Emilie Courtemanche, toujours prête à rebondir avec Demain Commence Ici

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2020 est une année compliquée pour la culture. Certains abandonneraient... Émilie Courtemanche, la metteuse en scène de Demain Commence Ici a fait le choix de positiver. Elle répond à nos questions et nous fait découvrir une porteuse projet optimiste prête à reprendre sur les chapeaux de roues une fois toute cette crise terminée. 

Vous avez mon­té tout récem­ment votre société de pro­duc­tion : Pourquoi Pas Prod. Demain com­mence ici en est le pre­mier pro­jet. Pou­vez-vous nous en dire plus sur l’histoire de ce spectacle ?
L’aventure de Demain com­mence ici débute en 2012 avec une pre­mière ver­sion inti­t­ulée Den­tiers et déam­bu­la­teurs. Cette comédie musi­cale, cen­trée sur le per­son­nage d’une mémé farouche et fatiguée, remisée dans une mai­son de retraite et de sa petite-fille per­due dans un monde auquel elle peine à don­ner un sens, fai­sait se ren­con­tr­er des per­son­nages de plusieurs généra­tions dans une féerie de cla­que­ttes en charentais­es. Trois ans plus tard, en 2015, je décide de mon­ter cette comédie musi­cale, mais entre-temps, j’avais changé et mon mes­sage aus­si. En effet, en dis­cu­tant avec ma mère et mes deux grand-mères, j’ai réal­isé que nous avions eu à répon­dre aux mêmes ques­tions et à relever des défis sim­i­laires. Elles aus­si ont eu 30 ans, et j’allais un jour avoir 60 et 80 ans. Et à 80 ans, de quoi se sou­vient-on, qu’est-ce qu’on oublie, qu’est-ce qu’on réin­vente et qu’est-ce qu’on trans­met ? À 30 ans, que veut-on con­stru­ire, com­ment et à qui va-t-on deman­der con­seil ? Et à 60 ans, quand on sait d’où l’on vient et qu’on voit où l’on va, com­ment prof­ite-t-on du présent ? Beau­coup de ques­tions à traiter donc, en deux heures, soit de manière ramassée. Com­ment faire ?

Je décide d’abord d’écrire un roman bap­tisé Mémé­moires, pub­lié fin 2017 sur Ama­zon en autoédi­tion, rela­tant les aven­tures de Mémé, Péné­lope, Louise, Simone, Mar­cel, Léo, Blanche, Mor­gane, Suzanne et les autres. Je réalise alors que leurs his­toires vont tenir non sur un spec­ta­cle, mais sur trois.  C’est ain­si que naît l’idée d’une trilo­gie de comédie musi­cale, La con­cor­dance des temps, où l’on con­tin­uera à suiv­re les per­son­nages dans leur passé et leur avenir. Je m’attelle début 2018 à l’écriture du pre­mier opus : Demain com­mence ici. J’écris le texte, les paroles des chan­sons et les mélodies (les lignes de chant). En décem­bre 2018, je fais une ren­con­tre déci­sive : celle de Vin­cent Pépin. Imag­inez Tic et Tac, Twix droit et Twix gauche, Bat­man et Robin. C’est nous ! Je recher­chais un com­pos­i­teur-arrangeur pour finalis­er mes chan­sons, il cher­chait des chan­sons à arranger. Ça tombe bien. Nous avons les mêmes références en matière de comédies musi­cales (de Rent à Sond­heim en pas­sant par Dis­ney). Nous nous sommes immé­di­ate­ment très bien enten­dus. Puis, en févri­er 2019, Vin­cent me dit qu’il lance le recrute­ment des musi­ciens : il nous en faut dix. Demain com­mence ici se con­cré­tise et nous lançons les audi­tions en juin 2019 dans le but de com­mencer les répéti­tions en octo­bre 2019. Treize chanteur.euse.s, danseur.euse.s et comédien.ne.s et dix musicien.ne.s, soit vingt-trois artistes sur scène. C’est ambitieux et un peu fou, mais c’est possible.

