L’Art de recevoir : entre rire et folie

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Ce qui est plaisant dans une lec­ture, c’est de décou­vrir une œuvre dont on ignore à peu près tout, mais aus­si de l’ap­préhen­der sans autre sup­port que le texte, sans une mise en scène qui ori­ente les mots. En allant assis­ter à la présen­ta­tion de L’Art de recevoir, ici dans une mise en espace plutôt suc­cincte, on s’at­tendait vague­ment à une vision satirique des Bonnes manières de Nadine de Roth­schild qui aurait tourné en déri­sion tout ce que le sno­bisme et la con­ven­tion de classe sociale peu­vent dégager d’ex­trav­a­gance et d’absurde.

Il y a indé­ni­able­ment de ça dans la pièce de Stéphane Guérin et Cyrille Thou­venin. Dans sa con­férence d’une heure et quart, Marie-Apolline de Saint-Jérôme – ça ne s’in­vente pas ! – dis­tille les con­seils les plus var­iés pour recevoir à dîn­er chez soi dans toutes les sit­u­a­tions, des plus tra­di­tion­nelles aux plus ahuris­santes. Choisir nappes et cou­verts, agré­menter un apéri­tif, faire imprimer un car­ton d’in­vi­ta­tion, présen­ter ses con­vives, réa­gir face à l’ab­sence pro­longée de l’un d’en­tre eux, etc. Chaque thème est traité de façon plus ou moins drôle voire déli­rante, sans tabou, éventuelle­ment par une petite scène en dehors de la ligne du dis­cours. Le laïus, très dense et qui demande un débit soutenu pour cap­tiv­er le pub­lic, est ponc­tué de phras­es chocs qui provo­quent sou­vent le rire : « Qui a envie d’embrasser un enfant moche ? » ; « Ne met­tez pas mal à l’aise ceux qui ne vous ont rien apporté ; faites-le leur remar­quer, c’est tout. ».

Mais il y a aus­si tout le reste. Car, sous ses traits car­i­cat­u­raux d’hôtesse bour­geoise, cette femme qui se dévoile au détour de chaque aparté, de chaque malaise, de chaque regard de côté, devient de plus en plus trou­blée et trou­blante. S’in­spi­rant d’une des­per­ate house­wife, puis lorgnant franche­ment du côté de la Blanche Dubois d’Un tramway nom­mé Désir, elle appa­raît de plus en plus con­trastée, vic­time touchante et effrayante névrosée. Mais pas ques­tion de divulgâcher…

Seule en scène – ou presque –, Vio­laine Nou­veau réus­sit à trans­met­tre beau­coup des dif­férents états que le foi­son­nant texte lui donne à jouer – humour, insou­ciance, sen­su­al­ité, hys­térie, cynisme, sar­casme, méchanceté… – et qui se suc­cè­dent par­fois d’une phrase à la suiv­ante, sans prévenir. La musique, à ce jour seule­ment esquis­sée au piano par Stéphane Corbin (Les Funam­bules), ajoute aux ambiances et inten­si­fie les facettes du personnage.

On ne doute pas que, sans texte sous les yeux, avec une direc­tion d’ac­teur enrichie et une mise en scène nour­rie de Georges Vau­raz, ain­si qu’une par­ti­tion étof­fée, la pièce devien­dra un spec­ta­cle qui fera par­ler de lui.

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