Julien Iscache, la production en temps de crise

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Le directeur des productions chez Compote de Prod nous parle de leur nouveau projet : Le Monde de Peter Pan, à l’heure du coronavirus.

Com­ment et pourquoi Com­pote de Prod s’est-elle spé­cial­isée dans le théâtre musical ?

C’est venu très naturelle­ment par le biais de cer­taines ren­con­tres. En effet, tout a débuté pen­dant nos études : nous étions en écoles d’ingénieurs ou de com­merce, donc nous ne venions pas d’un milieu artis­tique, mais nous étions tous, plus ou moins, déjà artistes. Ma ren­con­tre avec Julien Goetz, musi­cien et com­pos­i­teur auto­di­dacte, m’a don­né envie de le suiv­re et de mon­ter des pro­jets avec lui.  La musique m’a tou­jours beau­coup touché, et pou­voir racon­ter des his­toires en musique était très impor­tant pour moi : cela rajoute un véri­ta­ble sup­plé­ment d’âme à ce que l’on peut créer. C’est à ce moment-là que j’ai décou­vert le milieu du théâtre musi­cal. Cette dis­ci­pline nous a tout de suite beau­coup plu, puisqu’elle per­met de porter des pro­jets ambitieux et très excitants.

Pourquoi avez-vous fait le choix de vous adress­er au jeune public ?

Nous créons du spec­ta­cle jeune pub­lic car notre com­pos­i­teur aime com­pos­er dans des univers féeriques. Mais c’est aus­si la forme de théâtre musi­cal qui fonc­tionne en ce moment. Les spec­ta­cles famil­i­aux drainent du pub­lic : ce n’est pas pour rien que Mogador relance Le Roi Lion. En nous adres­sant aux jeunes spec­ta­teurs, cela nous per­met de touch­er un pub­lic plus large et de faire redé­cou­vrir la comédie musi­cale aux adultes. C’est aus­si très impor­tant pour nous de faire des spec­ta­cles des­tinés aux enfants, car cela leur donne l’amour du théâtre et les fait rêver ! Nous faisons très atten­tion aux mes­sages véhiculés par nos spec­ta­cles. Avant de com­mencer une créa­tion, nous nous enten­dons sur les valeurs de nos per­son­nage, sur la morale, etc. Nous avons été sur­pris de voir à quel point les enfants com­pre­naient ce que nous voulions évo­quer. Nos spec­ta­cles restent des spec­ta­cles d’émerveillement, mais le pub­lic y apprend beau­coup de choses.
Aus­si, nous ne voulons pas nous con­tenter de cela. C’est vrai que nous adorons le spec­ta­cle jeune pub­lic, mais on ne peut pas y par­ler de choses aus­si engagées que dans un spec­ta­cle pour adultes. C’est en par­tie pour cela que nous avons choisi d’accompagner La Clef de Gaïa, car c’est un spec­ta­cle riche de sens et qui par­le de sujets aux­quels nous sommes sensibles.

Lorsque le con­fine­ment a débuté, vous com­men­ciez à tra­vailler sur votre nou­veau pro­jet, Le Monde de Peter Pan. Com­ment votre équipe a‑t-elle vécu cet arrêt forcé ?

Nous avions prévu une grosse marge de sécu­rité pour pro­duire ce pro­jet, en nous lais­sant du temps. Le con­fine­ment nous a fait per­dre une bonne par­tie de cette marge, mais finale­ment, dans le proces­sus, le con­fine­ment a cor­re­spon­du à une phase de créa­tion en par­tie « en cham­bre » – tout comme la final­i­sa­tion de la musique et du texte –, qui a donc pu con­tin­uer. Nous avons cepen­dant prévu une pre­mière rési­dence début juin, dont l’objectif pre­mier était de tester les décors et les cos­tumes sur lesquels nous n’avions absol­u­ment pas pu avancer. Les travaux se pour­suiv­ent donc en ce moment et les tests se fer­ont pen­dant les mois de répéti­tions à l’automne. Mais beau­coup d’incertitudes persistent.

Pen­dant le décon­fine­ment, nous avons pu apercevoir, sur les réseaux soci­aux, quelques images de votre pre­mière rési­dence. Com­ment avez-vous abor­dé cette étape de tra­vail dans ce con­texte si spécial ?

Nous avons dû nous adapter. Nous avions prévu de tra­vailler sur la choré­gra­phie ou des exer­ci­ces de groupe d’une taille lim­itée au max­i­mum. Nous avons dû faire des répéti­tions avec masques, ce qui n’a pas facil­ité la tâche, mais nous souhaitions surtout que l’équipe se ren­con­tre afin de créer cet esprit de troupe qui nous est cher.

Com­ment envis­agez-vous l’avenir ?