À cette époque nous n’avions qu’une date de représen­ta­tion prévue en sor­tie de rési­dence au Cen­tre Paris Anim’ Nou­velle-Athènes, le 27 févri­er 2020. En par­al­lèle, Con­stance Doll­fus et Clé­ment Hénaut, de La Neu­vième Pro­duc­tion rejoignent l’équipe et ont pour mis­sion de trou­ver une salle de théâtre à Paris pour une exploita­tion de plusieurs mois. C’est chose faite en jan­vi­er 2020 : mon­sieur Jean Bouquin nous ouvre grand les portes du Théâtre Déjazet. La pre­mière est prévue le 20 octo­bre 2020, pour une exploita­tion d’au moins trois mois. Nous faisons donc notre sor­tie de rési­dence en févri­er, et l’équipe de créa­tion note les change­ments et amélio­ra­tions à faire pour la ver­sion finale. Les répéti­tions sont prévues pour août et sep­tem­bre 2020 et nous nous organ­isons pour recruter des dou­blures et alter­nants. En décem­bre 2018, nous étions deux, Vin­cent et moi ; en févri­er 2020, nous étions presque quar­ante ; et en octo­bre 2020, nous seri­ons encore plus nom­breux. C’est là que l’annonce du pre­mier con­fine­ment est arrivée…

Demain Commence Ici La troupe Complète

Com­ment avez-vous réa­gi et quel a été l’impact sur votre spec­ta­cle en pleine création ?
Comme pour tout le monde, cette annonce a été un choc ; mais, par rap­port à d’autres spec­ta­cles, nous sommes passés entre les gouttes. Nous avions pu présen­ter une pre­mière ver­sion de notre spec­ta­cle devant un pub­lic juste avant et avions prévu de répéter la ver­sion défini­tive en août et sep­tem­bre 2020. Les mois entre mars et août étaient dédiés à la re-créa­tion du spec­ta­cle : de mon côté, j’ai coupé et réécrit des scènes pour amélior­er le rythme, Vin­cent a com­posé de nou­veaux arrange­ments pour chaque chan­son afin de tir­er le meilleur de notre orchestre. Des cos­tumes au maquil­lage en pas­sant par les vidéos, la scéno­gra­phie et les choré­gra­phies, toute l’équipe de créa­tion a prof­ité du con­fine­ment pour con­tin­uer à créer et con­stam­ment amélior­er le spec­ta­cle. En revanche, con­cer­nant la pro­duc­tion, il nous a fal­lu revoir le bud­get à la baisse et faire des coupes dras­tiques pour pren­dre en compte les prévi­sions plus pes­simistes de rem­plis­sage et la dis­tan­ci­a­tion oblig­a­toire. Pourquoi Pas Prod est la plus petite des gross­es pro­duc­tions, et ce sont tou­jours les chiffres qui déci­dent si on con­tin­ue ou si on arrête un spec­ta­cle. Comme tou­jours, il nous a fal­lu trou­ver des solu­tions pour main­tenir le spec­ta­cle et nous avons ensuite organ­isé les répéti­tions après le décon­fine­ment, en respec­tant les règles san­i­taires et en pro­tégeant les « anciens » de la troupe.  On y croit, on y va. Et en octo­bre 2020, on est prêts et on est là.

À ce moment-là arrive une pre­mière annonce : le cou­vre-feu. Puis une sec­onde : un recon­fine­ment. Com­ment avez-vous rebondi ?
L’annonce du cou­vre-feu arrive quelques jours avant notre pre­mière avant-pre­mière et nous con­traint de nou­veau à trou­ver des solu­tions. Nous avions trois avant-pre­mières prévues les 15, 16 et 17 octo­bre. Nous déci­dons de les main­tenir et changeons l’horaire de la représen­ta­tion du 17 à 15 h plutôt qu’à 20 h. Nous nous adap­tons de nou­veau pour mon­tr­er notre spec­ta­cle à notre pub­lic. Comme tous les autres spec­ta­cles, nous changeons nos jours de représen­ta­tions et nos horaires pour répon­dre aux nou­velles con­traintes. Après cinq ans de développe­ment, un an et demi de tra­vail avec les artistes, six mois d’adaptation à la pandémie, nous sommes là et Demain com­mence ici existe. C’est une très belle réus­site et un tra­vail d’équipe incroy­able : en comp­tant les artistes, l’équipe tech­nique, la créa­tion, la pro­duc­tion, les parte­naires et les prestataires, nous sommes désor­mais qua­tre-vingts. C’est tou­jours aus­si fou, mais c’est pos­si­ble et on l’a fait. Désor­mais, avec le recon­fine­ment, nous sommes en pause, mais nous n’annulons pas et ne nous arrêterons pas. Le spec­ta­cle est prêt, l’équipe est motivée et prête à retrou­ver le pub­lic dès que le Théâtre Déjazet pour­ra rou­vrir ses portes. D’autres pro­jets autour de l’univers et des per­son­nages de Demain com­mence ici sont en développe­ment et en cours d’écriture. Comme tou­jours, on s’adapte, on rebon­dit et on con­tin­ue à créer et à faire du lien.

