sérotonine, elle alterne avec une villageoise gauloise dans la troupe. C’est pour qu’ils puissent se reposer, parce que le spectacle est quand même exigeant vocalement, et physiquement aussi d’ailleurs, et ces deux-là chantent beaucoup – on peut monter jusqu’à cinq shows par jour.
Hervé : Un format de quatre casts, c’est notre modèle d’exploitation habituel : on a trois ou quatre équipes par spectacle. Ça permet aux intermittents de pouvoir s’organiser pour d’autres projets à côté, parce que nous aimons bien qu’ils se nourrissent d’autres choses, et surtout si une privatisation vient se rajouter, il nous faut un cast disponible le soir sans pénaliser le reste de l’exploitation, donc nous ne pouvons pas nous permettre d’avoir seulement deux ou trois casts.
Julien : Cela nous permet aussi, s’il y a besoin, d’organiser des remplacements.
Hervé : Effectivement, s’il manque un personnage, le show ne peut pas avoir lieu, et c’est une situation impossible pour nous.
Julien : C’est ce que nous préconisions aussi et, même avec quatre casts, il peut arriver qu’il y ait un problème, comme par exemple ce week-end avec l’un des rôles, Puréemousseline, et c’est l’assistante chorégraphe qui l’a repris.
Et ça s’est bien passé ?
Julien : Ça s’est très bien passé.
Hervé : Et nous n’avons pas annulé.
Julien : Elle a vraiment assuré. C’est quand même assez lourd quand tu n’as jamais joué le spectacle. Bien sûr, elle connaissait les chorégraphies, mais ce n’est pas évident. Et quand tu as un pépin comme ça, tu es toujours obligé de gérer dans l’urgence… et à une heure du matin ! (Rires.)
Ludo : Ça reste du spectacle vivant.
Vous évoquiez les répétitions et les trouvailles avec les différents casts. Quelles libertés ont les comédien·ne ·s ?
Julien : Alors c’est très cadré ! C’est un show qui supporte pas l’à-peu-près : tout est calé sur la musique ; la lumière est placée très précisément ; dans les chorégraphies et la mise en scène, ils sont sur un cadre, ils savent exactement où ils doivent être et à quel numéro. Ils ont aussi un parcours émotionnel qui est le même pour chaque personnage ; je schématise mais, par exemple, à tel endroit, le personnage a peur, à tel autre, c’est autre chose… après, chacun amène sa propre façon d’avoir peur…
Ludo : C’est ce que j’allais dire, c’est cadré sans être cadré.
Julien : Chacun amène sa personnalité et heureusement, c’est ça qui est intéressant, mais nous sommes obligés d’avoir ce cadre parce que c’est un spectacle qui se joue cinq fois par jour, et quand parfois ils décalent les underscores, ça met en péril les répliques d’après et les blagues ne fonctionnent plus : c’est un peu de l’orfèvrerie. Donc oui, tout le monde a un cadre précis et y met du sien, ne serait-ce que par le physique. Je pense aux Sérotonine : elles ont chacune un physique très différent et elles vont apporter quelque chose de très différent dans leur personnage et c’est intéressant aussi, y compris dans les duos, où l’énergie n’est jamais la même. Si vous allez voir le spectacle plusieurs fois, vous ne verrez pas le même spectacle… Mais vous verrez quand même le même spectacle (rires) et ça, c’est important aussi.
Ludo : Le cadre est important sur trois points : le timing, les placements et le trajet émotionnel. La musique et la lumière sont encodées, donc tu dois les respecter, tu dois être hyper carré sur tes placements. Pour les trajets émotionnels, les casts ont répété en équipe mais maintenant qu’ils alternent et s’ils n’ont pas les mêmes infos, c’est hyper dur de se mettre à jouer ensemble, donc il faut que ce soit clair. Une fois que ces trajets émotionnels sont clairs, chacun va les vivre différemment selon sa propre énergie et son travail de comédien-chanteur.
