Benjamin Moreau, comment s’est passée votre première rencontre avec le Festival de Saint-Céré ?
Je suis metteur en scène de théâtre et je suis venu à l’invitation d’Olivier Debordes qui m’a accueilli à trois reprises au Festival de Figeac avant de me faire une proposition pour le lyrique, à Saint-Céré, en co-mise en scène avec lui, pour La Périchole en 2014. On a renouvelé l’expérience avec La Traviata et Les Contes d’Hoffmann qui est ma troisième co-mise en scène. Et cette année, j’ai fait aussi Le Devin du village qui est ma première mise en scène seul.
Comment définiriez-vous l’esprit du festival ?
Je dirais : populaire, création et découverte. Populaire, parce que c’est l’occasion pour un public assez large – en dehors du noyau dur de fans qui viennent exprès — de découvrir l’opéra à travers ce festival. Création, parce que c’est un de nos objectifs de défendre la création. Et découverte, parce que beaucoup de jeunes chanteurs ont démarré ici.
C’est votre troisième co-mise en scène avec Olivier Desbordes, à chaque sur des créations attendues issues du répertoire. Comment se passe votre collaboration ?
Comme je viens du théâtre, ma première collaboration sur La Périchole a surtout été pour travailler les scènes dialoguées. D’autre part, Opéra Eclaté (la compagnie d’Olivier Desbordes) reprenant souvent des mises en scène d’opéras, j’arrivais en complément pour réinterroger avec lui ses partis pris, travailler la scénographie, les déplacements. Il y avait aussi l’idée d’apprentissage, pour moi, du monde du lyrique, c’était quelque chose que je ne connaissais pas. C’est très différent du théâtre. Je suis toujours surpris quand je travaille sur une reprise au théâtre, c’est toujours très long, il y a une certaine lourdeur pour faire décoller la parole parlée. J’ai l’impression que dans l’opéra, parce que les chanteurs ont une partition, le chemin vers l’émotion est beaucoup plus immédiat. C’est très étonnant et ce n’est pas du tout la même gestion du temps dans la création. Et puis, au théâtre, on a une partition à inventer, dans l’opéra, elle est déjà écrite : il y a une contrainte forte.
Cette année, vous mettez aussi en scène Le Devin du Village, écrit et composé par Jean-Jacques Rousseau, on connaît d’ailleurs peu Rousseau en tant que compositeur. Comment vous êtes-vous intéressé à son œuvre ?
Je connaissais bien Rousseau philosophe, Rousseau romancier. Mais Rousseau — on l’oublie souvent — la première fois qu’il est monté à Paris ; il est venu avec un projet musical, rapidement balayé par Rameau qui ne trouvait pas ça nécessaire. Mais il a toujours eu un intérêt très fort pour la musique, il a été copieur de musique. J’aime bien cette phrase de Goethe qui dit qu’avec Voltaire, un monde finit, avec Rousseau, un monde commence. Il y a cette idée qu’il est à cheval entre deux mondes et qu’il a essayé de réinventer beaucoup de choses, y compris musicalement. Le Devin du village n’est pas une œuvre fréquemment jouée mais a été un grand succès à son époque.
N’était-ce pas déjà une forme d’expérimentation du théâtre musical pour se démarquer de l’opéra et aller vers quelque chose de plus populaire ?
Rousseau a beaucoup écrit sur les spectacles et il avait presque une détestation du théâtre. Il a souvent critiqué au théâtre le cérémonial social, le théâtre fermé, l’entre-soi élitiste. Ce qu’il recherche, c’est davantage une communion : les fêtes populaires, les retraites aux flambeaux, ça lui va très bien. Mais il reproche aussi au spectateur une certaine passivité. Rousseau a besoin d’un échange de forces et on le voit dans Le Devin du village. Il y a, en effet, un côté expérimental, car l’œuvre est marquée par un aspect populaire et je pense qu’il avait le souhait que ce soit repris en chansons. Quant à notre proposition, on a rajouté des textes qui sont de l’Emile sur les rapports hommes / femmes. Cette bluette entre un berger et une bergère permettait d’interroger cette question là qui fait écho avec l’actualité. Cet écho s’est imposé sans toutefois déformer l’œuvre.
Le Devin du village, le 16 août 2018, Cour de la Préfecture, Cahors, 21 h.