Rencontre avec Clovis Schneider, compositeur.
Quelle place occupait la comédie musicale dans votre vie de musicien ou de spectateur ?
Secrètement j’ai toujours rêvé de composer une musique qui passe de la musique instrumentale à la chanson, comme cela est souvent de mise dans les films Disney. Quand Stéphane, pour qui j’avais composé la musique du court-métrage Allée des jasmins, m’a parlé de ce projet, mon premier long-métrage en prime, il m’apportait mon rêve sur un plateau !
Comment votre collaboration s’est-elle organisée ?
Stéphane a des idées très précises, notamment sur le style que devait adopter chaque chanson. Une ouverture « à la Broadway », très jazz, pour la chanson de Cendrillon, utiliser le disco, genre qu’adore le personnage de Coco – et Coco est un peu un double de Stéphane ! On trouve également dans le film un cha-cha-cha… Il m’a offert un exercice de style hors norme. Pour les airs les plus en référence à Broadway, j’ai étudié des partitions, par exemple celle de West Side Story, afin d’étudier le langage musical de Leonard Bernstein. Puis je me lance et compose surtout à partir de ce que m’évoquent les paroles, ou le moment dans le scénario. Je n’essaie pas de faire « à la manière de », mais étudier les grands compositeurs est une bonne formation qui me permet de m’imprégner de ce langage jazz qui ne fait pas partie de ma formation initiale, cette complexité particulière avec ces changements d’harmonie parfois sur tous les temps.
Chaque chanson a-t-elle connu plusieurs versions ?
La plupart du temps oui. Mais, par exemple, la première version de la ballade vietnamienne de Truc Dao, interprétée par Linh-Dan Pham, fut la bonne. J’en étais moi-même étonné, mais ce passage du scénario m’avait parlé et touché si bien que l’inspiration fut immédiate. Bien entendu le travail d’arrangement a permis d’affiner les choses, mais tout était en place. En revanche, il a fallu pas moins de vingt-deux versions pour trouver l’air d’ouverture. De nombreuses contraintes furent à prendre en compte : un plan-séquence, le passage de l’intérieur à l’extérieur, avec un air qui envoie (c’est le début du film), sans pour autant être tonitruant. Il a donc fallu arriver à un subtil équilibre. J’ai pu compter sur la présence assidue de Stéphane, qui passait au studio où je préparais les maquettes pour le tournage, deux ou trois fois par semaine pour écouter, améliorer les chansons durant environ trois mois. Puis vint le tournage et ensuite l’enregistrement définitif.

L’accordéon, discret, ne tient-il pas une place particulière ?
Pour la scène d’ouverture, qui se déroule sur une place parisienne, nous avons assumé le cliché lié à cet instrument. D’ailleurs je m’y suis mis puisque vous pouvez m’apercevoir en jouer dans ce plan. Le père de Stéphane était accordéoniste, nous avons utilisé son instrument tant à l’image qu’au son. On l’entend dans certains intermèdes musicaux. J’ai cherché à conserver le charme de cet accordéon sans gommer ses aspérités.
Avez-vous utilisé uniquement des instruments acoustiques ?
Avec Nelson Malleus j’ai co-développé un instrument virtuel : la bowed guitar, dont on joue sur les cordes avec un archet. Je l’ai utilisée dans la scène des chips brûlées, j’aimais bien que la friction mère/fille ait son pendant musical : d’un côté, un aspect rêche avec cet instrument virtuel ; de l’autre, les arpèges plus doux d’une guitare acoustique. Toujours dans la cuisine, j’ai détourné pas mal d’ustensiles que j’ai "samplés" : des sons de saladiers, de sachets de riz. Ils sont devenus des percussions et prolongent d’une certaine manière l’imaginaire d’Yvonne qui imagine ces sons en cuisinant. Dans mon travail, j’ai cette approche très artisanale : je fabrique tous les sons moi-même, les préférant aux sons synthétiques tout faits. C’est une fabrication continuelle.
Si vous deviez convaincre le public d’aller voir le film...
Vous ne pouvez que passer un bon moment avec ce film solaire ! Un film singulier, qui embrasse des genres musicaux différents et qui, à titre personnel, me donne envie de continuer mes explorations.