Clémentine Deroudille, la bonne fée de l’exposition Barbara

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1896
Clé­men­tine Der­oudille ©Vin­cent Josse

Quand Bar­bara est-elle entrée dans votre vie ?
Mon his­toire est un peu par­ti­c­ulière : je suis la petite fille du pho­tographe Robert Dois­neau. J’en­trete­nais une rela­tion très forte avec lui. Il était copain avec Bar­bara. Elle l’évoque d’ailleurs dans ses mémoires inachevés. Même s’ils s’é­taient per­dus de vue, j’en entendais donc sou­vent par­ler. Il y avait ce lien invis­i­ble. J’ai été élevée dans l’idée des familles élec­tives, celles que l’on crée. Elle en fai­sait par­tie. Ma mère et ma sœur écoutaient sans cesse ses albums, moi pas du tout ! J’ai tou­jours aimé la chan­son française, mais j’é­tais plus attirée par Sou­chon, Voulzy, David Mc Neil,… J’avais peur de me con­fron­ter à Bar­bara. A l’ado­les­cence, sa chan­son « Madame » m’a impres­sion­née, je la chan­tais à tue tête, en l’ab­sence de ma mère et de ma sœur bien sûr ! Je n’é­tais pas spé­cial­iste, comme pour Brassens. J’ai donc abor­dé ce tra­vail de com­mis­saire d’ex­po­si­tion avec le goût de la décou­verte. Un peu comme un met­teur en scène à qui l’on donne un sujet et qui doit se l’ac­ca­parer. Je savais le per­son­nage romanesque à souhait, j’avais con­nais­sance de doc­u­ments excep­tion­nels. D’autre part je suis très amie avec Math­ieu Amal­ric qui, lorsqu’il s’est attelé à son film sur Bar­bara, n’é­tait pas davan­tage spé­cial­iste. C’é­tait presque comme une com­mande de Jeanne Bal­ibar, son ex femme. Cela m’a per­mis d’aller de l’avant.

Out­re l’an­niver­saire des vingt ans de sa dis­pari­tion, pourquoi ce choix ?
Il m’im­por­tait d’or­gan­is­er une expo­si­tion autour d’une femme, pour la pre­mière fois à la Phil­har­monie de Paris, cette immense chanteuse, que je n’ai jamais vue en con­cert, ni ren­con­trée. Cela n’empêche mon amour pour elle, qui n’a cessé de s’ac­croître lors de la pré­pa­ra­tion. Elle fut d’une moder­nité extra­or­di­naire, je tenais à le mon­tr­er. Je me pose tou­jours beau­coup de ques­tions à chaque nou­veau com­mis­sari­at pour savoir dans quelle direc­tion aller. Je n’aime pas trop les expo­si­tions trop didac­tiques, je préfère sug­gér­er. Bar­bara s’y prê­tait par­faite­ment, elle qui a inven­té sa vie.

L’un des moments phares est le répon­deur de Bar­bara, com­ment est venu cette idée ?
Quand j’en­vis­age une expo­si­tion, j’aime que le « spec­ta­teur » ou vis­i­teur soit act­if. Pour Bar­bara je pen­sais au fax, qu’elle util­i­sait beau­coup, et le répon­deur. J’avais enten­du dire qu’elle lais­sait beau­coup de mes­sages, étant insom­ni­aque et peut être un peu envahissante ? Le fax était trop com­pliqué à met­tre en place. Pour le répon­deur nous n’avions que des mes­sages tron­qués. L’idée a donc fail­li être aban­don­née. J’ai beau­coup tra­vail­lé sur l’en­gage­ment de Bar­bara dans la lutte con­tre le sida. Le pro­fesseur Pierre-Marie Girard, qui l’a accueil­lie à l’hôpi­tal et avec qui elle a beau­coup tra­vail­lé, m’a con­tac­tée quelques semaines avant l’ou­ver­ture de l’ex­po­si­tion. Il n’avait pas par­lé d’elle depuis vingt ans. Il m’a par­lé de ses mes­sages qu’il avait con­servés. Il m’a don­né la cas­sette de son répon­deur, c’é­tait très drôle et émou­vant. Avec son accord, j’ai tenu à les faire enten­dre dans l’ex­po­si­tion. Quelle chance d’avoir pu les utilis­er, ils font par­tie de la vie de Bar­bara. Et cela rem­porte l’ad­hé­sion. Tout comme les télé­grammes que les vis­i­teurs peu­vent adress­er à la chanteuse. Le tra­vail pré­para­toire m’au­ra per­mis de ren­con­tr­er des gens pas­sion­nants. Je me sens toute petite.