Et quand vous trouviez quelque chose de particulièrement intéressant en répétition, est-ce que vous l’adaptiez à tous ?
Ludo : C’est une très bonne question parce que, dans certains cas, nous l’adaptions à tous et dans d’autres, nous nous disions « ça, ça marche bien avec ton énergie à toi, donc tu le gardes » et quand ça ne marche pas pour d’autres, ils ne le font pas.
Julien : En fait, on l’essaie et on voit si c’est quelque chose qui va bien marcher avec tout le monde ou si c’est propre à l’énergie de la personne.
Ludo : Et c’est là que tu vois que c’est cadré et à la fois flexible, parce que cette marge de liberté existe et donc on peut construire avec les comédiens en fonction de ce qu’ils proposent.
Vous avez répété combien de temps ?
Hervé : On a commencé avec un workshop fin août 2023.
Julien : Pendant dix jours.
Hervé : Avec un des quatre casts qui a permis à Julien de construire le squelette.
Julien : Oui, ce que j’appelle le « monstre ». En gros, c’était sans costume, sans décor, avec très peu d’accessoires et on a monté tout le show.
Ludo : Toute la mise en scène, toutes les chorés, toutes les entrées-sorties, etc.
Julien : On a fait tout le squelette en dix jours de montage.
Ludo : Et c’est une étape très importante parce qu’elle permet de valider les temps de jeu de manière naturelle. Comme après nous sommes partis en enregistrement avec l’orchestre, il fallait être certain de tous les timings par rapport à l’underscore et de tous les temps de jeu pour qu’ils soient naturels. Toute la complexité d’un show 100 % enregistré, c’est d’être sûr que les temps d’enregistrement correspondent à la véracité des temps de jeu. Et même si tout cela était plutôt bien intuité, il y a eu deux ou trois ajustements nécessaires.
Hervé : Cela a aussi une autre fonction : pour moi, cela me permet de rassurer le financeur. Il y a une présentation qui est faite au comité de direction : c’est une étape de validation nécessaire parce que c’est un pari de faire une comédie musicale pour le parc, on ne sait pas à ce moment-là si la salle va se remplir, si le spectacle aura une bonne note, si le registre musical va fonctionner. Donc, pendant la présentation, ils voient que ça fonctionne, ils passent un bon moment, ils sont même émus, c’est chouette. Et pour les quatre casts à former, on a commencé début février, jusqu’à fin mars, et ils ont eu en moyenne tous entre quinze et dix-sept jours.
Et d’un point de vue technique?
Ludo : Avant le workshop, tu as trois semaines de technique.
Julien : Trois semaines de fiabilisation technique, pour l’enchaînement des décors et les timings.
Ludo : C’est ce qu’on appelle le dry tech : tu fais des filages uniquement de technique, de mouvement de décors et tout ça avec les lumières, sans comédien.
Julien : On n’avait même pas toutes les lumières encore. On a fait en plusieurs étapes, d’abord le dry tech avec la motorisation des décors et de la vitesse. Comme le show va très vite, il faut que tous les décors aillent vite, on n’a pas le temps de s’appesantir sur les enchaînements.
Ludo : Tu programmes tous les décors, tu vérifies que c’est fluide, que tout se passe bien.
Julien : Bien sûr, ce sont des moments de stress. La plateforme ne tourne pas assez vite, donc on se dit : « Non ! il faut que ça tourne plus vite, sinon le show est terminé avant qu’elle finisse son tour. » (Rires.) Donc on commence à travailler là-dessus et même après, la technique continue à travailler pour pouvoir améliorer tout ça.
Ludo : Pareil pour les lumières, tu avais une semaine de pré-encodage et bien entendu après, quand les artistes arrivent au plateau, après les deux semaines de répétitions, on utilise aussi ces moments-là pour recorriger et repréciser sur scène. Mais il y a tout ce boulot en amont de pré-création pour ne pas perdre un temps colossal ensuite, pour éviter que ça ne se fasse qu’au plateau.
