Quel rapport entretenez-vous avec la comédie musicale ?
J’ai un rapport privilégié avec la musique de manière générale et je participe à des comédies musicales dès qu’on me le demande.
Une fois le bac en poche à 17 ans, je suis parti en Angleterre pour étudier le théâtre au Drama Centre London. On nous demandait d’aller au théâtre, mais aussi de travailler des extraits de comédies musicales et donc des chansons. C’était l’époque des comédies musicales de Stephen Sondheim et de A Chorus Line. Ces œuvres ont su parfaitement retranscrire l’essence de la comédie musicale qui est un partage égal entre la musique, le théâtre et la danse. J’aime des compositeurs tels que Leonard Bernstein et Stephen Sondheim car leurs œuvres respectent ce mélange scientifique. Je ne suis pas adepte des comédies musicales « rock » qui ont tendance à délaisser une voire deux disciplines.
Vous avez joué dans deux grandes productions de A Little Night Music (Stephen Sondheim), la première fois en 1996 au Royal National Theatre à Londres puis en 2010 au Théâtre du Châtelet à Paris. Comment aborde-t-on une nouvelle production d’un même musical ?
Le renouveau était aisé car je suis passé du rôle de Carl Magnus à Londres à celui de Frederik à Paris. Je me suis pleinement concentré sur l’interprétation du personnage de Frederik d’autant plus que je savais que Stephen Sondheim allait venir. Je me devais d’être prêt.
Par ailleurs, Jean-Luc Choplin (directeur du théâtre du Châtelet à l’époque) avait une vision très opératique du spectacle (cinquante artistes sur le plateau, en majorité issus de l’opéra) et dès lors, très coûteuse. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle nous n’avons pu le jouer au Châtelet qu’une semaine, ce qui est vraiment dommage. L’approche en Angleterre est très différente en ce qu’elle est plus théâtrale.
Avez-vous ressenti une différence de réception du public ?
Les Anglais connaissent déjà l’œuvre. Toute l’ironie et l’humour de Sondheim sont déjà acquis. Il n’y a pas de code nouveau, les gens marchent tout de suite, surtout avec Dame Judi Dench (dans le rôle de Désirée Armfeldt), parfaite pour la comédie. Il est certain que cela fait une différence, mais le résultat à la fin est le même.
Il est aussi vrai qu’en Angleterre, il y a des apparitions mythiques quasi historiques telles que Dame Judi Dench sur « Send in the Clowns ». Les gens à Londres viennent retrouver cette sensation-là. Moi-même, je descendais tous les soirs dans les coulisses pour l’écouter. Ce n’est pas précédé du mythe en France.
Dans tous les cas, ce que Jean-Luc Choplin a accompli pour le Châtelet est formidable : il a habitué le public à recevoir des œuvres en V.O. surtitrées, développant ainsi la connaissance du public français des œuvres anglo-saxonnes. On peut dire que cette période constitue un âge d’or parisien de la comédie musicale.
Vous avez donc rencontré Stephen Sondheim ?
J’avais rencontré Stephen Sondheim à l’occasion de la création du show à Londres. Quand il est venu à Paris, il m’a dit : « Ça y est, tu chantes enfin ce rôle-là ! ». C’était un être assez sensible, torturé et pas forcément facile d’accès. On ne tapait pas sur son épaule !
À Londres, il avait certaines exigences, notamment de mise en scène, de placement d’acteurs pour certains numéros. Il avait une connaissance spécifique de ce qu’était un showstopper (un numéro d’un succès tel qu’il génère suffisamment d’applaudissements pour stopper le show quelques instants). Il était hors de question de les mettre en scène en fond de plateau, il les replaçait systématiquement devant. En cela, il maîtrisait l’efficacité scénique.
Dans la mesure où le Théâtre du Châtelet est très en accord avec cette vision, Stephen Sondheim a été très bouleversé par la production française, car elle correspondait exactement à ce qu’il avait imaginé, même sur le plan vocal. Il préférait en effet l’élégance et la diversité des chanteurs d’opéra, ce qu’il ne retrouvait pas forcément à Broadway puisque la formation là-bas est très – trop – homogène au point que tout le monde joue et chante de la même manière.
Vous avez joué dans Candide de Leonard Bernstein au Théâtre du Châtelet en 2006 ainsi qu’à la Scala de Milan en 2007. Que vous apporte cette nouvelle production de l’Opéra national du Rhin ?