Demain Commence Ici Spectacle Comédie Musicale

À la fin de cette péri­ode inédite, le monde va se retrou­ver cham­boulé. Com­ment envis­agez-vous la suite ?
La pandémie touche dure­ment le milieu du spec­ta­cle vivant car l’essence même de notre méti­er est d’être en con­tact et de créer du lien. Du lien sur scène et avec le pub­lic. Et c’est pré­cisé­ment ce dont nous aurons besoin quand la crise san­i­taire pren­dra fin. Plus que jamais nous aurons besoin de rire, de pleur­er, d’être ensem­ble, de repren­dre espoir et de se dire que c’est pos­si­ble d’écrire le monde dans lequel on a envie de vivre. La créa­tion artis­tique est néces­saire, essen­tielle et indis­pens­able. Mais pour sur­vivre à cette péri­ode som­bre, nous nous devons de nous réin­ven­ter ; de nous affranchir des règles et des façons de faire désor­mais caduques ; et de priv­ilégi­er la coopéra­tion plutôt que la con­cur­rence. De tra­vailler ensem­ble. C’est ce que je veux faire avec Pourquoi Pas Prod : nous rap­procher des autres petites pro­duc­tions et créer un réseau de coopéra­tion, de copro­duc­tions et de mise en com­mun des tal­ents et des points forts pour mon­ter des spec­ta­cles ambitieux, pérennes, diver­tis­sants et pop­u­laires. C’est ce que Pourquoi Pas Prod compte faire dans les quinze années à venir. Et on com­mence ici.

Quels con­seils don­ner­iez-vous aux jeunes struc­tures, troupes ou por­teurs de pro­jets pour les aider à appréhen­der un prob­lème lors de la créa­tion ou l’exploitation de leur spectacle ?
N’abandonnez pas. Jamais. Vous avez en vous et autour de vous les clés pour trou­ver des solu­tions. Mais pour cela, il vous faut être pugnaces, tenaces, résilients et, donc, ne jamais abandonner.

Et pour cela, il est indis­pens­able de bien vous entour­er et de con­stituer une équipe qui, non seule­ment vous suiv­ra, mais aus­si pro­posera des choses aux­quelles vous n’avez pas pen­sé et qui apportera une dimen­sion dif­férente à ce que vous aviez en tête. On ne fait rien seul. N’hésitez pas à deman­der de l’aide et des con­seils, même si vous décidez au final… de ne pas les suiv­re. Ensuite, ne réalisez pas vos rêves : réalisez des pro­jets en util­isant vos rêves. Un spec­ta­cle n’est pas un rêve. C’est un pro­jet. Un spec­ta­cle n’est pas votre bébé. C’est un pro­jet. Un spec­ta­cle n’est pas vous. C’est un pro­jet. Vous aurez à sur­mon­ter bon nom­bre d’épreuves et de dif­fi­cultés et, à chaque mon­tagne gravie, trois autres sur­giront juste sous vos pieds. Et il vous fau­dra vous adapter et trou­ver des solutions.

Nous ne sommes pas unique­ment des saltim­ban­ques ou des amuseurs publics. Nous sommes des pro­fes­sion­nels qui exerçons un méti­er et créons des spec­ta­cles qui ont pour voca­tion de plaire et d’être renta­bles afin de faire vivre nos col­lab­o­ra­teurs. Nous sommes des artistes et des entre­pre­neurs de la cul­ture et nous inven­tons, pro­posons, remet­tons en ques­tion, diver­tis­sons, inter­ro­geons et avons un impact fort sur le monde qui nous entoure. Et nous tenons aux pro­jets que nous menons à bien. Donc, n’ayez pas peur des gros mots que sont « busi­ness plan », « rentabil­ité » ou encore « plan de finance­ment ». Ils ont autant d’importance que « rési­dence de créa­tion », « répéti­tions » ou encore « stand­ing ova­tion ». Et enfin, mon dernier con­seil est de créer vos pro­pres règles. On change dans un monde en con­stante évo­lu­tion et rien n’est figé dans la pierre. Allez‑y, jetez vous à l’eau. Créez les spec­ta­cles que vous avez envie de voir et, par con­séquent, le monde dans lequel vous avez envie de vivre.

Pour finir, des nou­velles de Demain com­mence ici ?
Nous sommes là, nous sommes prêts et nous revenons dès que possible !

Demain Commence Ici à Bientôt

 

 

 

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1 COMMENTAIRE

  1. Admi­ratif!! Je suis vrai­ment con­va­in­cu par la déter­mi­na­tion de cette pro­duc­trice qui face aux dif­fi­cultés ren­con­trées con­tin­ue à nous faire entrevoir un avenir meilleur. Heureuse­ment qu’il y a des gens comme Emi­lie pour que demain soit source de plaisir et de joie. Je n’ai pas encore vu cette comédie mais « elle promet »!!
    Félic­i­ta­tions à tous les acteurs de cette belle aventure.
    Antonio

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