Julien : C’est la chance d’être dans un parc d’attractions, parce qu’on a le théâtre à disposition.
Hervé : Et des salles de répétition.
Julien : Cela nous a permis au bout d’une semaine, avec chaque cast, de pouvoir partir en filage directement en scène avec les décors qui bougeaient, ce qui est assez rare.
Ludo : La première semaine de répétitions était très intense puisque l’objectif, c’était qu’ils aient vu tout le show grosso modo en une semaine. Pour pouvoir aller très vite sur scène et après, de roder, de retravailler, de repréciser et d’ingurgiter énormément d’éléments.
Hervé : Il y a des moments qui sont très émouvants, notamment quand les artistes découvrent pour la première fois la rotation de tous les décors, ils sont comme des gamins au spectacle, ils crient, ils sont heureux et ils applaudissent.
Ludo : Il y avait les quarante-quatre en salle et on a fait le filage technique devant eux, ils applaudissaient le travail des techniciens.
Hervé : Et ils n’ont pas souvent cette occasion, donc ça a contribué à créer toute la dynamique de groupe.
Julien : Nous avons une très bonne équipe sur le plateau mais aussi une très bonne équipe technique du parc, que ce soit au niveau de la technique plateau, du son ou des toppers, du make-up…
Hervé : Tout le monde a travaillé dans le même sens.
Julien : Et tout le monde était excité par le projet, était content d’y être aussi je pense, et ça s’est senti.
Ludo : Pareil au niveau de la création des costumes : nous avons collaboré avec Isabelle Ledit, qui travaille beaucoup au parc, et la recherche avec toutes les équipes là-bas, c’était super, un vrai bonheur de A à Z.
Julien : Et nous ne l’avons pas mentionné, mais le dernier avantage du workshop, ça a aussi été d’enregistrer l’album en amont, comme tout était fait déjà musicalement.
Ludo : Il a pu sortir en même temps que le spectacle et ça, c’est super pour prolonger l’expérience des spectateurs quand ils sortent de la salle : tout de suite, ils peuvent écouter les musiques sur les plateformes.
Hervé : Ludo parlait d’Isabelle… La particularité est que nous voulions que toute la prod’ soit au maximum made in Parc Astérix. La prod’ est assurée en interne par moi-même, mais aussi par la créatrice costumes, les chorégraphies ; nous avons l’ingénierie-son en grande partie, les accessoires sont fait en interne, tout le staff technique d’habillage, de perruque, etc. Nous avions beaucoup de choses chez Parc Astérix et nous avons essayé de prendre tous nos fournisseurs dans un rayon de deux heures autour du parc ; c’était important pour nous, que ce soit très local.
La création des costumes justement, vous pouvez nous en parler ?
Julien : La demande, c’était, un peu comme le show, d’arriver à avoir quelque chose d’assez moderne tout en respectant la BD ; ça a été tout un compromis et plus le projet avançait, plus on arrivait à aller vers quelque chose de moderne, et il y a eu de belles évolutions, c’est cool. Par exemple, pour Sérotonine, au début, on était sur quelque chose de plus classique et, petit à petit, nous avons pu arriver vers ce personnage un peu plus pétillant avec cette robe-pantalon à volants, qui correspond bien au personnage.
Ludo : La combinaison legging-jupe à volants marche vraiment bien.
Hervé : Et c’était une demande de Delphine Pons d’ailleurs.
Julien : Après, pour Goupidupianix, nous voulions que ce soit un peu un Timothée Chalamet.
Ludo : C’est clairement la référence.
Julien : Mais avec ce côté éleveur de moutons, puisqu’il est fils d’une éleveuse de moutons.
Ludo : Donc il a un caraco avec de la fourrure de mouton, qu’on retrouve aussi dans les bottes.
