Nicole Croisille, depuis ces dernières années, on vous voit dans de nombreuses comédies musicales, mais à quand remonte votre goût pour ce genre ?
A mon enfance, au moment où la France a été libérée par les Américains. J’avais six, sept ans et très vite les films américains sont arrivés, les comédies musicales m’ont sauté à la figure et j’ai trouvé ça magnifique. Je me suis dit que j’allais tout faire pour être capable de chanter, danser, jouer la comédie. Mon père était contre le fait que je fasse une carrière artistique, en revanche, ma mère avait été empêchée par sa famille de devenir une grande pianiste.
J’ai alors suivi un cursus jusqu’à l’université mais je n’y suis pas entrée car à ce moment là, j’ai été engagée à la Comédie Française dans des comédies ballets de Molière, où j’étais danseuse et où je jouais aussi des petits personnages. Puis, je suis partie aux États-Unis à la première occasion. J’ai pris beaucoup de cours là-bas, j’ai passé des auditions, mais c’était très difficile d’obtenir la carte verte pour travailler donc je suis rentrée à Paris.
La musique m’a toujours intéressée. De fil en aiguille, j’ai fait un disque de démonstration, puis j’ai commencé à enregistrer et au bout de treize ou quatorze ans, j’ai fini par avoir un titre qui devienne populaire et ensuite, ça s’est enchaîné. Une fois qu’on est dans la chanson, on y reste et si ça fonctionne, on ne va pas faire autre chose. En plus, des comédies musicales à l’époque, il n’y en avait pas. En 1992, le Théâtre du Châtelet m’a proposé de participer à Hello, Dolly ! en interprétant le rôle-titre, avec une troupe américaine. Ça a été un succès mais derrière, rien ne s’est profilé donc j’ai continué à faire du tour de chant.
Et en 2013, vous avez retrouvé la comédie musicale avec Follies de Stephen Sondheim à l’Opéra de Toulon, dans une mise en scène d’Olivier Bénézech.
Après le miracle d’Hello Dolly !, il y a eu le miracle Follies qui était encore plus formidable dans la mesure où la musique de Sondheim est encore plus exigeante. De plus, Follies aborde un sujet passionnant : Sondheim est le seul auteur à ma connaissance qui ait eu l’idée de travailler avec des gens d’un certain âge qui ont fait ce métier d’artiste. Comment arrivent-ils à vivre quand ils ont passé l’âge ? Ce qui était formidable, c’est qu’on m’a proposé une des plus belles chansons du spectacle : « I’m Still Here », c’est la trajectoire d’une vie.
La saison dernière, vous avez joué Irma la Douce, mise en scène de Nicolas Briançon, dans un registre très différent, en jouant un personnage très gouailleur, au départ écrit pour un homme. Quelles étaient vos références pour travailler ce personnage ?
En effet, le patron du bar est devenu la patronne d’un cabaret. J’ai habité pas loin de Pigalle. A l’époque, je connaissais la directrice des Folies Bergère qui était aussi directrice de la Nouvelle Eve et d’autres bars avec jeunes femmes disposées à passer la soirée avec des messieurs. C’était une femme très chic, habillée en Chanel, dont on aurait pas du tout imaginé quelle était propriétaire de bars de prostituées ! On est parti de cette idée là avec Briançon. Puis, on s’est mis d’accord avec le costumier Michel Dussarat : j’étais habillée en jupe longue, tailleur. J’ai voulu une perruque brune, pour que les gens ne me reconnaissent pas tout de suite, un fume-cigarettes, car c’était typique des femmes qui voulaient se donner un air chic. On a créé cette silhouette et après tout était écrit. Cet argot, je l’avais entendu quand j’étais jeune, je n’avais pas à me forcer pour avoir l’accent parisien.
Briançon a décidé de me mettre presque tout le temps sur le plateau pour raconter l’histoire. Il y avait un truc très drôle à faire, c’était d’attraper un type dans la salle et de le prendre comme souffre-douleur. On panique au départ mais c’est drôle. Il faut pouvoir improviser selon les réactions et arriver à garder la ligne directrice du texte.
Maintenant, des auteurs de théâtre me proposent des pièces en tant qu’actrice et ça me soulage parce que ça faisait cinquante ans que je ne comprenais pas pourquoi je ne pouvais pas passer vers le théâtre pur. La chanson m’a un peu empêchée de le faire. On a tendance à mettre les gens dans les cases. Déjà, à mes débuts, mes amis me disaient : « Pourquoi tu veux chanter ? Tu es déjà danseuse ! » et moi je leur disais : « parce que je veux le faire en plus ! ».
J’aimerais que vous nous parliez des Petites femmes de Broadway, dans lequel vous avez joué dans les années 70 et qui est l’adaptation française du spectacle Dames At Sea.
Ce que je peux vous dire c’est que ce n’était pas aussi bien que l’original et ça n’a pas fonctionné du tout ! C’était un spectacle délicieux mais qui était fait pour des gens qui connaissent bien la comédie musicale puisqu’en réalité, c’était un hommage-pastiche aux grandes comédies musicales américaines. Bernadette Peters a créé le spectacle à New York [NDLR : c’est le spectacle qui l’a révélée] et ça a été un triomphe, ça correspondait à leur culture. Mais à Paris dans les années 70, à part une minuscule portion du public parisien qui connaissait le genre, on a fait un bide ! Mais je me suis bien régalée et ça m’a permis de refaire des claquettes !
Vous avez commencé à travailler avec le metteur en scène Olivier Desbordes, il y a quatre ans avec Cabaret dans lequel vous jouiez Fraulein Schneider, puis aujourd’hui avec L’Opéra de Quat’sous dans lequel vous jouez Mrs Peachum. Parlez-nous de votre collaboration.
Les deux personnages de Cabaret et Quat’sous sont assez proches, et sous la direction de Desbordes, ce sont des personnages hauts en couleur. C’est jouissif à jouer, il faut avoir beaucoup d’énergie, le sens du rythme, ne pas avoir peur de la caricature, utiliser la violence verbale qui permet ensuite d’enchaîner avec les chansons.
Quelles comédies musicales aimeriez-vous jouer aujourd’hui ?
Oh, il suffit de prendre la liste ! Dans Gypsy, il y a un personnage pour une femme d’un certain âge, dans Mame aussi. A l’époque, ils avaient des grandes actrices chanteuses et les auteurs ont écrit pour elles. Il n’y en avait pas que pour les jeunes premières ! Sinon, je rêve de faire Sunset Boulevard et je ferai tout ce que je peux pour le faire.
Lire notre critique de L’Opéra de Quat’Sous.
Lire notre interview d’Olivier Desbordes, metteur en scène de Cabaret et L’Opéra de Quat’Sous