Il est une heure du matin, vous sortez tout juste de scène, qu’éprouvez-vous ?
C’est un bonheur total. Quel plaisir, quelle chance. On revit ! La période est si particulière, si compliquée pour tous les artistes, que je mesure à chaque instant la chance que nous avons. D’autant que depuis quinze jours (une tournée à Busan puis Séoul), le public, très demandeur, a largement répondu présent. Il y a les fans de comédies musicales françaises mais pas que. C’est la folie, les salles sont bondées, ça hurle, ça crie. Les spectacles en français ont véritablement une seconde vie en Asie, ils font un carton.
Ce spectacle est un hommage aux Misérables ?
C’est une version concert du spectacle, autour d’un orchestre symphonique composé de Coréens et dirigé par le maestro coréen Yun Hyuck Jin. Une pléiade de costumes d’époque, beaucoup d’effets de lumières et deux écrans led captant en direct le jeu des acteurs en gros plan. Au rappel, nous chantons tous ensemble un tribute, hommage aux « comédies musicales à la française » : vingt minutes d’extraits des gros succès de ces dernières années, Notre-Dame de Paris, Roméo et Juliette, Mozart, l’opéra rock, avant « À la volonté du peuple », chant iconique des Misérables. Le public est déchaîné. Il y a quelques jours, l’équipe coréenne de Cameron Mackintosch, KCMI (Les Misérables Korea) est venue voir le concert à Busan, puis à Séoul. Ils ont adoré. Nous avons la bénédiction du Grand Chef, quelle fierté !
Comment est composée la troupe?
Nous sommes dix-huit artistes français, venant tous d’horizons très différents. La production coréenne souhaitait une version en français. Ils avaient dans leur esprit quelque chose qui se rapproche plus de la version 80 que de celle de 91 au niveau des interprètes. Davantage pop-variété que lyrique. Heureusement pour moi !
Dans le groupe, on retrouve donc aussi bien des artistes du musical pur, comme Noémie Garcia/ Fantine (Mozart, l’opéra rock, Mistinguett, My Fair Lady), Romain Fructuoso / Enjolras (Roméo et Juliette, Le Fantôme de l’Opéra…) ou le rockeur Roland Karl /Javert (Roméo et Juliette), que des chanteurs lyriques : la soprano Anne-Marine Suire (Cosette), le ténor Émilien Marion (Marius), le baryton Alexandre Artemenko (Thénardier). Pour certains, c’est leur première tournée à l’étranger, d’autres sont rodés. Mais toutes ces générations, toutes ces origines, tous ces styles, se sont mélangés pour créer quelque chose d’assez homogène. J’ajoute aussi la présence de deux enfants : Madeleine et Gaspard (une petite Cosette et un Gavroche). Leurs parents travaillent ici. Du haut de leur de 5 ans et 14 ans, ils sont impressionnants dans leur rôle !
Vous êtes un peu le grand frère de toute cette troupe !
C’est vrai que je me suis retrouvé à faire le lien entre tous. Involontairement ! Comme Romain ou Noémie, j’ai déjà eu l’occasion de travailler sur un grand nombre de productions en Asie, ce qui m’a permis d’acquérir une certaine expérience en la matière. J’ai donc assumé ce rôle du grand frère, en prodiguant quelques conseils, en communiquant au nom du groupe… Jean Valjean étant lui-même la pierre angulaire de l’histoire, tout cela s’est fait naturellement. Nous avons, au final, une vraie belle équipe, dans toute sa diversité et ses différentes couleurs. Une belle petite famille française, soudée, à 9 000 kilomètres de chez elle. Nous avons une chance inouïe d’être sur scène, de pouvoir jouer une œuvre magistrale. Il y a entre nous quelque chose de très fort, qui s’est amplifié au fil des semaines.
