Portraits croisés de deux héros de la lutte pour les droits civiques.
Première partie — Baldwin-Avedon : entretiens imaginaires
Texte : Kevin Keiss et Élise Vigier.
Mise en scène : Élise Vigier.
Avec Marcial Di Fonzo Bo et Jean-Christophe Folly.
« Un portrait n’est pas une amabilité mais une opinion » , déclarait Richard Avedon. On ne s’attendait pas à ce qu’en 1963, l’enfant chéri de la mode s’embarque dans une odyssée photographique avec l’écrivain James Baldwin. L’un est blanc et juif, l’autre noir et homosexuel. Tous deux sont américains et portent sur les États-Unis un regard qui n’élude pas la douleur, un regard amoureux, d’une clairvoyante lucidité. Élise Vigier imagine un dialogue en superposant leurs voix à celles des acteurs Marcial Di Fonzo Bo et Jean-Christophe Folly. Se dessine alors une carte de l’intime et du politique.
Seconde partie — Portrait de Ludmilla en Nina Simone
Texte et mise en scène : David Lescot. Avec Ludmilla Dabo et David Lescot.
La chanteuse et pianiste Nina Simone est née dans une famille pauvre de Caroline du Nord en 1933. Elle aurait pu devenir concertiste classique mais elle était noire. Elle portera toute sa vie le deuil de ce destin. David Lescot dresse d’elle un portrait théâtral et musical. Sur scène, à la guitare, il donne la réplique à Ludmilla Dabo, actrice et chanteuse, nourrie au biberon du blues, du jazz et de la soul. La vie de Ludmilla se mêle à celle de Nina pour ce portrait plein d’humour, de tendresse face à la violence.
Production : Comédie de Caen – CDN de Normandie | Coproduction (2de partie) : Compagnie du Kaïros.
Notre avis : James Baldwin-Nina Simone offre l’opportunité de découvrir deux spectacles différents évoquant chacun un artiste noir ayant vécu en Amérique pendant la période de ségrégation raciale.
Première partie — Baldwin-Avedon : Entretiens imaginaires
L’écrivain James Baldwin, figure de la lutte pour les droits civiques, et le photographe Richard Avedon étaient amis. Dans une Amérique où la ségrégation raciale et le puritanisme étaient de mise, leurs différences auraient pu les opposer : couleur de peau, sexualité, religion… Les échanges entre ces deux amis qui ont également travaillé ensemble font se croiser leurs regards sur l’Amérique et sur leurs parcours respectifs.
Les comédiens sortent parfois de leurs personnages pour évoquer leurs propres souvenirs. Jean-Christophe Folly (James Baldwin) et Marcial Di Fonzo Bo (Richard Avedon) ont des origines situées pour l’un au Togo, pour l’autre en Argentine. Ce qui pourrait s’apparenter dans un premier temps à de simples anecdotes trouve au fur et à mesure une résonance particulière au regard de leurs dialogues dans la peau de Baldwin et d’Avedon. La notion d’identité dans une acception large (couleur de peau, statut social…) est questionnée sous différents aspects : celle dont on prend conscience, celle à laquelle l’autre nous renvoie, celle qu’on souhaiterait parfois afficher…
Le duo formé par Jean-Christophe Folly et Marcial Di Fonzo Bo fonctionne bien. Ils passent avec aisance des rôles de Baldwin et Avedon à leurs propres rôles. Quelques séquences musicales sont intégrées au spectacle et une belle scène dansée prend même pour référence Fred Astaire.
Elise Vigier qui co-écrit le spectacle (avec Kevin Keiss) et le met en scène parvient, à partir d’une certaine histoire de l’Amérique, à donner un caractère plus universel à son œuvre. Entretiens réussis !
Seconde partie — Portrait de Ludmilla en Nina Simone
David Lescot met en lumière deux grandes artistes avec ce Portrait de Ludmilla en Nina Simone. Des moments forts de la vie de Nina Simone sont retracés depuis son enfance. Si elle a connu de grands succès, elle a également vécu plusieurs épreuves qui ne sont pas occultées. Alors que la future chanteuse rêve d’être une pianiste classique de renom, un grand institut de musique ne l’accepte pas parmi ses élèves, sa couleur de peau semblant être un handicap. Plus tard, alors qu’elle est célèbre, elle est interpellée sur le rôle qu’elle pourrait jouer dans la lutte pour les droits civiques et décide de s’impliquer activement. Elle le fera notamment en chantant certains textes engagés, quitte à affronter la censure dans certains États du Sud.
Ludmilla Dabo est rayonnante dans le rôle de Nina Simone. Dès le premier tableau, sa voix chaude et son jeu captent le spectateur. Elle navigue avec facilité entre différents registres : énergie, sensualité, émotion, humour… David Lescot a choisi une artiste remarquable et pleine de charisme. Il a le privilège d’être son partenaire sur scène tant dans les dialogues que dans les séquences musicales (au chant et à la guitare). Le spectacle est joué sur un espace réduit et dépouillé, à dominante de noir et blanc. La sensation d’intimité est confortée par la variété des éclairages subtils de la scène.
Certains événements de la vie de Ludmilla Dabo sont évoqués, en écho à ce que Nina Simone a parfois pu vivre. Sans en dire trop, le titre « Portrait de Ludmilla en Nina Simone » a véritablement du sens. Alors que certaines situations décrites sont sombres ou délicates, le spectacle est mené avec rythme et énergie, à l’image quelque part d’une Nina Simone au caractère bien trempé. On aura d’ailleurs la confirmation jusqu’à la dernière seconde du spectacle qu’une approche combative et positive est un atout. Le sourire des spectateurs à l’issue de la représentation en témoigne.