Dans les coulisses de Merlin, la légende musicale

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À une semaine de leur première, Marie-Jo Zarb, Bastien Jacquemart, Arnaud Léonard et les chevaliers de la Table ronde ont ouvert à Regard en Coulisse les portes de Camelot. Hissez les étendards, dépoussiérez vos grimoires et découvrez les secrets de cette nouvelle création !

« En place pour le deux­ième acte, s’il vous plaît ! »
Cette phrase pour­rait sem­bler sans orig­i­nal­ité pour ouvrir ce texte. Elle pour­rait sem­bler banale, trop facile, mille fois déjà lue, ou enten­due… Ce serait oubli­er la Covid et cette sit­u­a­tion san­i­taire oblig­eant artistes, tech­ni­ciens, cos­tu­miers, maquilleurs à rester chez eux depuis des mois… Ce serait oubli­er la fer­me­ture des salles, l’arrêt des spec­ta­cles, les rideaux bais­sés et la pous­sière sur les planch­es… Ce serait nier à quel point cette phrase était atten­due, espérée et tant guettée…

Alors, en cette chaude après-midi de juin 2021, dans la pénom­bre des Folies Bergère, par­mi chanteurs en cuirass­es, choré­graphe en bas­kets et tech­ni­ciens en sueur, cette phrase, lancée au micro, a pris tout son sens. Claquant comme un éten­dard, réson­nant comme un appel, un sur­saut : le retour du spec­ta­cle vivant !

Marie-Jo Zarb le sait sans doute mieux que quiconque, qui affiche un immense sourire devant sa troupe prête à fil­er la deux­ième par­tie de son Mer­lin, la légende musi­cale. Deux ans qu’elle a écrit son texte, qua­tre mois qu’elle a dû annuler, et deux heures qu’elle s’émerveille devant la ving­taine d’artistes occu­pant la scène.

De la dis­tri­b­u­tion orig­i­nale prévue en févri­er dernier, pas un ne manque à l’appel, autour de la Table ronde. De Fab­rice Todaro (Cheva­lier de Hon­ey) à Clé­mence Bou­vi­er (Guenièvre), de Mathilde Lib­brecht (la Dame du Lac) à Eloi Hor­ry (Lancelot). Une fierté pour celle qui porte ce spec­ta­cle, et en rêve depuis une décen­nie – au point d’avoir bap­tisé son chat Mer­lin : « J’ai tou­jours été fascinée par la légende arthuri­enne. Cap­tivée par cette his­toire de Mer­lin, mi-homme mi-démon, tou­jours hési­tant entre le bien et le mal, entre les ombres et la lumière. Je voulais en faire quelque chose. Un spec­ta­cle tout pub­lic certes, parsemé de magie, de com­bats et de beau­coup d’amour, mais aus­si quelque chose d’inattendu. » Et Marie-Jo Zarb de dévoil­er l’une des orig­i­nal­ités de son réc­it : « L’élément qui me man­quait m’est apparu comme une évi­dence : une femme. Dans ce monde d’hommes, cet univers vir­il, où la place des femmes était réduite, il était vital pour moi d’ajouter un per­son­nage féminin. J’ai donc inven­té Azénor, une jeune fille qui a vécu à Brocéliande, qui a gran­di auprès de Mer­lin et que ce dernier va guider. Elle va s’imposer pour siéger à la Table ronde. » Per­son­nage totale­ment imag­i­naire, il donne une autre vision de l’œuvre. « L’histoire de Mer­lin sera traitée avec un angle féminin. Pour la pre­mière fois, j’amène l’idée qu’une femme puisse devenir cheval­ière et rejoin­dre Perce­val ou Léoda­gant. » Cer­tains crieront au sac­rilège. D’autres à l’audace. L’art est ain­si fait.

Les répétitions débutent. La fumée envahit la scène, à l’heure de partir à la quête du Graal. 

En coulisse, Bastien Jacque­mart (Hair­spray, Miss Car­pen­ter, Bel-Ami…) dépose respectueuse­ment Excal­ibur sur une table, entre un portable et une par­ti­tion. Le charme d’être un roi Arthur du XXIe siè­cle. Il ray­onne : « C’est mer­veilleux d’être là ! Plus encore que de retrou­ver les cos­tumes et la scène, le bon­heur est de retrou­ver une troupe. Je pen­sais que le retour artis­tique serait le cadeau ultime, c’était sans compter sur le retour ‘humain’. Je n’imaginais pas à quel point cela me man­querait. L’électricité humaine ne se rem­place pas. » L’éternel jeune pre­mier – « J’en prof­ite avant de n’avoir plus l’âge ! » – a relu toute l’œuvre mythique pour se pré­par­er : « Ce spec­ta­cle prend le sujet très au sérieux. Au pre­mier degré. On plonge dans la légende arthuri­enne, dans ce con­te intem­porel. C’est pas­sion­nant. Arthur est un mythe fondateur. »

Arnaud Léonard (Oliv­er Twist, le musi­cal, Le Roi Lion, Le Fan­tôme de l’Opéra…) passe une tête der­rière le rideau. Point de barbe immac­ulée pour ce Mer­lin, mais une improb­a­ble per­ruque, plus proche d’un homme des bois : « C’est sûr, on est loin de de l’image d’Épinal, glisse-t-il de son éter­nelle voix grave, en même temps, soyons lucide, je joue un homme âgé de 900 ans. Les créa­teurs ont respec­té l’œuvre : dans la mytholo­gie pure, ce fils d’un démon et d’une pucelle reste un drôle de bon­homme vivant au milieu d’une forêt, pas très socia­ble, fuyant même les humains. J’oserais dire qu’il a un côté un peu hip­pie. Dans le spec­ta­cle, le début de la quête du Graal mar­que la fin du cycle de Mer­lin et entame le début du cycle d’Arthur. » Marie-Jo Zarb n’est pas en reste: « Mer­lin est un guide spir­ituel, il par­le aux esprits. Cet homme vit entre deux mon­des, par­mi les dieux, les hommes et les démons. C’est un mage, presque un shaman. »

