Quel est votre parcours ?
Dans mon cas, on ne peut pas véritablement parler de vocation, mais de rêves qui s’accomplissent. Parisien du XIIIe arrondissement, je ne suis pas du sérail – mes parents sont professeurs de lettres. Mon parcours scolaire tient du classique : un bac série S suivi de deux ans de classe préparatoire scientifique à l’issue desquelles, en plus des concours d’écoles d’ingénieur qui constituent la suite habituelle, j’ai passé celui de l’ENAC (École nationale de l’aviation civile) à Toulouse pour être pilote de ligne, premier rêve persistant depuis mon enfance mais qui restait un peu comme impossible à réaliser. J’ai été admis en 2012, j’ai suivi mes trois ans du cursus, et il se trouve que le dernier jour de ma formation de pilote a coïncidé avec mon premier jour au cours Florent !
Entre mes deux dernières phases de ma formation de pilote je disposais de six mois off ; j’en ai profité pour faire des choses dont j’avais envie sans avoir eu le temps de m’y consacrer, le théâtre en faisait partie. Je me suis inscrit au stage d’entrée « Formation de l’acteur » chez Florent car je ne connaissais pas d’autres écoles et j’ai été retenu. Je suis entré après la fin de ma formation et, comme je n’avais pas encore de travail en tant que pilote – j’étais instructeur dans un aéroclub , j’ai pu m’y consacrer. La possibilité de gérer mon emploi du temps m’a permis de me former en choisissant les cours du soir de 19h30, trois fois par semaine, sans parler des répétitions avec les copains.
À la fin de la deuxième année j’ai obtenu un poste d’instructeur à Biscarrosse et ai donc dû quitter Paris. Dans la foulée, j’ai été embauché chez Easy Jet et j’ai dû déménager cette fois en Angleterre, laissant de côté le théâtre. Petit détail technique concernant le pilotage : il ne faut pas imaginer que l’on est formé pour piloter tous les types d’avion. Quand vous intégrez une compagnie, vous devez passer une qualification – Airbus pour Easy Jet. En effet, les types d’appareil sont très différents et exigent à chaque fois un apprentissage pointu. J’ai pu revenir à Paris et terminer le troisième module du cours Florent.
Et votre formation en comédie musicale, dans tout cela ?
Durant cette troisième année en 2018, j’ai découvert la mise en place de la Classe libre de comédie musicale, en partenariat avec Mogador. Je chantais pour moi, sans avoir pris de cours, depuis plusieurs années, en m’enregistrant, en réalisant mes vidéos. Je ne composais rien, mon « répertoire » était composé de reprises pop rock, variété française… La danse était en revanche un problème. J’ai postulé et j’ai été pris. Le cursus de deux ans était constitué de quatre jours par semaine de cours, plus les répétitions, tout en sachant qu’au départ nous ne devions pas faire de spectacle… Nous en avons fait quatre ! Frédérique Farina, la directrice, appliquait son principe, qui me convenait bien : tout axer sur la formation plutôt que de préparer des spectacles. Les hasards s’en sont mêlés et des choses se sont mises en place… Il m’a fallu jongler avec Easy Jet (j’ai posé tous les congés possibles pour ne pas rater une classe… au final j’ai été absent huit jours). Une chose est sûre, cette formation fut une bifurcation, même si le théâtre en prose m’intéresse toujours. Ce fut une aubaine folle que j’ai pu combiner avec mon métier de pilote. Je n’avais pas la pression de trouver un rôle immédiatement, et j’ignore si j’aurais eu le courage de tout miser sur le métier de comédien. Cette double casquette m’a permis de ne pas lâcher.
Comment avez-vous découvert Les Misérables ?
Comme beaucoup, j’ai lu des extraits à l’école. Le premier contact avec la comédie musicale remonte à la Classe libre puisque nous avons interprété Les Misérables a cappella en version d’une heure. J’incarnais Jean Valjean, un rôle très exigeant vocalement, et, sans instrument pour nous soutenir mais en trouvant par nous-mêmes des harmonies de chœur, musicalement très complexe. Quant au premier contact concret avec l’intégralité du roman, cela date du confinement. J’ai profité de ces mois de liberté pour lire cinquante pages par jour. C’est à mes yeux le plus beau livre que j’ai lu de ma vie. Je me suis retrouvé embarqué dans cette épopée qui me coupait du monde. Un passage m’a marqué, qui ne se trouve pas dans la comédie musicale : le récit de la bataille de Waterloo, qui s’étend sur des dizaines de pages. Lors des deux dernières pages, Victor Hugo décrit le champ de bataille avec une ombre qui se détache d’un homme qui détrousse les soldats morts. Il prend une bague d’un homme encore vivant qui croit être sauvé. Ils échangent leurs noms : Thénardier, Pontmercy. Toute cette longue description pour aboutir à la rencontre entre Thénardier et le père de Marius.
Mais… en fait, mon premier contact avec la comédie musicale est lié à l’audition pour la Classe libre. Nous avions à choisir parmi une liste chansons. J’avoue que je n’avais aucune culture de la comédie musicale, à part quelques films hollywoodiens de l’âge d’or que mon père m’avait montrés. Je ne me suis pas jeté sur un air en particulier parce qu’il aurait correspondu à mon musical favori. De manière pragmatique, j’ai écouté les titres et le dernier de la liste pour barytons, « Seul devant ces tables vides », me touche, je le choisis. Jamais je n’aurais pu imaginé que six ans après, je le présenterais lors du showcase pour le spectacle au Châtelet !
