Comment définiriez-vous Comédiens ! ?
Marion Préïté : On le voit comme une pièce de théâtre avec de la musique dedans, mais où toutes les musiques sont justifiées. Nos personnages ne sont pas des gens qui tout d’un coup se mettent à chanter pour exprimer leurs émotions mais des gens qui répètent une pièce dans laquelle il y a de la musique.
Fabian Richard : Je ne sais plus qui a dit ça, mais je reprendrais bien ces mots : c’est un « marathon émotionnel » [NDLR : la critique de Regard en Coulisse !]. Je trouve ça très juste, aussi bien pour nous que pour les spectateurs. C’est comme une montagne émotionnelle qu’on gravit.
Cette pièce demande une palette peut-être un peu plus spécifique que dans d’autres spectacles musicaux. Est-ce que ces exigences se ressentaient déjà au moment des auditions ?
Cyril Romoli : La première contrainte était que les auteurs savaient déjà que 90 % de la musique serait jouée en direct, donc ils ont auditionné des acteurs qui étaient capables de jouer d’un instrument et d’accompagner. Ce qui est déjà une spécificité.
Marion Préïté : Ça pouvait être n’importe quel instrument, mais en tout cas, pour l’audition, il y avait un texte, une chanson où l’on s’accompagnait soi-même (à la guitare en ce qui me concerne) et une chanson. Et on ne pouvait pas déroger à la règle.
En voyant la pièce, on ressent particulièrement l’alchimie du trio. Il y a eu des essais de combinaisons avant que vous ne soyez choisis pour la pièce ?
Fabian Richard : Il me semble qu’au départ, ils étaient partis sur d’autres pistes, puis en nous voyant tous les trois ensemble, ils se sont dit que c’était ça.
Marion Préïté : Ça semble banal de dire ça, mais pour nous, ça a été une évidence.
Cyril Romoli : Pour l’anecdote, ils m’avaient envisagé dans le rôle de Pierre mais ont choisi Fabian. Ils m’ont alors demandé d’auditionner pour le personnage de Guy. Avec Fabian, ça fait des années qu’on se connaît et qu’on a du plaisir à jouer ensemble, et avec Marion, ça a été évident dès l’audition.
Sur une création telle que celle-là, quelle est la part d’apport du comédien ? Avez-vous eu une certaine liberté ?
Marion Préïté : La grande chance qu’on a eue, c’est que le spectacle a beaucoup évolué quand ils nous ont trouvés.
Fabian Richard : Ils avaient l’histoire mais n’ont commencé à écrire que lorsqu’ils ont eu leur distribution. Ils ont écrit pour nous, puis ils nous ont donné le texte, avec des enjeux qui étaient très clairs, mais ils nous ont laissé proposer des choses, ils nous ont parfois emmenés plus loin, mais rarement ailleurs, car c’était fait pour nous. Souvent, on n’était pas très loin de la vérité dès le premier jet.
Cyril Romoli : Raphaël Bancou [compositeur] a adapté des choses par rapport à la réalité du plateau, et Samuel Sené [metteur en scène] a toujours été à l’écoute de nos propositions et de nos interrogations, quitte à parfois remettre en cause ses propres envies.
Fabian Richard : La pièce raconte l’histoire de comédiens, en 1948, qui viennent à la Huchette jouer un vaudeville écrit en 1890. Et ce qui a été un peu désarçonnant pour nous, mais très intéressant dans le processus, c’est qu’on a commencé, pendant quinze jours, par répéter ce vaudeville, qu’on ne joue pourtant jamais tel quel dans la pièce. Mais ça a simplifié tout le travail qui a suivi et notamment la déstructuration de ce vaudeville.
Marion Préïté : Au début, on trouvait ça frustrant de passer autant de temps sur le vaudeville alors que la date de notre première approchait, mais Samuel savait très bien où il allait et il a eu totalement raison.
Cyril Romoli : J’ai vraiment eu le sentiment d’un travail de compagnonnage, d’équipe et d’artisans.
La pièce joue sur différents registres. Il y a l’action qui se passe en 1948 et qui est dans un certain style, et ce vaudeville, donc, qui est plus décalé. Avez-vous fait un travail particulier par rapport à ça ?
Fabian Richard : Pour le vaudeville, on a beaucoup travaillé la corporalité, pour que ce soit bien clair pour le public que les codes de jeu sont différents : le corps est différent, la voix porte plus, il y a des adresses au public, tandis que pour les personnages de 48, Samuel voulait un jeu naturaliste. Après, on est comédiens, on a puisé en nous. Et comme ça a été écrit pour nous, il n’y avait pas à chercher très loin finalement.
Dans ce « marathon émotionnel », quels sont les moments que vous appréhendez le plus ?
Marion Préïté : Pour moi, vocalement, c’est un challenge, car je navigue entre beaucoup de registres différents. Quant au parcours du personnage, il faut que tout monte graduellement, sans anticiper, toujours se laisser surprendre, rester concentré et vigilant pour que le spectacle reste vivant.
Fabian Richard : Je n’appréhende rien de spécial car c’est un spectacle qui me rend vraiment heureux. Quand une scène se finit, j’ai hâte d’être à la suivante. J’ai des partenaires et un texte incroyables. Si je ne suis pas heureux là, ça va être difficile de l’être ailleurs !
Cyril Romoli : C’est un mélange de mes deux camarades. Il y a un vrai bonheur à passer toutes les étapes de ce personnage. Pour moi, la chose la plus délicate, c’est que pour que ce spectacle fonctionne, il faut être dans un naturel absolu. Par sa complexité d’organisation et la multiplicité des actions à faire en très peu de temps, ce spectacle demande beaucoup de concentration, et comme disait Marion, il ne faut pas anticiper. On doit toujours être sur l’instant et réinventer systématiquement notre écoute, notre réponse, notre vécu.
Un mot pour conclure ?
Cyril Romoli : On a parlé d’une équipe artistique mais on n’a pas encore parlé – et je crois pouvoir parler au nom de mes camarades et de notre metteur en scène – du lieu qui nous produit et nous accueille. Il y a une envie et une volonté réelles de la Huchette de faire de bons spectacles musicaux, rares, différents, intéressants et qui sont de vraies pièces de théâtre. Il y a une recherche, un vrai risque qui est important pour ce petit lieu, petit par sa taille mais pas par son exigence. Même s’ils ne sont pas les auteurs du spectacle, ils ont leur part dedans, ils nous suivent, nous soutiennent et il y a un plaisir particulier pour nous de travailler dans ce lieu.
Comédiens ! Au Théâtre de la Huchette, jusqu’au 23 juin 2018.
Lire notre critique du spectacle.
Lire notre interview de Samuel Sené, auteur du concept et metteur en scène.