Votre prestation est saluée par la presse, en avez-vous conscience ?
Habituellement, je ne cherche pas à lire les journaux… et puis je ne lis pas le français, mais avec les traductions, c’est vrai que c’est un plaisir… Dans la dernière critique qu’on m’a transmise, on disait que j’étais « haute comme trois pommes » ! (rires) Je suis sur un petit nuage, je suis tellement reconnaissante. À chaque fois qu’on met les pieds dans une nouvelle production, un nouveau spectacle, on y met son cœur et son âme ; et si on a de la chance, le reste de la distribution et l’équipe de production et de création font de même ; et nous aimons tous cela. Dans le cas présent, avec chaque personne, quelle que soit sa position, nous nous entendons tous tellement bien, nous sommes tous tellement fiers de cette production. Je pense que, parce que ce musical n’est pas souvent donné, nous sentions que nous avions un peu plus de responsabilité pour le présenter, évidemment d’une façon différente du film et aussi de la récente reprise donnée dans le West End. Nous voulions trouver notre propre façon de le faire. Tout cela est tellement excitant !
D’où vous vient toute cette énergie que vous dégagez ?
(rires) Je suis, d’une façon générale, une personne plutôt dynamique, pleine d’entrain ! Je crois que c’est lié à mon métier : je suis habituée à faire beaucoup de concerts, huit représentations par semaine, etc. Dans les concerts que j’ai la chance de tourner à travers le monde, je suis seule en scène. J’ai donc tout le temps besoin d’être pleine d’énergie, comme quand on met un interrupteur sur « on ». Et je sens que j’ai tellement en commun avec la vraie Fanny Brice ; c’est donc très facile pour moi de me mettre à sa place. C’est également difficile, car je suis presque constamment sur scène, et les rares fois où je la quitte, c’est pour des changements très rapides de costumes. Il y a seulement deux numéros après lesquels je peux enfin boire une gorgée d’eau, avoir un raccord maquillage coiffure et me demander quelle est ma prochaine entrée. Seulement deux fois ! Ça demande beaucoup de préparation physique. C’est l’une des premières fois que je participe à un spectacle où il n’y a pas eu de période de preview (session de présentations publiques avant la première officielle, N.D.L.R.) – ce qui est l’habitude aux États-Unis ou dans le West End –, pendant laquelle on apprend et on découvre tellement de la réaction du public ; surtout que, dans le cas présent, le public ne parle pas la langue du spectacle, il y a donc des surtitres et un délai de compréhension. De ce fait, mon énergie et mon rythme durant le spectacle ont déjà un peu évolué depuis que le public est là ; mais j’espère que c’est pour le mieux.
Vous mentionnez la vraie Fanny Brice. Quand avez-vous entendu parler d’elle ?
Je dois être honnête : la première fois que j’ai entendu parler de Fanny Brice, c’était en découvrant le film Funny Girl. J’étais vraiment très jeune ; mes parents savaient que je voulais chanter et être sur scène ; j’adorais tous les films musicaux, et ils faisaient tout pour m’en faire voir beaucoup : Mary Poppins, The Sound of Music, Annie (qui est très célèbre aux États-Unis), et puis Barbra Streisand dans Funny Girl, Hello Dolly!… Ce n’est que plus tard que j’ai commencé à m’intéresser un peu plus à Fanny Brice. C’est merveilleux d’avoir accès aux réseaux sociaux, Internet, Youtube ; grâce à cela, on peut voir des extraits de ses films sans avoir besoin d’aller fouiller dans des boutiques de vieilles vidéos. J’ai même découvert un duo d’elle avec Judy Garland (une de mes idoles intemporelles) : mon dieu ! c’est donc elle, la vraie Fanny Brice ! Je me suis donc instruite à son sujet quand j’étais, je pense, à l’université, puis je suis passée à autre chose.