Plus que de leur rôle, c’est surtout du bon­heur de se retrou­ver dont tous par­lent. La sit­u­a­tion des derniers mois a lais­sé des traces. Cer­tains n’ont pas foulé les planch­es depuis presque un an… L’on devine cette néces­sité vitale de se soud­er, de se ser­rer les coudes et de savour­er l’instant. Et l’on par­donne à Nico­las Kaplyn (Gau­vain) de décon­cen­tr­er ses frères d’armes.

« C’est au-delà de l’enthousiasme de remon­ter sur scène, s’exclame Arnaud Léonard, il y a un soulage­ment extra­or­di­naire. Durant ces derniers mois, on avait l’impression de lut­ter con­tre tout. Se revoir a fonc­tion­né comme une ému­la­tion, d’une puis­sance incroy­able. J’ai rarement vu une cohérence pareille dans un groupe, c’est stupé­fi­ant. On s’est retrou­vé avec une énergie démul­ti­pliée et une envie ter­ri­ble de se don­ner à fond. »

Le filage se poursuit. Une quinzaine de chansons originales ponctue le spectacle. Toutes signées Erik Sitbon (Jack le musical, Le Portrait de Dorian Gray).

Cet incon­di­tion­nel de Broad­way, fan absolu de Frank Wild­horn (Drac­u­la, Monte Cristo, Jekyll & Hyde) a lais­sé libre court à son inspi­ra­tion : « Marie-Jo a eu l’intelligence de me don­ner carte blanche. Mon cahi­er des charges était de faire des chan­sons pour un large pub­lic, avec une vraie couleur cel­tique. J’ai com­posé l’intégralité des titres et des under­scores dans cet esprit. Avec l’arrangeur Yoann Lau­nay, nous avons essayé un mélange cohérent de sonorités. » Si les per­cus­sions sont syn­thé­tiques, les flûtes cel­tiques et les cordes ont été enreg­istrées en stu­dio. « Cer­taines chan­sons, plus thé­ma­tiques, m’ont don­né plus de mal, comme celle de Mor­gane, une incan­ta­tion, ambiance très magie noire. »
Chanteur de folk rock, capa­ble de fon­dre devant My Fair Lady, Erik Sit­bon est intariss­able sur Bou­blil et Schoen­berg: « J’adore les chœurs ! Pour Mer­lin, j’ai voulu une vraie chan­son d’ensemble, un titre un peu révo­lu­tion­naire, dans l’esprit des Mis­érables, ‘La lib­erté’, un hymne puis­sant  de chevaliers. »

Alex­is Loizon se fau­file dis­crète­ment. Le pro­duc­teur du spec­ta­cle (avec Bruno Amic et Patrick Raoux et leur Narya Pro­duc­tions) ne le dira pas, mais il n’est pas peu fier de ses équipes. Son nou­veau rôle, dans l’ombre, lui va comme un gant.

Les lumières se font plus intimes. Sur scène, Lancelot et Guenièvre se rapprochent. Par chance pour eux, les gestes barrières n’étaient pas en vigueur au Moyen Âge.

Pas le temps d’en prof­iter, le reste de la troupe fait son appari­tion, poulaines aux pieds, pour une danse médié­vale. Surtout con­nue pour ses rôles dans Grease à Mogador (Frenchy) ou Émilie Jolie, Flo­rie Sourice a créé les choré­gra­phies. Trois ans qu’elle offi­cie pour des cabarets et des revues, notam­ment au Casi­no Bar­rière de Deauville. Mer­lin est sa pre­mière comédie musi­cale parisi­enne. Et pas la plus sim­ple, quand il s’agit de faire danser des cheva­liers ! « En effet, ce n’est pas évi­dent ! C’est surtout de la mise en espace scénique, décrit-elle, des déplace­ments d’ambiance, des sché­mas choré­graphiques, des mou­ve­ments d’ensemble. Je me suis beau­coup inspiré des dans­es moyenâgeuses, des dans­es cel­tiques et folk­loriques aus­si, en ter­mes de ryth­miques et de pas. » 

Dans ses valis­es, elle a amené avec elle qua­tre jeunes danseurs de l’AID (Académie inter­na­tionale de la danse) : Quentin Anger­rand, Joséphine Ref­fay, Lucas Sif­fert et Yon­ah Hanoy. Ces appren­tis en danse, chant et comédie, élèves de pre­mière et deux­ième année, ont déjà évolué avec le jeune bal­let européen, mais font pour cer­tains leurs pre­miers pas (et cas­cades !) sur scène en pro­fes­sion­nels. Autant dire qu’ils ne sont pas les derniers à s’impatienter avant la première.

Elle aura lieu dans une semaine. Le temps d’effectuer les dernières retouch­es aux cos­tumes, de caler les ultimes effets de lumières. Le temps de four­bir ses armes. Le temps surtout de savour­er le moment présent.

Les chevaliers ont retrouvé la scène. C’est peut-être cela leur Graal.
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