Parlez-nous de votre parcours…
Je suis parti voilà sept ans sur un coup de tête, muni d’un visa d’artiste. Je travaillais régulièrement en France, mais j’avais envie de voir autre chose. En fait, lors de la deuxième saison de Mamma mia! à Mogador, j’avais commencé les démarches. Stage Entertainment (le producteur, N.D.L.R.) proposait une tournée quand j’ai reçu l’appel de mon avocate : que faire ? Soit choisir une sorte de sécurité en restant en France, soit partir pour les États-Unis ; j’ai pris le risque. Je suis donc parti en 2012 à New York, j’ai obtenu ma carte verte, participé au spectacle Naked Boys Singing, puis tourné avec mon show, Love versus amour, un cabaret autour de chansons d’amour remises au goût du jour. J’ai également travaillé au Stardust Diner en tant que serveur chanteur. En l’occurrence, il faut assurer une animation en plus du service. La vie a fait que je suis rentré en France en 2017. The Voice France m’a appelé ; j’y ai participé cette année-là, ce qui a réactivé les choses. Je me suis rendu compte que cette émission nécessite, pour bien la vivre, une bonne expérience de la scène et du spectacle. J’ai également travaillé sur différentes productions de Disney, et voilà Rimbaud qui s’est profilé… J’ai trouvé l’annonce du casting sur votre site, le rôle m’intéressait et je connaissais bien le film qui relate la passion entre ce poète et Verlaine [Total Eclipse (Rimbaud Verlaine, en VF), réalisé en 1995 par Agnieszka Holland, N.D.L.R.]. Après plusieurs tours d’audition avec monologues et chansons, fin juin j’ai su que j’étais engagé.
Comment s’est déroulée la préparation du spectacle ?
Nous avons eu deux mois de répétitions très intenses — 8 heures par jour —, notamment en août pour la chorégraphie, très exigeante. Nous ne sommes que six sur scène ; par conséquent il est impossible de se cacher derrière un ensemble : nous avons chacun une partition à jouer. Fin août, je me suis véritablement attaqué au personnage grâce à la direction d’acteur de Stéphan (Roche, N.D.L.R.), qui est à la fois mon partenaire, le metteur en scène et l’auteur… Cela peut faire peur, mais il arrive à tenir les trois aspects sans problème. Il s’est dévoué à nous avant lui-même, et je reconnais en lui un excellent directeur d’acteurs. J’ai l’habitude de la méthode anglo-saxonne, je la retrouve ici dans son exigence. Il fallait en outre intégrer des données d’ordre technique puisque nous évoluons dans un décor fait de projections et de maping vidéo.
Quel est votre regard sur votre personnage ?
Rimbaud est un personnage très complexe. Au moment des auditions, j’avais ce film, Total Eclipse, dans la tête. Il m’avait beaucoup perturbé, enfant, car il parlait de exploration de l’identité sexuelle en mettant en avant deux génies du patrimoine français. Je l’ai revu pour me replonger dans l’univers. Avec le recul, je me suis rendu compte que ce film est remarquable, mais n’offre qu’une version très édulcorée, doublée d’une vision très américaine de cette histoire, de manière à la rendre très grand public. Christopher Hampton en a écrit le scénario ; certaines choses semblent lui avoir échappé car elles sont très ancrées dans la culture française et donc peu explicables. En tant qu’anglo-saxon, il n’a pas le même ressenti qu’un Français. Par la suite, j’ai accompli un gros travail en lisant toutes les biographies, je me suis beaucoup documenté. Je n’ai pas encore eu l’occasion d’aller à Charleville, d’où il est originaire, mais l’assistante de Stéphan y est allée et en a rapporté des livres et des photos. J’ai fait l’expérience de l’absinthe dans l’un des plus vieux restaurants de Paris, Le Bon Bock, là où on servait à l’époque, à toute l’intelligentsia, ce breuvage disponible aujourd’hui uniquement en version édulcorée. Mais je voulais en connaître le goût. J’ai également interrogé autour de moi à propos de la relation entre Verlaine et Rimbaud, et je me suis aperçu que les réponses sont assez floues. Peu de gens savent ce qui s’est réellement passé. Ils confèrent à cette histoire une notion romantique, adjectif souvent accolé à Rimbaud et qui me semble faux. C’est un génie torturé, bien en avance sur son temps. Dans Le Bateau ivre, envoyé à Verlaine et aux parnassiens, il a déjà écrit sa vie.
Quel poème de Rimbaud préférez-vous ? Même question pour Verlaine.
Il m’est très compliqué de choisir. J’ai lu Les Illuminations, Une saison en enfer et d’autres recueils, notamment zutistes, qui sont de la provocation pure et dure. Parfois, il est difficile de comprendre ce qu’il a voulu dire car c’est très étrange, étant donné que ce fut écrit dans un état modifié de conscience. En poésie, je suis plus attiré par le « réalisme ». Le Bateau ivre reste un chef‑d’œuvre ; je l’ai relu énormément pour nourrir mon personnage.
Pour l’heure, vous êtes au théâtre pour les représentations, et après ?
Mon statut actuel fait que je peux retourner aux États-Unis quand je veux : je suis comme Rimbaud, pas fixe, j’ai mes propres « semelles de vent ».