Le metteur en scène, qui signe actuellement Le Système Ribadier, n’en a pas fini avec la comédie musicale, « l’art le plus exigeant du spectacle vivant » selon ses termes. Il s’est confié en exclusivité à Regard en Coulisse. Oliver Twist, Résiste, Les Misérables, Les Liaisons dangereuses, il revient sur ses créations, dévoile ses projets, et donne son sentiment sur le musical français…
Entretien sans langue de bois, avec un passionné de culture, parmi les plus doués de sa génération.
Vous vous attaquez cette année à Feydeau. Comment fait-on pour apporter quelque chose d’original à une pièce déjà montée des dizaines de fois ?
Sauf par moi ! Depuis dix ans et Le Mariage de Figaro, j’ai principalement travaillé sur des auteurs contemporains (Florian Zeller, Sébastien Thiéry…). J’avais envie de replonger dans le théâtre classique, dans son écriture, de retrouver Marivaux, d’apprivoiser Feydeau… Mais, loin de moi l’idée de vouloir me démarquer comme metteur en scène. Je ne cherche pas du tout à démontrer quoi que ce soit, à être original ou différent, mais uniquement à servir le texte. L’envie de raconter une histoire, dont les mots me parlent, m’intriguent, me font rire, suffit. C’est le cas avec Ribadier et ce grand auteur qu’est Feydeau. Je voulais m’y confronter. Et c’est loin d’être évident…
Pour quelles raisons?
Il faut à la fois du rythme mais aussi de l’écoute. Si on joue trop vite, les choses ne passent pas, ça ne fonctionne pas. Ce rythme et ce contre-rythme en font une musique difficile à jouer. En plus de cette mécanique, les personnages de Feydeau sont très psychologiques. Ce sont de vrais caractères, jamais caricaturaux. Passer sans cesse de la psychologie à un mode plus burlesque n’est pas simple à monter. Il faut trouver le bon dosage, la bonne progression, pour accrocher le public jusqu’au bout. Une phrase, une attitude, peut tout changer. Mon métier est très artisanal, en fait ! C’est une espère de cuisine. Chaque auteur, c’est une nouvelle recette.
Comment choisissez-vous les pièces sur lesquelles vous travaillez?
Ce sont, la plupart du temps, des envies anciennes. L’Heureux Stratagème de Marivaux, je l’ai lu quand j’étais à la fac ! J’ai surtout découvert une chose : quand on monte une pièce, elle correspond toujours à un moment donné de votre vie. J’ai monté Le Père au moment où je cherchais à être père moi-même, j’ai monté Le Fils au moment où j’en ai eu deux ! Inconsciemment, il y a une sorte d’aller-retour entre nos vies et nos choix artistiques. Tout est lié. Choisir Feydeau, et cette pièce qui parle du couple et de la fidélité, n’est sans doute pas un hasard, cela correspond à mes interrogations sur le couple, comment durer, etc. ? Depuis Feydeau, l’époque a changé mais les questions restent les mêmes ! C’est le propre des grands auteurs, on se reconnaît toujours en eux. Quand certains s’extasient : « Qu’est-ce qu’ils sont modernes ! », Sylvie Testud répond : « Qu’est-ce qu’on est en retard. » C’est si vrai. Depuis trois siècles, on n’a pas bougé, pas avancé, on est toujours empêtré dans les mêmes problématiques, les mêmes contradictions !
Vous avez mis en scène Beaumarchais, Anouilh, Florian Zeller, mais aussi Julien Clerc, Résiste, Oliver Twist et bientôt Ibsen. Quel éclectisme…
Au-delà du plaisir des rencontres, je crois que l’on mène les carrières qui nous ressemblent. Mes goûts sont très larges, j’aime la variété autant que le classique. J’essaye d’être très ouvert, très curieux et surtout, de ne pas être snob dans mes choix, comme la « culture » l’est parfois. Moi, on ne me range pas dans une case. La même année où se créait Résiste, je mettais en scène Le Père avec Robert Hirsch, c’était le grand écart.
Justement, à propos de snobisme, comment expliquez-vous la mauvaise image qui entoure parfois la comédie musicale dans notre pays?
Nous avons en France tous les talents pour écrire, composer, et interpréter des comédies musicales. On en est parfaitement capable, Oliver Twist l’a prouvé. Mais une chose est certaine : beaucoup de comédies musicales ont un peu abîmé le genre ces dernières années… Il n’y avait pas assez d’écriture, pas assez d’histoire. On sortait sans avoir rien compris ! La base, c’est l’écriture. Si elle n’est pas là, mettre de la danse, des effets, ne changera rien, il n’y aura pas de spectacle… Dans La Souricière (la pièce d’Agatha Christie qui triomphe à la Pépinière, N.D.L.R.), j’ai ajouté des chansons, co-écrites avec Pierre- Alain Leuleu. Ce sont des bulles d’air magnifiques. Le public adore.
La comédie musicale vous manque donc?