Comment s’est déroulée votre audition pour le spectacle ?
Ce fut rocambolesque et long, comme pour beaucoup de mes camarades. Voilà environ un an, j’ai demandé autour de moi si des auditions étaient prévues pour le rôle de Marius. On me répond qu’il est attribué. Durant le spectacle de Noël à Disney l’hiver dernier, en discutant avec les copains, je découvre que les auditions sont de nouveau ouvertes. J’envoie donc un courriel au Châtelet, leur réponse arrive dans mes spams, heureusement ils me relancent et me demandent une vidéo de « Seul devant ces tables vides ». Le lendemain je reçois une proposition d’audition. Je devais préparer, en plus de cette chanson, l’air avec Éponine après le casse de la rue Plumet, « Le Cœur au bonheur », et la fin de « Dans ma vie ». Je rencontre donc une dizaine de Marius potentiels et ceux qui passent avant moi reviennent assez vite, après avoir chanté le premier titre. J’entre dans la salle et je comprends « On vous écoute pour votre âge » alors qu’il m’a été dit « On vous écoute pour votre air ». Mon cerveau m’a rappelé in extremis la bonne question. On me demande d’interpréter les quatre airs… Je considère cela comme un signe encourageant. L’après-midi on me propose d’être la doublure Marius et d’intégrer l’ensemble, ce que j’accepte illico, je suis aux anges. On me prévient qu’il faut toutefois attendre la validation définitive par Cameron Mackintosh. Quelque temps plus tard, on me propose une session de travail avec Ladislas Chollat et Claude-Michel Schönberg – ce dernier n’était pas présent à l’audition. Je me prépare comme une audition, on ne sait jamais. J’arrive en avance, on me demande de venir illico pour chanter avec Océane Demontis qui devait partir vite. Comme pris au dépourvu, nous commençons par « Le Cœur au bonheur ». Claude-Michel m’interrompt pour me dire : « Je vous vois entrer, je me dis qu’il est pas mal, ce gars. Mais je m’attends à une marmite d’eau bouillante, et j’ai un bol d’eau chaude. » Je reprends, il se montre encourageant. Pour la mort d’Éponine, je me trouve avec Océane, tous deux debouts devant le pupitre, alors qu’elle est censée être dans mes bras. Le conseil salvateur de Claude-Michel nous libère : « Il faut un contact, jouez ! », ce que nous faisons. Je me souviens qu’il se passe quelque chose grâce à ma partenaire. En fait nous avions le sentiment d’avoir dépassé l’audition pour avoir la sensation de jouer véritablement. Claude-Michel dit à la fin : « C’est très bien. » Je termine par « Seul devant ces tables vides », dirigé par Ladislas. Tout se termine, je suis plutôt content, mais sans certitude. Un mois après, je n’avais aucune nouvelle précise. Avec Océane nous envoyons un courriel. De mon côté, je suis confirmé comme doublure, elle est en attente de validation. Le titulaire de Marius me dit qu’il n’est plus validé. Quelques jours plus tard, Sophie Peltier me laisse un message et m’informe que je suis choisis et « validé » pour interpréter Marius. Immense bonheur dû en partie au hasard et à la chance : si je n’avais pas discuté lors des représentations chez Disney, je ne serais pas là !
Dans quelle mesure vos aptitudes de pilote vous servent sur scène ?
Bien entendu, il n’est pas possible de comparer les deux métiers, les points communs sont loin d’être évidents. Toutefois, la gestion de l’imprévu en est un. Dans un avion, en cas de panne, il faut savoir réagir sans perdre tes moyens. Sur scène il se passe aussi souvent des choses imprévues. Aussi peut-être la capacité de passer à autre chose après ce genre d’incident. Savoir rebondir, sans abandonner. Par exemple sur l’audition où l’on peut être parfois bousculé, j’ai appris à ne pas prendre à cœur les remarques qui pourraient être déstabilisantes. Et puis avoir ces deux passions, l’aéronautique et le théâtre, me permet aussi de vivre cette part artistique sans être stressé par avoir du travail. Cela constitue une chance, celle de postuler aux spectacles auxquels j’ai vraiment envie de participer. En contrepartie d’autres ont peut-être une ténacité plus grande que moi… Et encore, quand je vois comment j’étais en arrivant à l’audition, ça va !
Vous vous préparez pour les répétitions ?
Elles débutent fin septembre et dureront un mois et demi, ce qui n’est pas courant. En attendant, je continue à voler. Depuis 2020 je suis chez Air France, en passant chez Transavia en moyen courrier ; sur long-courrier depuis 2023. Le mois de vacances en août va être mis à profit pour travailler mes partitions. Nous avons déjà travaillé, d’une part, sur le showcase et, d’autre part, sur l’enregistrement de l’album. Nous sommes en mai, j’ai tellement hâte de débuter, de travailler avec les partenaires formidables, tous ces profils vocaux si différents… Je pense que nous allons vivre des choses extraordinaires, nous ferons notre maximum pour les transmettre au public.