Justement, participer à ce spectacle n’a pas dû être simple…
Il est certain que même si je tourne en Asie depuis quinze ans, ce show-concert est une expérience totalement inédite ! Ce fut un véritable parcours du combattant en raison du contexte sanitaire. Rien ne pouvait être fixé et, jusqu’à la première, ce fut l’incertitude.
Trois mois d’attente sur place pour enfin monter sur scène ! Outre la nécessaire quarantaine, la préparation, la promo, le spectacle a été maintes fois repoussé pour des raisons sanitaires. Il fallait à chaque fois tout réorganiser en urgence. Nous avons dû nous adapter et faire preuve de réactivité. Ainsi, nous avons mis en place un système de répétitions hebdomadaires avec le maestro et son pianiste, tandis que l’orchestre travaillait de son côté. Je dois dire que l’équipe coréenne a été aux petits soins. Même si la veille d’un concert, nous n’étions toujours pas sûr de jouer ! Tout ça était assez inédit et stressant, mais, finalement, à l’image de ce qui se passe dans le monde et qui nous dépasse.
C’est la première fois que vous interprétez Valjean…
En 2013, lors d’une audition, j’avais rencontré James Powell qui allait diriger une version pour les États-Unis. Il me pressentait possiblement pour le rôle. J’allais devenir papa, ça a stoppé net le projet. Mais ce rôle mythique était évidemment resté dans un coin de ma tête. Quand huit ans plus tard, ce rôle est revenu, je n’ai pas hésité. D’autant qu’au milieu de ce no man’s land que tous les artistes ont vécu l’an dernier, cette proposition soudaine venue de Corée était une superbe occasion. Je me voyais en Javert, mais ils me voyaient en Valjean. Ce fut acté. Un véritable honneur.
Il faut dire que vous n’êtes pas un inconnu là-bas…
J’imagine que mes tournées successives en Asie dans différents rôles et productions ont joué en ma faveur. Je suis arrivé avec la toute première équipe de Notre-Dame en Corée il y a seize ans, puis il y eu Le Petit Prince, Mozart, Le Rouge et le Noir, et mes nombreux concerts solo. J’ai ici un public très fidèle, qui est à l’affût.
Comment expliquez-vous l’accueil que vous avez reçu ces dernières semaines ?
Les spectacles français rencontrent un succès inattendu en Asie. C’est une folie. Le public asiatique adhère totalement à la nature même de ce genre de shows – tel Les Misérables – entre le musical et le concert. Ils sont d’ailleurs culturellement très proches du West End et de Broadway. Ils connaissent beaucoup mieux qu’en France les grands classiques comme Le Fantôme de l’Opéra, Miss Saigon, Les Misérables, Wicked... C’est dans leur culture. Sur tout le continent, il y a des tournées régulières de grands classiques anglais, américains ou allemands. Mais l’engouement est encore plus subtil avec la France. L’Histoire, l’amour, la mort, « aimer à en mourir », la passion… dans leur esprit, c’est quelque chose de très français… sans compter notre langue qu’ils adorent : elle évoque pour eux la mer, les vagues, quelque chose de très doux. Les Misérables, avec ce récit, cette passion, ce romantisme de Victor Hugo, cette histoire à échelle humaine au cœur de l’Histoire de France, tout est réuni !
Vous revenez en France dans quelques jours ?
Je suis parti fin janvier, ma famille me manque. Je vais chanter à Belle-Île-en-Mer, puis en août, je partirai avec Chiara di Bari, Yoann Launay, Stéphanie et Yannick Schlesser en Hongrie, d’où mon père était originaire, pour faire une série de concerts à Budapest. Nous allons créer un spectacle autour de la chanson française. D’ici là, j’irai applaudir les uns et les autres. Tous les artistes ont besoin de remonter sur scène, de retrouver le public. C’est notre raison de vivre. En Corée, chaque soir, au rappel, je prenais la parole au nom de la troupe, pour le dédier à tous nos amis artistes en France. À des milliers de kilomètres, nous étions unis par l’art aux artistes français.