Vous avez monté tout récemment votre société de production : Pourquoi Pas Prod. Demain commence ici en est le premier projet. Pouvez-vous nous en dire plus sur l’histoire de ce spectacle ?
L’aventure de Demain commence ici débute en 2012 avec une première version intitulée Dentiers et déambulateurs. Cette comédie musicale, centrée sur le personnage d’une mémé farouche et fatiguée, remisée dans une maison de retraite et de sa petite-fille perdue dans un monde auquel elle peine à donner un sens, faisait se rencontrer des personnages de plusieurs générations dans une féerie de claquettes en charentaises. Trois ans plus tard, en 2015, je décide de monter cette comédie musicale, mais entre-temps, j’avais changé et mon message aussi. En effet, en discutant avec ma mère et mes deux grand-mères, j’ai réalisé que nous avions eu à répondre aux mêmes questions et à relever des défis similaires. Elles aussi ont eu 30 ans, et j’allais un jour avoir 60 et 80 ans. Et à 80 ans, de quoi se souvient-on, qu’est-ce qu’on oublie, qu’est-ce qu’on réinvente et qu’est-ce qu’on transmet ? À 30 ans, que veut-on construire, comment et à qui va-t-on demander conseil ? Et à 60 ans, quand on sait d’où l’on vient et qu’on voit où l’on va, comment profite-t-on du présent ? Beaucoup de questions à traiter donc, en deux heures, soit de manière ramassée. Comment faire ?
Je décide d’abord d’écrire un roman baptisé Mémémoires, publié fin 2017 sur Amazon en autoédition, relatant les aventures de Mémé, Pénélope, Louise, Simone, Marcel, Léo, Blanche, Morgane, Suzanne et les autres. Je réalise alors que leurs histoires vont tenir non sur un spectacle, mais sur trois. C’est ainsi que naît l’idée d’une trilogie de comédie musicale, La concordance des temps, où l’on continuera à suivre les personnages dans leur passé et leur avenir. Je m’attelle début 2018 à l’écriture du premier opus : Demain commence ici. J’écris le texte, les paroles des chansons et les mélodies (les lignes de chant). En décembre 2018, je fais une rencontre décisive : celle de Vincent Pépin. Imaginez Tic et Tac, Twix droit et Twix gauche, Batman et Robin. C’est nous ! Je recherchais un compositeur-arrangeur pour finaliser mes chansons, il cherchait des chansons à arranger. Ça tombe bien. Nous avons les mêmes références en matière de comédies musicales (de Rent à Sondheim en passant par Disney). Nous nous sommes immédiatement très bien entendus. Puis, en février 2019, Vincent me dit qu’il lance le recrutement des musiciens : il nous en faut dix. Demain commence ici se concrétise et nous lançons les auditions en juin 2019 dans le but de commencer les répétitions en octobre 2019. Treize chanteur.euse.s, danseur.euse.s et comédien.ne.s et dix musicien.ne.s, soit vingt-trois artistes sur scène. C’est ambitieux et un peu fou, mais c’est possible.
À cette époque nous n’avions qu’une date de représentation prévue en sortie de résidence au Centre Paris Anim’ Nouvelle-Athènes, le 27 février 2020. En parallèle, Constance Dollfus et Clément Hénaut, de La Neuvième Production rejoignent l’équipe et ont pour mission de trouver une salle de théâtre à Paris pour une exploitation de plusieurs mois. C’est chose faite en janvier 2020 : monsieur Jean Bouquin nous ouvre grand les portes du Théâtre Déjazet. La première est prévue le 20 octobre 2020, pour une exploitation d’au moins trois mois. Nous faisons donc notre sortie de résidence en février, et l’équipe de création note les changements et améliorations à faire pour la version finale. Les répétitions sont prévues pour août et septembre 2020 et nous nous organisons pour recruter des doublures et alternants. En décembre 2018, nous étions deux, Vincent et moi ; en février 2020, nous étions presque quarante ; et en octobre 2020, nous serions encore plus nombreux. C’est là que l’annonce du premier confinement est arrivée…
Comment avez-vous réagi et quel a été l’impact sur votre spectacle en pleine création ?
Comme pour tout le monde, cette annonce a été un choc ; mais, par rapport à d’autres spectacles, nous sommes passés entre les gouttes. Nous avions pu présenter une première version de notre spectacle devant un public juste avant et avions prévu de répéter la version définitive en août et septembre 2020. Les mois entre mars et août étaient dédiés à la re-création du spectacle : de mon côté, j’ai coupé et réécrit des scènes pour améliorer le rythme, Vincent a composé de nouveaux arrangements pour chaque chanson afin de tirer le meilleur de notre orchestre. Des costumes au maquillage en passant par les vidéos, la scénographie et les chorégraphies, toute l’équipe de création a profité du confinement pour continuer à créer et constamment améliorer le spectacle. En revanche, concernant la production, il nous a fallu revoir le budget à la baisse et faire des coupes drastiques pour prendre en compte les prévisions plus pessimistes de remplissage et la distanciation obligatoire. Pourquoi Pas Prod est la plus petite des grosses productions, et ce sont toujours les chiffres qui décident si on continue ou si on arrête un spectacle. Comme toujours, il nous a fallu trouver des solutions pour maintenir le spectacle et nous avons ensuite organisé les répétitions après le déconfinement, en respectant les règles sanitaires et en protégeant les « anciens » de la troupe. On y croit, on y va. Et en octobre 2020, on est prêts et on est là.