Contrairement aux productions précédentes, il s’agit ici d’une version concert. La musique est si délicieuse. Quand on se débarrasse de la mise en scène, on profite de cette musique merveilleuse. On conserve sans problème l’humour des auteurs grâce aux surtitres.
Parfois, Candide est impossible à mettre en scène tellement le matériel est lourd : chœur à mettre en scène, des décors très compliqués. On garde ici la jubilation et l’élégance de la partition, l’humour et l’émotion du propos tout en mettant de côté une intrigue farfelue. On la rend en effet réaliste par une mise en scène allégée.
En 2006, Robert Carsen (metteur en scène de la production jouée au Châtelet et à la Scala) avait réussi quelque chose de passionnant mais impossible à bouger. Dans cette production, je racontais non seulement l’histoire avec beaucoup de textes à connaître par cœur, mais je changeais constamment de personnages (Pangloss, Voltaire) avec tous les changements de costumes que cela implique. Il s’agissait d’un véritable tour de force nécessitant une préparation titanesque.
Ici, à l’OnR, la partie du narrateur est plus brève. L’exercice est peut être moins impressionnant mais surtout moins épuisant. On esquisse les personnages rapidement, les chanteurs font quelques mouvements, indiquent des situations. Et en définitive, c’est très agréable, c’est la musique et l’humour des textes qui comptent.
Quels rôles aimeriez-vous interpréter ?
J’aurais adoré faire Sweeney Todd (Stephen Sondheim) ou L’Opéra de quat’sous (Kurt Weill).
J’aurais également adoré jouer George dans Sunday in the Park with George (Stephen Sondheim) mais je ne suis malheureusement pas un baryton aigu, ma voix porte plutôt dans les graves. Plus proche de mon emploi vocal, j’aurais bien aimé jouer Javert dans Les Misérables (Claude-Michel Schönberg et Alain Boublil).
Au final, il y a très peu d’œuvres auxquelles je peux participer car il faut soit des barytons beaucoup plus larges comme Sweeney Todd, soit des ténors ou barytons légers. J’ai ainsi fait le tour des œuvres qui sont pleinement dans mon emploi.
On vous retrouve souvent sur scène mais vous ne délaissez pas pour autant le cinéma musical. On vous a ainsi vu notamment dans On connaît la chanson (1997) et Pas sur la bouche (2003) d’Alain Resnais. C’est un format que vous appréciez également ?
Le tournage d’On connaît la chanson était merveilleux : mettre au point tous ces playbacks était fabuleux. Le film est constitué d’un cocktail d’acteurs avec des parcours différents, ce n’était que de la joie ! Un tournage devient nécessairement et tout de suite plus joyeux grâce à la musique. Cette dernière rend le travail agréable et ludique.
Mais au cinéma, lorsqu’ils abordent la comédie musicale en film, les metteurs en scène continuent de faire leur casting soit en lien avec leur fantasme de metteur en scène, soit en terme de box office. Par conséquent, le bagage musical ne pèse absolument rien, le fait d’avoir fait de la comédie musicale ne sert à rien. C’est presque un handicap puisque les chanteurs les emmerdent. On remarque aisément que les films musicaux sont majoritairement constitués de gens qui n’ont pas forcément de formation vocale – Sweeney Todd de Tim Burton en est un exemple flagrant. Les exceptions ne manquent pas bien sûr, surtout aux États-Unis, mais on se rend compte que les stars en question ont en réalité eu des formations musicales, comme Meryl Streep, Catherine Zeta-Jones ou encore Renée Zellweger.
Dans quel projet musical pourrons-nous vous retrouver ?
Je joue régulièrement dans un spectacle dédié à l’univers de Kurt Weill (Lambert Wilson chante Kurt Weill). Il a été mis sur pied avec Bruno Fontaine. Je raconte la vie du compositeur, sa rencontre avec Bertolt Brecht, sa venue en France puis son exil aux États-Unis. Je suis accompagné d’un orchestre de vingt musiciens, donc plus « weillien » que symphonique (le Lemanic Modern Ensemble de Genève). Le répertoire est à la fois allemand, français et américain, et je passe d’un personnage masculin à un personnage féminin. Je prends beaucoup de plaisir à le jouer.