Par­lez-nous du tra­vail scénographique ?
Nous avions tra­vail­lé ensem­ble, avec les scéno­graphes Chris­t­ian Mar­ti et Antoine Fontaine, pour l’ex­po­si­tion sur Brassens et parta­geons la même sen­si­bil­ité. Lors des pre­miers ren­dez-vous, je leur livrais mes sen­sa­tions, mes idées : une pre­mière salle où on retrou­ve Bar­bara puis soulever le rideau pour aller dans un univers autre : celui de la chanteuse. Je voulais quelque chose de très col­oré, avec comme fil con­duc­teur : le spec­ta­cle. Monique va inven­ter Bar­bara jusqu’à devenir cette reine absolue sur scène à la fin de sa car­rière. Eux ont eu l’idée des petits espaces qui vont en s’a­gran­dis­sant, de ce chem­ine­ment en rond, envelop­pant afin d’être dans une sorte d’in­tim­ité pour chaque vis­i­teur. Voluptueux et enrobant dans tout ce velours. De mon côté je voulais une grande salle à la fin, comme une place de vil­lage. Je voulais égale­ment que les chan­sons soient dif­fusées, je n’aime pas les casques qui iso­lent. Et que l’on puisse s’asseoir, de manière à pou­voir pren­dre son temps. Ce fut joyeux en fait à con­cevoir, même si le bud­get était limité.

Vous avez accroché ce beau por­trait réal­isé par votre grand-père.
Ce n’est pas moi qui ai eu l’idée d’ac­crocher cette pho­togra­phie, mais je suis très heureuse que Julie et Mathilde, mes col­lab­o­ra­tri­ces, aient insisté ! Nous étions trois, sans compter les scéno­graphes, à tra­vailler sur cette expo­si­tion et tenions à mon­tr­er Bar­bara en beauté, en majesté.

Quelle est la pièce dont vous êtes la plus fière ?
Spon­tané­ment, je dirais le man­u­scrit de « Nantes » prêté par Gilbert Som­mi­er… Mais à bien y réfléchir… tout en fait ! J’adore être à la recherche de doc­u­ments, je suis ent­hou­si­aste et per­sévérante. J’ai longtemps cher­ché une image à Abid­jan, don­née par la doc­u­men­tal­iste de Un jour, un des­tin. Les pho­tos de Bobi­no où elle est en pre­mière par­tie de Brassens me plaisent aus­si beau­coup… Comme je savais que l’ex­po­si­tion allait être très émou­vante, je tenais à con­tre bal­ancer tout ça. D’où cette « une » de Ici Paris qui annonce le mariage entre Bar­bara et Jean-Claude Bri­aly. Voilà de quoi illus­tr­er leur ami­tié. C’est Marie Chaix qui me l’a prêtée. Elle était éton­née que je la choi­sisse. J’aime aus­si beau­coup la rela­tion romanesque avec Luc Simon traduite par ce livre de dessins.

Pourquoi cette expo­si­tion est importante ?
C’est un moyen de mon­tr­er que la chan­son est un art majeur, tou­jours aus­si mal con­sid­éré de nos jours. Je ne com­prends pas que l’on dédaigne des doc­u­ments qui risquent de dis­paraître et qui sont tout de même les piliers de notre cul­ture. Don­ner à ressen­tir ce que fut Bar­bara m’a pas­sion­née. Avant d’abor­der toute expo­si­tion, je passe des heures à con­sul­ter le site de l’I­NA, c’est une mine. Je recense tout, je note. Le film de Gérard Vergez, que j’adore, était qua­si­ment une base. C’é­tait aus­si un clin d’oeil à ceux qui ont vu le film de Math­ieu Amal­ric qui en a util­isé des extraits.

Quels témoignages recueillez-vous des spectateurs ?
Ils sont assez extra­or­di­naires. L’ex­po­si­tion m’a don­né un trac fou car Bar­bara touche vrai­ment à l’in­tim­ité des gens. L’u­na­nim­ité me comble. Les gens sont émus, sou­vent ils revi­en­nent et décou­vrent de nou­velles choses. J’adore les regarder, devin­er leur émo­tion, la manière dont ils s’ac­ca­parent l’ex­po­si­tion. J’aime aus­si que des gens qui n’ai­ment pas Bar­bara voient l’ex­po­si­tion et… changent d’avis. Ce qui arrive, j’ai des témoins. Cet anniver­saire est large­ment célébré, peut être trop, mais cette artiste est telle­ment impor­tante. Nous tra­vail­lons actuelle­ment sur l’it­inérance de l’ex­po­si­tion qui devrait par­tir dans divers pays.

Bar­bara à la Cité de la musique — Phil­har­monie de Paris
221, avenue Jean-Jaurès
75019 Paris
Jusqu’au 28 jan­vi­er 2018