Pour l’avenir, je pense qu’il n’y a pas de solu­tions sat­is­faisantes actuelle­ment. On ne peut pas créer un spec­ta­cle qui prenne en compte tous les gestes bar­rières et la dis­tan­ci­a­tion physique. Si les comé­di­ens sur scène ne peu­vent pas être à moins d’un mètre de dis­tance, j’ai du mal à imag­in­er com­ment Peter Pan va faire vol­er Wendy ! Dans notre Peter Pan, la choré­gra­phie est totale­ment liée à la mise en scène, et nous voulons réalis­er un gros tra­vail sur le corps ou le rap­port entre les comé­di­ens. Bien sûr, nous ne jouerons pas avec le feu, nous nous adapterons à la péri­ode, mais, si à un moment les restric­tions sont trop lour­des, je préfère que nous ne ne fas­sions rien… et que nous atten­dions l’accalmie. Car je ne veux pas met­tre de lim­ite à la créa­tion du spectacle.

Avez-vous pu tout de même retir­er quelques effets posi­tifs de cette crise ?

Glob­ale­ment, la crise a eu un effet très négatif. À l’échelle de Com­pote de Prod, cela ira, mais pour l’industrie du théâtre musi­cal, c’est très dif­fi­cile. Nous essayons d’ailleurs de pass­er un mes­sage par l’in­ter­mé­di­aire de notre syn­di­cat et au tra­vers de nos engage­ments : il faut que nous soyons soutenus pour créer !
Après, cela nous a tout de même per­mis de pren­dre le temps de dévelop­per de nou­velles choses, comme une offre de loca­tion de matériel à prix assez bas pour les acteurs du milieu. Nous en avons aus­si prof­ité pour ali­menter notre site inter­net, pour réfléchir à la sit­u­a­tion, pour écrire beau­coup d’articles, mais ne nous leur­rons pas : c’était un peu pour tuer le temps.

Vous aviez déjà tra­vail­lé sur l’histoire du jeune Peter Pan avec votre spec­ta­cle Sou­viens-toi Pan. Pourquoi en refaire une adaptation ?

Il y a trois raisons. La pre­mière c’est que Peter Pan offre une pos­si­bil­ité créa­tive plutôt vaste et évoque un imag­i­naire très large. Les per­son­nages sont très divers et ils peu­vent faire l’objet d’un tra­vail dif­férent ; par exem­ple, nous souhaitons mieux exploiter celui de Wendy.
La deux­ième rai­son, c’est que c’était notre tout pre­mier spec­ta­cle ; c’est donc un peu notre madeleine de Proust. Nous nous étions tou­jours dit qu’il faudrait remon­tr­er ce spec­ta­cle de manière plus pro­fes­sion­nelle, et le moment est arrivé.
Enfin, il ne faut pas se men­tir : quand on vend un spec­ta­cle, on vend un titre. L’objectif est de par­tir en tournée, de le faire jouer. Quand nous pro­posons nos spec­ta­cles aux struc­tures et aux pro­gram­ma­teurs, ils se deman­dent si les gens vont venir le voir. Les pro­gram­ma­teurs ama­teurs mais non pro­fes­sion­nels ont besoin d’être ras­surés, et Le Monde de Peter Pan est un titre qui fait immé­di­ate­ment voy­ager. Nous avons beau­coup d’idées de créa­tions pures, mais c’est un peu tôt pour nous pour l’instant.

Pou­vez-vous nous en dire plus sur le per­son­nage de Wendy ?

Dans l’imaginaire col­lec­tif, Wendy représente la petite fille sage qui tombe amoureuse de Peter Pan, qui le suit et qui est prête à tout pour lui. Elle s’occupe des enfants et revêt le rôle de la mère. Pour­tant, dans cer­taines cir­con­stances, Wendy tient tête à Cro­chet, elle s’affirme plus. Nous allons donc essay­er de traiter ce per­son­nage comme une petite fille qui con­naît ses pre­miers émois et dont le car­ac­tère de femme com­mence à se man­i­fester. C’est un per­son­nage qui sait se faire respecter et qui n’a finale­ment pas besoin de Peter Pan pour agir. D’ailleurs, ce dernier est aus­si dépen­dant de Wendy qu’elle est dépen­dante de lui. Atten­tion : nous ne souhaitons pas faire de Wendy une icône fémin­iste non plus, mais nous sommes bien con­scients qu’elle a des choses à dire.

Pourquoi faut-il aller voir Le Monde de Peter Pan?

C’est un thème qui va vous émer­veiller ! Il y a eu beau­coup d’adaptations, mais nous avons notre pat­te. C’est une créa­tion mer­veilleuse, sur­prenante, pleine d’ef­fets mag­iques. De plus, nous allons mon­tr­er d’autres facettes des per­son­nages ; vous pour­rez les décou­vrir sous un autre angle. Nous avons déjà par­lé de Wendy, mais Peter Pan est, pour nous, un dou­ble de Cro­chet : il est assez cru­el. On ne s’en rend pas compte à cause de l’image véhiculée par Dis­ney, mais, dans le con­te, Peter Pan est un enfant égoïste et violent.

Enfin, c’est vrai­ment un pro­jet qui nous tient à cœur, et nous essayons de le men­er du mieux pos­si­ble, mal­gré la sit­u­a­tion. Nous avons beau­coup de chance de créer ce spec­ta­cle avec toutes ces per­son­nes qui y met­tent toute leur énergie. Je suis très fier de l’équipe du show et c’est aus­si pour cela que ce pro­jet est si attachant.

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