Julien : Et en même temps, il a un côté un peu plus sophistiqué que les autres, avec du bleu turquoise et ce pantalon très affûté et proche du corps. L’idée était quand même d’avoir des costumes très cintrés, très graphiques…
Ludo : … et qui mettent bien en valeur les différents physiques des personnages, leur corporalité, et que ça résonne bien dans les chorégraphies, qu’ils puissent danser avec. C’était notamment toute la question pour les armures romaines de trouver comment les enfiler et les enlever de manière très rapide, parce qu’il y a des changements de costumes très rapides, en gardant cette mobilité et cette fluidité notamment dans le numéro « J’veux du tonus » où tu as une chorégraphie en armure. Nous avons eu cette réflexion de mettre des armures en cuir plutôt qu’un truc rigide et ça n’aurait pas eu ce rendu, et ça n’aurait pas été aussi agréable pour les artistes avec une autre matière. Pour les frères et sœurs Charcuterix et Purémousseline, l’inspiration c’était deux rugbymen, donc tu as des références avec des bandeaux, des chaussettes qui montent et des tuniques un peu chasubles. On reste dans le côté gaulois tout en le modernisant et en le pimpant par quelques touches actuelles.
Julien : Pour Fleurymérogix, il a cette inspiration viking, qui fait peur, avec une grande chasuble en cuir très prononcé. Tout cela a été créé en collaboration avec Isabelle qui a été top.
Ludo : Franchement, l’aller-retour à été super.
Hervé : Pour nous, ça a été plus facile de trancher et de dire ce qui marche ou pas jusqu’au dernier moment.
Ludo : Toute la création avec l’équipe costumes à été « remarquablissime ».
Vous parlez souvent de la physicalité des personnages, est-ce que pour vous ça a été un critère de sélection ?
Ludo : Tu veux que je te dise ? On en parle pas mal là mais, pour le coup, on ne regarde pas spécialement le physique. Tu peux même voir qu’il y a des physiques très différents sur les Sérotonine, notamment en termes de taille ou de morphologie.
Julien : C’est plus une question d’énergie, de caractère.
Ludo : En revanche, pour la création des costumes, la question était : « Comment le même patron d’un costume peut raisonner avec ces physiques différents qu’on a trouvés et faire que ça marche bien pour tous ? » Mine de rien, quand tu prends en compte toutes ces contraintes, c’est hyper intéressant parce que c’est important que le costume résonne bien sur tous les types de physique. Et c’est vrai que nous aimons bien dans une troupe avoir des physicalités différentes, parce que c’est la façon de faire à l’anglo-saxonne que j’aime. J’adore quand tu as plein de physiques différents sur lesquels ça résonne différemment, sur des chorégraphies, tout ça, je trouve ça hyper beau. Finalement, la seule contrainte sur le physique est pour Groupidupianix et Turlututus parce qu’ils font aussi Assurancetourix et Ordralfabétix et là, pour le coup, nous sommes obligés d’avoir une logique par rapport à la BD.
Julien : Et Hervé, à ce moment-là, il se dit : « Oh ! il va falloir faire plein de costumes ! » (Rires.)
Hervé : C’est vrai que moi, j’ai un rôle assez particulier, parce que j’ai à la fois la direction de production, où je vois l’argent défiler, mais aussi la direction artistique, donc j’ai envie qu’avec Julien, nous puissions faire le maximum de choses pour satisfaire les besoins. Mais de temps en temps… je dis non… Ça arrive. (Rires.)
Ludo : Globalement, il ne dit pas souvent non, parce qu’ils sont assez d’accord.
Julien : Il a dit non aux étoiles dans les arbres !
Hervé : Oui, voilà ! Il voulait un ciel étoilé dans les arbres, ça va coûter 15 000 euros, je lui ai dit non. (Rires.)
Parlons de Groupidupianix. Il y a une vraie difficulté sur ce rôle pour trouver le bon équilibre entre le fait de ne pas paraître trop antipathique et de devenir attachant à la fin. Comment travaille-t-on sur un parcours émotionnel si large en trente minutes ? Cela a dû être un challenge.
