Du Kurt Weill méconnu à ne pas rater

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Hasard du calendrier ? Deux scènes nationales d'opéra ont choisi, presque simultanément, de mettre à l'affiche deux œuvres relativement méconnues de Kurt Weill.

Du 19 au 27 avril, l'Opéra national de Paris présentera Street Scenes, à partir de fragments de Street Scene. Cette œuvre, que Kurt Weill tenait à définir comme un « opéra américain » fut créée à Broadway en 1947 et obtint, la même année, le tout premier Tony Award de la meilleure partition originale. Le livret d'Elmer Rice, également auteur de la pièce de 1929 auréolée du prix Pulitzer, dépeint une journée de canicule devant un immeuble d'un quartier populaire de New York : des commérages, une femme qui s'apprête à accoucher, des flirts, des jeunes qui rêvent d'un avenir meilleur, un mari violent... Street Scene ne connut sa création française qu'en 2010 à l'Opéra de Toulon et le Châtelet le mettait à l'affiche en 2013. Nous écrivions à l'occasion de ces représentations parisiennes :

Street Scene est probablement l’œuvre la plus riche musicalement et dramatiquement la plus aboutie de Kurt Weill, et sans doute plus accessible que son pendant composé dix-sept ans plus tôt en Allemagne, Grandeur et décadence de la ville de Mahagonny. La musique, hétérogène d’apparence, car s’inspirant tout à la fois de l’opéra italien, du Singspiel allemand, de l’opérette, du blues, du jazz et du style propre à Broadway, constitue la synthèse des différentes influences d’un compositeur soucieux avant tout de faire du théâtre musical : en liant avec une remarquable fluidité des dialogues parlés, des récitatifs, des songs, des airs et des ensembles, Weill privilégie la progression de l’action et exacerbe les sentiments. De fait, dans cette peinture d’une rue new-yorkaise peuplée d’immigrants attirés par le rêve américain mais dépassés par un capitalisme ravageur et minés par l’alcool et le chômage, entre scènes de violence ou constats de désespoir parviennent à s’intercaler des numéros plus légers. Mais, dans l’atmosphère suffocante de cette soirée de canicule, même si on goûte ponctuellement aux joies des cornets de glace (« Ice Cream Sextet »), qu’on fête l’obtention d’un diplôme au collège (« Wrapped in a Ribbon and Tied in a Bow »), qu’on s’imagine sur Broadway (« Wouldn’t You Like to Be on Broadway ? ») ou qu’on y soit vraiment (« Moon-Faced Starry-Eyed »), on se noie dans l’amertume, la frustration et la déception et les rares étincelles de bonheur sont vite étouffées.

Les représentations de Street Scenes auront lieu du 19 au 27 avril à la MC93 de Bobigny par les musiciens de l'Orchestre atelier Ostinato et les artistes en résidence à l’Académie de l'Opéra national de Paris, toutes et tous dirigés par la cheffe d’orchestre Yshani Perinpanayagam. La mise en scène est signée Ted Huffman. Renseignements et réservations sur le site de l'Opéra de Paris.


Du 14 au 20 avril, l'Opéra national de Lorraine (Nancy) affichera Der Silbersee (Le Lac d'argent). Lorsqu'il compose cette œuvre en 1932, Kurt Weill a déjà derrière lui L'Opéra de quat'sous et Grandeur et décadence de la ville de Mahagonny, et il est encore en Allemagne mais plus pour longtemps : la première est donnée en février 1933 quelques semaines après l'arrivée au pouvoir des nazis. Défini comme « une pièce avec de la musique », Der Silbersee: ein Wintermärchen (Le Lac d'argent, un conte d'hiver) se situe entre l'opéra, le théâtre et le cabaret, et semble, comme toujours avec Weill, vouloir moderniser des formes plus anciennes. Il suffit d'écouter l'ouverture, la chanson "Cäsars Tod" ou encore "Le Tango de l'agent de loterie" pour s'en rendre compte. Sur le fond, même si son librettiste ici n'est plus Bertolt Brecht mais Georg Kaiser, on retrouve l'humour grinçant, l'absurde, la misère humaine... Olim, un policier pris de remord après avoir tiré sur un miséreux affamé volant un ananas, décide d'utiliser ses gains au loto pour aider, sans lui révéler son identité, celui qu'il a rendu infirme. Mais le désir de vengeance de l'invalide et la concupiscence d'une femme de chambre vont bousculer ses plans... jusqu'à une fin inattendue, moins sombre qu'on ne s'y attendrait, presque miraculeuse.

Pour mémoire, Le Lac d'argent avait été donné en français en décembre 2003 au Théâtre Silvia Monfort par l'Opéra Éclaté dans une mise en scène d'Olivier Desbordes avec Michel Fau dans le rôle d'Olim. À Nancy, ce sera le stupéfiant comédien Benny Claessens, dans la mise en scène extravagante et engagée d'Ersan Mondtag, qui a remporté le prix de la meilleure coproduction européenne par le Syndicat français de la critique. Réservations et renseignements sur le site de l'Opéra national de Lorraine.


Enfin, moins prestigieux mais incontournable dans le domaine de la petite forme musicale, le Théâtre de l'Essaïon remet à l'affiche, 28 mars au 16 mai, La vie est Kurt avec Ana Isoux et Bertrand Ravalard, un captivant tour de chant mis en scène qui propose avec rage et humour une galerie bigarrée des personnages de Kurt Weill et Bertolt Brecht.

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