Fanny Brice dans Funny Girl, c’est un rôle de rêve pour presque toutes les « belters » (chanteuses qui pratiquent la technique du « belting », N.D.L.R.). Je ne m’étais jamais autorisée à penser que je le chanterais un jour. Comme je disais, j’ai la responsabilité de faire vivre une Fanny Brice différente de celle de Barbra Streisand. Aussi parce que la vraie Fanny Brice, en tant qu’artiste de scène (on ne sait guère autre chose d’elle), était l’une des premières, elle était tellement précoce ; il n’existe que peu d’enregistrements d’elle ; on sait que son chant était beau seulement à travers des torch songs comme « My Man ». Pour moi, c’est montrer au monde cette femme ; on ne sait pas tout d’elle et ce qui est montré d’elle dans Funny Girl n’est certainement pas exact… dans les livrets tout est tellement enjolivé ! Il n’en est pas moins vrai qu’elle a ouvert la voie et qu’elle a mis en place les fondations qui ont servi aux actrices comiques après elle, les chanteuses aussi. Sans Fanny Brice, presque toutes les icônes que nous connaissons n’existeraient pas. Donc c’est une belle chose que son héritage perdure.
Être artiste, est-ce une vocation ?
Oui, je l’ai toujours voulu ! L’histoire de la petite fille qui grimpe sur la table pour chanter devant tout le monde, c’est moi ! Mes parents m’ont encouragée depuis le très jeune âge. Comme j’ai grandi à New York, j’avais beaucoup d’occasions pour voir des spectacles. J’étais une bonne élève, je savais que je devais étudier quelque chose d’autre, donc, quand je suis entrée à l’école des arts Tisch de l’université de New York, j’ai obtenu un diplôme en journalisme, mais je n’avais pas vraiment l’intention d’en faire usage, sinon écrire un peu (rires). Mais ce qui est drôle, c’est que ça m’a tout de même aidée dans mon approche des réseaux sociaux aujourd’hui, ou même dans les interviews à la radio ou à la télé. J’ai eu un début de carrière similaire à celui de Fanny Brice : on m’a dit « non » nombre de fois. Comme pour elle, je m’entendais reprocher par exemple : « vous ne vous fondez pas dans l’ensemble », « vous n’avez pas la bonne apparence », « vous êtes trop petite », « vous n’êtes pas assez mignonne », « mais vous êtes trop mignonne pour jouer la meilleure amie », « vous n’êtes pas assez blonde », « votre voix est très puissante, mais d’une manière très différente de celles des autres, donc difficilement intégrable ». Ne pas se fondre dans la masse, c’est merveilleux dans la vie, mais dans les arts de la scène, cela peut être une vraie malédiction. Si vous êtes polyvalente, que vous pouvez chanter en voix lyrique, en voix belt, en voix jazz… cela peut dérouter les gens qui vous font passer des auditions, car ils ont envie que vous correspondiez à ce qu’ils ont imaginé. Et Fanny Brice ne correspondait jamais. Et moi non plus. J’ai donc une carrière variée : je fais des concerts avec des orchestres symphoniques, des doublages, de la scène aussi bien sûr, mais sans jamais vraiment décrocher ce que je voulais. Donc je trouve Fanny, sa ténacité et sa certitude absolue au sens où « si on me donne l’opportunité, alors j’y arriverai, je ferai en sorte que ça se réalise », je les retrouve dans ma vie si souvent, comme quand je veux auditionner pour quelque chose, mais qu’on ne me laisse pas entrer ! Fanny Brice, elle passe en force, elle s’impose et elle obtient ce qu’elle est venue chercher. Voilà pourquoi je la respecte sincèrement. Elle m’inspire chaque jour quand je monte sur cette scène. Et, quand le spectacle sera fini, j’emporterai avec moi un peu d’elle, en espérant que ça me rendra plus sûre de moi.
Vous avez participé à Forbidden Broadway [une revue off-Broadway qui parodie en particulier les comédies musicales]. Quelle leçon en avez-vous tiré ?