Ludo : C’est génial qu’on parle de ça. On doit se dire au départ « quelle tête à claque ! » et, en même temps, on a envie qu’il réalise son rêve parce qu’on le comprend et qu’il apprenne la leçon. Il doit avoir ce double parcours émotionnel, de réaliser son but et de se dire « ah oui là j’ai été un peu con ».
Julien : Je pense qu’il ne faut pas être tiède pour que ça fonctionne. Il est désagréable dans le sens où c’est un personnage d’attitude, c’est quelqu’un qui est sur des postures et ça doit en être drôle et truculent, la façon dont il le fait.
Ludo : C’est ça : c’est de la posture plus que de la suffisance.
Julien : C’est difficile parce que, si c’est trop désagréable direct, là on se dit « attention parce qu’on va te détester ». C’est un bon dosage du côté désagréable à trouver mais il faut toujours que ce soit un peu drôle ; quand il rembarre Sérotonine, il faut que ce soit drôle. Si c’est trop dur, ça ne fait pas rire et on se dit qu’il est méchant, pauvre Sérotonine. Donc il y a cette difficulté pour l’interprète de pas l’être trop…
Ludo : … ou de l’être assez, parce que il y a des gens pour qui c’est l’inverse. Le personnage doit quand même avoir quelque chose à apprendre.
Julien : Oui, parce que si tu ne l’es pas assez, en revanche alors oui, on va te trouver sympathique mais un peu tiède. Après, nous avons pris des gens qui sont quand même gentils.
Ludo : Oui, ce sont des gens solaires.
Julien : Non mais c’est important, parce qu’on parlait des caractères pendant les castings. Comme ils sont gentils, ils vont jouer quelqu’un de désagréable et on ne va jamais se dire qu’ils sont méchants, on va se dire que c’est dans la posture que le personnage a besoin d’être différent et a besoin d’exister.
Ludo : Je pense que le premier critère quand on voit des gens pour ce personnage, c’est que ce soient des gens solaires parce que, justement, on sait très bien qu’on va les emmener dans cette direction, d’avoir des postures qui les rendent un peu désagréables, donc, si ce ne sont pas des gens qui sont solaires naturellement, ça va être plus dur de garder cette empathie avec le personnage.
Julien : Oui, et surtout le personnage doit être solaire parce que c’est un rêveur et c’est ça qui doit nous toucher, il n’a pas peur de ses rêves. Au final, ce qu’il faut retenir, c’est que même s’il paraît un peu désagréable par rapport aux autres, c’est quelqu’un qui n’a pas peur de vouloir devenir qui il veut être en fait.
En commençant à travailler avec les comédien·ne·s, est-ce que vous avez beaucoup réajusté, par rapport aux personnages ou même dans l’axe narratif ?
Ludo : Non, pour le coup en écriture, ça n’a pas bougé.
Julien : De l’ordre du mot peut-être : « forcément » est devenu « évidemment » par exemple, parce que c’est mieux rythmé.
Hervé : Nous avions validé avec les Éditions Albert René au mot près donc, par exemple, j’ai le droit de dire « allié » mais je n’ai pas le droit de dire « acolyte ». Au mot près, je ne peux pas mettre n’importe quoi donc, pour moi, c’était calé et ça ne bougeait pas.
Julien : Après, on ne l’a pas dit mais, le show, nous l’avons joué plein de fois avant que les interprètes arrivent, en salle de réunion.
Hervé : Ils faisaient les onze rôles, c’était très drôle !
Julien : Nous l’avons fait devant toute la direction du Parc Astérix, plusieurs fois d’ailleurs, et devine qui faisait Sérotonine et qui faisait Groupidupianix ? (Rires.)
Hervé : Et qui filmait pour garder des dossiers ? (Rires.)
Ludo : Finalement, ça a été beaucoup de travail de direction d’acteur avec les comédiens et de créer cette énergie de troupe. Franchement, c’est une des choses qui ressort beaucoup du show, en tout cas dans ce que j’ai pu voir des retours des spectateurs ou des papiers des gens sont venus : ce côté alchimie et bonne entente de la troupe et moi, ça me fait très plaisir que les gens voient ça.
