À l’heure où nous quittons Romainville et la fondation Fiminco après cinq merveilleuses semaines de répétitions pour migrer vers le Théâtre du Châtelet, un petit retour s’imposait. Cinq semaines de travail, de recherche, de création, de rires, de larmes, d’émotions.
Tout cela a commencé par deux journées de répétition musicale où nous nous sommes tous découverts, non sans un certain stress car sous l’œil expert et l’oreille attentive des auteurs Claude-Michel Schönberg et Alain Boublil. Quel privilège que leur présence, leurs conseils, leur gentillesse. Avec à la baguette Alexandra Cravero et Charlotte Gauthier, et au piano Arnaud Tibère-Inglesse, nous avons traversé l’œuvre dans son entièreté, chacun derrière son pupitre mais dans une vraie communion, et nous sommes rendu compte, si c’était encore nécessaire, de la formidable histoire que nous allions avoir la chance de raconter.
Puis, dès le lendemain, les répétitions au plateau ont débuté, menées par le maestro Ladislas Chollat, dont les mots si émouvants et justes sur l’histoire, sur Victor Hugo, nous ont dès cette première matinée embarqués dans cette merveilleuse aventure. Il nous a présenté sa méthode : avancer vite pour arriver le plus rapidement aux filages, seul et unique moyen d’identifier réellement les éléments à corriger, les scènes à retravailler, les placements à modifier. Dans la salle Tréfouel de la fondation Fiminco, nous avons œuvré, à raison de 6 jours de travail par semaine, en deux sessions, une première de 10h à 13 h puis une seconde de 14h30 à 18h 30 avec, entre les deux, les mémorables déjeuners, où la troupe se divisait en plusieurs équipes selon les envies du jour, en salle de repos ou dans les restaurants du centre commercial Paddock à proximité. Un rythme et une organisation réglés comme du papier à musique, orchestrés par notre merveilleux régisseur général Dominique Mounérat.
Lorsque nous n’étions pas requis sur le plateau, c’était l’occasion d’entamer un travail d’orfèvre sur le chant et le texte avec Charlotte et Alexandra. C’était notamment le cas lors de journées plus consacrées au travail chorégraphique, un élément nouveau dans cette production par rapport aux précédentes. Ce pouvait également être l’occasion de rejoindre Ladislas pour un travail détaillé de jeu, d’interprétation, pour préciser les intentions, entrer plus dans le détail de l’histoire et des rapports à construire.
Quel plaisir c’était de voir le spectacle se construire petit à petit, jour après jour, de nous voir avancer pas à pas dans cette folle histoire. Durant nos pauses à la mi-temps de chaque service, nous nous sommes également découverts humainement en discutant de nos parcours, de notre rapport à l’œuvre ou à notre rôle, en échangeant des points de vue ou des conseils. Il était parfois nécessaire de se réconforter après une scène difficile émotionnellement et Dieu sait que le spectacle n’en manque pas, comme par exemple celle de la mort du petit Gavroche.
Chaque fin de journée, nous repartions avec un bout d’histoire en plus, de nouveaux axes de travail, parfois des doutes ou des questionnements, mais toujours le certitude d’avancer.
Au bout de quatre semaines, le spectacle était monté, évidemment pas prêt à être présenté sur scène, mais, comme le dit Ladislas, un premier « monstre » s’était fait jour. La cinquième semaine fut consacrée à plusieurs filages, précédés de raccords des scènes qui avaient nécessité d’être retravaillées au vu du filage précédent. De sorte de toujours préciser et améliorer, et d’assister au bal des différents techniciens et accessoiristes, qui assuraient merveilleusement la fluidité des enchaînements entre les différents tableaux. C’est également pendant cette dernière semaine de répétitions que nous ont rejoints sur le plateau les enfants qui joueront Cosette enfant, Éponine enfant et Gavroche, avec toute leur joie d’être là, et leur interprétation pleine de fraîcheur. Les deux derniers jours, les doublures ont assuré les rôles principaux pour deux filages complets, apportant avec elles de nouvelles couleurs inspirantes et une nouvelle énergie, ainsi que les swings, véritables couteaux suisses capables de remplacer au pied levé plusieurs des membres de la troupe.
Au cours de cette belle période qui est passée à une vitesse folle, ce sont, me concernant, les différentes facettes de Marius qu’il m’a fallu construire, un travail d’ailleurs toujours en cours. En faire autre chose qu’un simple amoureux : certes d’abord détourné de l’enjeu politique par son amour inconditionnel pour Cosette, il devient en effet progressivement un vrai chef de meute aux côtés d’Enjolras, malgré peu de texte sur lequel s’appuyer pour construire cette dimension-là du rôle. Il m’a donc fallu trouver d’autres appuis, puiser notamment dans le rapport au groupe des autres étudiants, modifier mes placements, composer une attitude, préciser des choses vocalement. J’ai énormément regardé les vidéos qu’Éric, l’assistant de Ladislas, partageait avec nous après chaque filage, pour améliorer, travailler, modifier et enrichir mon Marius, que je voulais plus complexe et riche. En allant aussi puiser dans l’énergie de mes partenaires principaux de jeu, Cosette, Éponine et Enjolras.
Je n’ai pas peur de dire qu’une famille, le mot n’est pas trop fort, de Misérables est née, et c’est ce lien, cet élan commun, que nous allons bientôt pouvoir partager avec le public.
Comme l’a dit Ladislas, durant les deux dernières semaines avant les premières, en arrivant au Châtelet, c’est la technique, élément ô combien essentiel et nouveau, qu’il va falloir intégrer à notre édifice. Le travail est encore long mais nous sommes au bon endroit. L’excitation est réelle, commune et forte. La hâte de raconter une nouvelle fois cette histoire, immense.
Jacques Preiss
Merci pour ce témoignage touchant et détaillé. J’espère que vous ferez rentrer ce fabuleux musical dans le coeur de milliers de Français.