C’est la meilleure école ! Je dois presque tout de ma carrière professionnelle à Forbidden Broadway. Et je vais pleurer, car certaines des personnes qui m’ont sélectionnée m’ont envoyé un gentil message aujourd’hui. Passionnée que j’étais du théâtre musical, j’étais fascinée par ces artistes incroyables, deux hommes et deux femmes capables de jouer n’importe quel rôle de Broadway, sans se limiter à de l’imitation, mais avec la capacité et la polyvalence d’endosser tous ces rôles. Je me suis dit que ce devaient être les artistes les plus talentueux à New York, puisqu’ils pouvaient faire tous les rôles de Broadway dans un seul spectacle. Je suis donc allée voir toutes les productions, me suis procuré tous les albums – ça change à chaque saison – et ça a été l’une des périodes les plus folles, les plus fantastiques de ma vie. Je suis allée auditionner – il y a régulièrement des auditions ouvertes dont on est mis au courant par des magazines –, j’ai fait la queue, il pleuvait, je suis entrée avec des centaines d’autres ; ils ne recherchaient même pas quelqu’un ; j’ai fait des imitations d’eux, c’était d’ailleurs la première fois que j’imitais une personne en face d’elle ; je savais que je pouvais le faire, mais j’étais un peu embarrassée ; je ne pouvais y croire, mais j’ai été engagée; et j’ai reçu d’excellentes critiques en tant qu’imitatrice. Cela m’a permis de me faire connaître du public en tant qu’imitatrice, de commencer à créer mes propres spectacles, d’être invitée à me produire ici ou là ; cela m’a rendue meilleure en tant qu’artiste solo, plus créative aussi ; tout cela m’a aidée à être une meilleure artiste de scène, car le fait que je puisse avoir le travail de mes rêves, le fait que je puisse mener de front autant de choses, cela m’a rendu plus mure en tant qu’artiste…
Mais, pour en revenir à votre question (je papote, je papote)… Quand on est dans un spectacle comme celui-là, c’est la parfaite formation, car même si c’est petit et pas très glamour (ça va vite et ça se passe dans une cave), vous devez mémoriser beaucoup de choses très rapidement, car, parfois, certains événements ont lieu dans la journée à Broadway et on s’en sert le soir même. Il faut être dans l’actualité, apprendre rapidement, vous adapter rapidement, changer de costumes rapidement, chanter ou parler dans des styles très différents, et vous devez avoir l’esprit d’équipe, car vous ne pouvez pas être un acteur égoïste dans ce spectacle : vous devez prendre appui et rebondir sur tous les autres, vous devez travailler en groupe. C’était donc une expérience incroyable pour moi. Et peu importent toutes les formations que j’avais accumulées précédemment ou toutes les scènes de théâtre que j’avais déjà foulées. J’étais la seule nouvelle quand je suis arrivée dans un groupe constitué, je n’en menais pas large, ils m’ont vraiment accueillie. À mes yeux, j’ai appris des meilleurs !
Comment avez-vous procédé pour entrer dans le personnage de Funny Girl ?
Après avoir appris que j’avais le rôle – et m’être calmée ! –, bien sûr la première chose que je voulais faire était regarder le film, ma référence. Évidemment je l’ai revu d’un œil différent. Le plus gros à faire, c’était de m’approprier le rôle, sans chercher à faire comme Barbra Streisand. Puis on m’a envoyé la musique et les partitions. Je connaissais déjà certaines chansons, mais que je devais réapprendre à ma propre façon, pas comme quelqu’un qui les chante en concert, ou comme Barbra Streisand pourrait les chanter, mais dans le contexte du spectacle. Et il y a des chansons que je n’avais jamais chantées auparavant ; pour celles-là, c’était merveilleux, car je les abordais avec fraîcheur. Une quinzaine de jours plus tard, on m’a envoyé le livret. Je ne pouvais croire à quel point il est différent du scénario du film. Notamment à quel point tous les autres personnages sont des influences pour Fanny et font d’elle ce qu’elle est, et vous emmènent de scène en scène tout au long du spectacle. Le film ne s’attarde pas sur ces personnages. J’avais donc hâte de rencontrer les autres acteurs pour commencer à trouver ma manière de construire le personnage ; je savais que ce serait essentiel. J’ai mémorisé les très très nombreux dialogues, puis les paroles des chansons avant la musique. Puis, je suis revenue au point de départ. J’ai essayé de regarder à nouveau le film, mais je n’ai pas pu dépasser les vingt premières minutes : je l’aime encore, mais comme quelque chose à part, car il est trop différent ; je me suis même un peu énervée car je ne comprenais plus rien aux personnages. J’aimerai le film jusqu’à ma mort, mais je ne peux plus le regarder. J’ai donc dû le mettre de côté et trouver ma propre voie. Et me voilà à Paris, devant vous. Gorgeous, isn’t it ? (rires)