Julien : C’est très important pour nous parce que si les gens s’aiment bien, ils s’amusent, ils jouent au sens premier du terme et ça, ça se voit au plateau.
Hervé : Surtout sur un format long, on est vachement attentif au savoir être.
La saison dure combien de temps ?
Ludo : La première était le 30 mars.
Julien : Et la dernière sera le 6 janvier.
Ludo : C’est tous les jours non stop jusqu’à début septembre. À partir de septembre, c’est les mercredis, samedis et dimanches et après, pour Halloween et la fin d’année, ce ne sera que pendant les vacances scolaires.
Est-ce que vous êtes contents de ces premiers mois d’exploitation ?
Hervé : Je vais répondre en prenant des indicateurs factuels avant de donner mon ressenti. Le show est noté autour de 8,8 sur 10. Pour un parc d’attractions, un spectacle au-dessous de 8/10, il est à refaire ; entre 8 et 8,3, il a fait le job mais il est en fin de carrière ; entre 8,3 et 8,6 c’est un bon spectacle ; au-delà de 8,6, c’est un très bon spectacle ; et au-delà de 9, c’est un spectacle star. Donc il n’est pas loin de nos spectacles stars. Une fois qu’auront été dépassées les quelques difficultés techniques que nous avons rencontrées au début, il va continuer à monter et se rapprocher de 9, qui était sa note la première semaine.
Julien : Nous avons perdu quelques dixièmes par la suite, c’est normal, parce que c’est un show très technique et nous avons eu quelques petites choses à revoir, il y a eu plusieurs show stops au début lors des premières semaines, mais nous commençons à être bien rodés maintenant.
Hervé : Donc, factuellement, les visiteurs notent bien le spectacle, la direction du Parc Astérix ainsi que la direction de la Compagnie des Alpes estiment que c’est un pari réussi, que c’est fidèle aux attentes et, par conséquent, ils sont très contents du show. Pour moi, le client est content, le visiteur est content, donc j’estime que c’est une réussite. À titre personnel, c’est une question différente. C’est une aventure humaine déjà, on s’entend bien, c’est une très jolie rencontre, et ensuite, pour moi, cela a donné la capacité au Parc Astérix d’arriver à un niveau de production de spectacle qui est la plus belle que j’y ai vu depuis six ans que je suis là. C’est le résultat de trois ans de travail et moi oui, j’en suis très fier.
Ludo : Oui, c’est une fierté absolue. Pour moi, c’est exactement le show tel qu’on l’avait rêvé il y a trois ans sur un bout de table et c’est rare, donc c’est génial. Je me souviens des premiers dessins de Julien au stylo, et le show, il est là, tel qu’on l’avait imaginé, c’est super et je suis très fier et très heureux du cast et de toutes les équipes avec lesquelles on a bossé pour cette création, c’est ça qui est merveilleux quand tu es créateur. Julien me faisait la réflexion l’autre jour, je n’étais pas loin de verser ma petite larme. Quand tu vois cette phase d’appel d’offres, que tu rêves de faire ce truc, parce que c’est un univers qui est hyper excitant, et que tu te dis que tu vas développer une comédie musicale dans l’univers d’Astérix, tu es là, dans ton coin, et tu te dis « comment j’appelle les héros ? » et tu as ce nom de Groupidupianix qui débarque, tu te dis ça peut être drôle. Est-ce que ça va faire rire ou pas ? Et trois ans après, tu le vois dans le final descendre avec ces lumières, c’est fou. Tout ça, c’est ce qu’on a inventé sur un petit coin de table. C’est très touchant.
Ce sera le mot de la fin. Merci beaucoup à tous les trois.
La troupe de C’est du délire ! était l’invitée de la 42e Rue de Laurent Valière. À réécouter ici.