Bien sûr! C’est indéniablement l’art le plus exigeant dans le spectacle vivant. Tout est réuni, mais tout doit être parfait. Mes plus belles vibrations, mes plus beaux souvenirs de spectacles, sont ceux de comédies musicales. Je suis sur un nuage pendant deux heures. Billy Elliot m’avait ému, bouleversé. Hamilton, que j’ai vu à New York, m’a fasciné. Quelle modernité! Pareil pour The Band’s Visit, ou encore 42e Rue et toutes celles du Châtelet. On en sort ébloui, porté. Il y a aussi cette énergie de troupe qui me correspond bien. Le travail de groupe, l’ambiance. Oui, tout cela me manque, mais j’ai plusieurs projets…
Dites-nous en plus…
Je rêve de monter Les Misérables. C’est une œuvre qui me donne des frissons. Quand je l’ai vue à Londres, je suis sorti chaviré. Et puis, Victor Hugo, c’est notre répertoire. Là encore, est-on en retard ou était-il moderne, mais Les Misérables aujourd’hui, a un sens capital pour moi. Il faut que cette œuvre, signée de deux français (Alain Boublil et Claude-Michel Schönberg) et qui est la plus jouée au monde, revienne à Paris. Cameron Mackintosh, que j’ai vu, m’a donné le droit, avec le producteur Stéphane Letellier, de chercher les moyens de la monter. Boublil et Schönberg, qui sont venus voir Oliver Twist, m’ont également assuré de leur soutien. Je suis vraiment décidé à y arriver et j’y travaille. Mais cela coûte extrêmement cher. « L’argent, c’est le nerf de l’intrigue », comme dit Figaro chez Beaumarchais, et il faut de très gros moyens. Pour l’instant, mes discussions avec le Châtelet n’ont pas abouti… mais je continue ! C’est nécessaire que Les Misérables soient montés dans une nouvelle version en France. Je fais tout pour cela.
Vous êtes confiant?
Pour le moment, c’est très difficile, mais comme je suis assez têtu, je sais que cela finira par aboutir. Monter Les Misérables à Paris, c’est vraiment mon rêve! J’ai surtout bon espoir dans ce qui arrive : Starmania, évidemment, va et doit faire un carton! Quelle idée géniale de confier la mise en scène à Thomas Jolly. The Producers avec Alexis Michalik est, là aussi, une excellente idée ! C’est extra que Michalik fasse cela. D’un seul coup, ces deux projets changent la donne : deux vrais spectacles musicaux exigeants, avec deux metteurs en scène importants, de leur génération. Je pense que cela va relancer la comédie musicale en France, lui redonner des lettres de noblesse. J’ajoute que Stage fait un travail magnifique à Mogador. Finalement, c’est à tout cela que doit ressembler le musical chez nous ! Il faut arrêter d’abîmer le genre, de monter des spectacles où on se dit « les chansons suffisent ». J’espère, de tout cœur, que ces magnifiques projets vont rencontrer leur public et relancer ce genre, qui est magnifique, que j’adore, et qu’il faut porter haut !
J’ai d’ailleurs d’autres projets : j’adorerais qu’Oliver Twist revienne. Il le mérite. Il a trouvé son public. Avec Shay Alon et Christopher Delarue (ses créateurs, N.D.L.R.), nous avons fait de cette œuvre de Dickens, un spectacle familial, joyeux, parlant à toutes les générations. Enfin, je suis également en lien avec eux pour leur spectacle autour des Liaisons dangereuses. Il est très intéressant et j’ai envie de le porter. Mais bien évidemment tout cela prend du temps.
Le contexte est peut-être aussi difficile…
C’est évidemment très dur. Soyons lucides et francs, le monde de la comédie musicale, en France, actuellement, est sinistré. C’est tellement compliqué, de nos jours, de produire du spectacle vivant. C’est un risque. À tous niveaux… Au cinéma, il y a le CNC, les chaînes, les partenaires… nous, si les spectateurs ne sont pas dans la salle, on perd de l’argent tous les soirs ! C’est donc logique qu’il y ait chez les producteurs une peur, une appréhension avant de se lancer. Regardez les grèves que nous venons de vivre… Les producteurs ont un courage extraordinaire. Chapeau à ceux qui osent. Je pense notamment à Thierry Suc qui a produit War Horse, ce spectacle sublimissime, en pleine grève.
Beaucoup l’espèrent encore : Résiste 2 verra-t-il le jour?
Il ne faut jamais dire jamais, mais j’en doute aujourd’hui…
Le départ de France Gall a été douloureux. Quand France était vivante, nous avions abordé l’idée avec Bruck Dawit. On avait commencé à le rêver. Et il y avait de quoi faire : on avait choisi à peine un tiers du répertoire. Aujourd’hui, France n’est plus là. Elle laisse un grand vide. C’était une femme très enthousiaste, qui avait ses défauts, comme tout le monde, qui avait son caractère – son foutu caractère parfois ! –, mais avait la grande intelligence de se remettre en question, de revenir sur ses décisions. Ce fut un bonheur de travailler avec elle, et d’avoir pu faire cela. C’était une femme de cœur, une femme généreuse. (Silence). C’est plus difficile à envisager sans elle… tout simplement.
Vous montez des pièces, vous tournerez bientôt votre deuxième film, vous travaillez sur des séries télé… Finalement, qu’est-ce qui vous anime?
On ne peut pas faire mon métier si on n’aime pas le genre humain. J’adore la troupe, je fais tout pour la troupe. Les gens égoïstes ou têtus me mettent en rage. Ce qui est intéressant, c’est le collectif, j’adore me diluer dans quelque chose, partager. On en revient à votre première question, est-ce qu’une mise en scène c’est apporter quelque chose de plus ? Non, c’est créer les meilleures conditions pour que le spectacle se déroule, que les acteurs soient heureux, le public soit heureux. C’est chercher à servir. Être au service de l’histoire qu’on raconte. Le cœur du cœur, c’est l’histoire. Si l’histoire est forte, tout suivra. Je ne suis qu’un outil au service d’une écriture.