À ce moment-là arrive une première annonce : le couvre-feu. Puis une seconde : un reconfinement. Comment avez-vous rebondi ?
L’annonce du couvre-feu arrive quelques jours avant notre première avant-première et nous contraint de nouveau à trouver des solutions. Nous avions trois avant-premières prévues les 15, 16 et 17 octobre. Nous décidons de les maintenir et changeons l’horaire de la représentation du 17 à 15 h plutôt qu’à 20 h. Nous nous adaptons de nouveau pour montrer notre spectacle à notre public. Comme tous les autres spectacles, nous changeons nos jours de représentations et nos horaires pour répondre aux nouvelles contraintes. Après cinq ans de développement, un an et demi de travail avec les artistes, six mois d’adaptation à la pandémie, nous sommes là et Demain commence ici existe. C’est une très belle réussite et un travail d’équipe incroyable : en comptant les artistes, l’équipe technique, la création, la production, les partenaires et les prestataires, nous sommes désormais quatre-vingts. C’est toujours aussi fou, mais c’est possible et on l’a fait. Désormais, avec le reconfinement, nous sommes en pause, mais nous n’annulons pas et ne nous arrêterons pas. Le spectacle est prêt, l’équipe est motivée et prête à retrouver le public dès que le Théâtre Déjazet pourra rouvrir ses portes. D’autres projets autour de l’univers et des personnages de Demain commence ici sont en développement et en cours d’écriture. Comme toujours, on s’adapte, on rebondit et on continue à créer et à faire du lien.
À la fin de cette période inédite, le monde va se retrouver chamboulé. Comment envisagez-vous la suite ?
La pandémie touche durement le milieu du spectacle vivant car l’essence même de notre métier est d’être en contact et de créer du lien. Du lien sur scène et avec le public. Et c’est précisément ce dont nous aurons besoin quand la crise sanitaire prendra fin. Plus que jamais nous aurons besoin de rire, de pleurer, d’être ensemble, de reprendre espoir et de se dire que c’est possible d’écrire le monde dans lequel on a envie de vivre. La création artistique est nécessaire, essentielle et indispensable. Mais pour survivre à cette période sombre, nous nous devons de nous réinventer ; de nous affranchir des règles et des façons de faire désormais caduques ; et de privilégier la coopération plutôt que la concurrence. De travailler ensemble. C’est ce que je veux faire avec Pourquoi Pas Prod : nous rapprocher des autres petites productions et créer un réseau de coopération, de coproductions et de mise en commun des talents et des points forts pour monter des spectacles ambitieux, pérennes, divertissants et populaires. C’est ce que Pourquoi Pas Prod compte faire dans les quinze années à venir. Et on commence ici.
Quels conseils donneriez-vous aux jeunes structures, troupes ou porteurs de projets pour les aider à appréhender un problème lors de la création ou l’exploitation de leur spectacle ?
N’abandonnez pas. Jamais. Vous avez en vous et autour de vous les clés pour trouver des solutions. Mais pour cela, il vous faut être pugnaces, tenaces, résilients et, donc, ne jamais abandonner.
Et pour cela, il est indispensable de bien vous entourer et de constituer une équipe qui, non seulement vous suivra, mais aussi proposera des choses auxquelles vous n’avez pas pensé et qui apportera une dimension différente à ce que vous aviez en tête. On ne fait rien seul. N’hésitez pas à demander de l’aide et des conseils, même si vous décidez au final… de ne pas les suivre. Ensuite, ne réalisez pas vos rêves : réalisez des projets en utilisant vos rêves. Un spectacle n’est pas un rêve. C’est un projet. Un spectacle n’est pas votre bébé. C’est un projet. Un spectacle n’est pas vous. C’est un projet. Vous aurez à surmonter bon nombre d’épreuves et de difficultés et, à chaque montagne gravie, trois autres surgiront juste sous vos pieds. Et il vous faudra vous adapter et trouver des solutions.
Nous ne sommes pas uniquement des saltimbanques ou des amuseurs publics. Nous sommes des professionnels qui exerçons un métier et créons des spectacles qui ont pour vocation de plaire et d’être rentables afin de faire vivre nos collaborateurs. Nous sommes des artistes et des entrepreneurs de la culture et nous inventons, proposons, remettons en question, divertissons, interrogeons et avons un impact fort sur le monde qui nous entoure. Et nous tenons aux projets que nous menons à bien. Donc, n’ayez pas peur des gros mots que sont « business plan », « rentabilité » ou encore « plan de financement ». Ils ont autant d’importance que « résidence de création », « répétitions » ou encore « standing ovation ». Et enfin, mon dernier conseil est de créer vos propres règles. On change dans un monde en constante évolution et rien n’est figé dans la pierre. Allez‑y, jetez vous à l’eau. Créez les spectacles que vous avez envie de voir et, par conséquent, le monde dans lequel vous avez envie de vivre.
Pour finir, des nouvelles de Demain commence ici ?
Nous sommes là, nous sommes prêts et nous revenons dès que possible !
Admiratif!! Je suis vraiment convaincu par la détermination de cette productrice qui face aux difficultés rencontrées continue à nous faire entrevoir un avenir meilleur. Heureusement qu’il y a des gens comme Emilie pour que demain soit source de plaisir et de joie. Je n’ai pas encore vu cette comédie mais « elle promet »!!
Félicitations à tous les acteurs de cette belle aventure.
Antonio