Je m’accorde quelques minutes de schizophrénie afin de faire cette auto-interview autour de la sortie du livre J’avais rêvé… que j’ai co-écrit avec Alain Boublil et Claude-Michel Schönberg.
Quelle est la genèse de ce livre ?
Stéphane Letellier-Rampon, coproducteur de cette nouvelle version des Misérables, m’a contacté pour me proposer de co-rédiger cet ouvrage. Aucun livre n’existe en France sur le spectacle et encore moins sur le parcours absolument incroyable de ses deux créateurs. Par le biais de Bruno Nougayrède, les éditions du Rocher m’ont accordé leur confiance, moi qui ai l’habitude d’écrire, mais sans expérience dans le domaine purement littéraire, et voilà : le livre est désormais terminé.
Comment le travail s’est-il organisé ?
Le délai pour écrire ce livre a été très court, il n’était donc pas question de se laisser aller à des rêveries ou des expérimentations. Dans un premier temps, j’ai rédigé un chapitrage qui me semblait en cohérence avec le but de ce livre. Une fois qu’il a été accepté par l’ensemble des partenaires, j’ai mené des interviews pour nourrir les divers chapitres avec, d’un côté, Alain Boublil, qui se trouvait à l’époque aux États-Unis, et de l’autre, Claude-Michel Schönberg, qui réside à Londres. Ensuite j’ai retranscrit ces douze heures d’enregistrement et commencé à rédiger. J’envoyais mes écrits chapitre par chapitre à Alain et Claude-Michel, puis incorporais leurs remarques, corrigeais certains points. Par la suite, nous nous avons appliqué la méthode qu’Alain pratique en permanence : la réécriture. Profitant de son séjour parisien, j’ai travaillé à ses côtés. Je regrette un peu de ne pas avoir eu plus de temps car, en reprenant les textes, de nouveaux souvenirs revenaient à sa mémoire et j’adorais ces moments où l’œil d’Alain s’éclairait, provoquant un sourire malicieux. Avec Claude-Michel, nous avions des rendez-vous ponctuels en visio : il donnait son point de vue, rectifiait de son côté. Je tiens également à saluer mes amis qui m’ont soutenus et relus avec efficacité, au premier rang desquels Gilles Taillefer.
À quel public s’adresse ce livre ?
Cette réflexion, menée en amont, m’a conduit à conclure que J’avais rêvé… intéresserait obligatoirement les fans des Misérables. Il va sans dire qu’une partie du contenu du livre est connue par ces admirateurs. Par conséquent, j’ai tenté d’intégrer de nouveaux éléments, y compris d’un point de vue iconographique puisque Alain et Claude-Michel m’ont ouvert leurs archives personnelles. Même s’ils ne collectionnent pas les photos, ils en possèdent certaines qui étaient parfaites. Ils m’ont d’ailleurs fait l’amitié de m’autoriser à publier pour cet article ces trois clichés, non retenus pour le livre, mais que j’aime beaucoup. Par la suite, Agnès Vidalie, l’éditrice, a fait un gros travail de recherche, aidée en cela par Sue Coombes, l’assistante d’Alain et une femme absolument délicieuse. Le livre se destine également au public qui va découvrir le spectacle et qui aura sans aucun doute le désir d’en savoir plus sur ses auteurs.
Est-ce un livre uniquement consacré aux Misérables ?
Pas du tout. Même si la genèse de ce spectacle occupe une large place, il me semblait primordial d’évoquer le passé d’Alain et de Claude-Michel. D’où viennent-ils ? Quel est leur parcours ? Je vous conseille l’anecdote de jeunesse de Claude-Michel avec Barbara – j’adore. Lorsque l’on considère leurs trajectoires, les points communs ne manquent pas, je trouvais amusant de les évoquer. Ce tandem qui a offert au public tant de spectacles – Miss Saigon, Martin Guerre, The Pirate Queen… – est composé de deux personnalités très différentes, qui se sont révélées complémentaires. Et ce fut un plaisir de les entendre, l’un et l’autre, évoquer la variété des années 60 et 70, dont j’étais particulièrement amateur, puisqu’ils ont largement participé à son essor. Par ailleurs, à la fin du livre, lorsque le compositeur évoque son souhait, qui ne s’est pas concrétisé, d’adapter Quand volent les cigognes en comédie musicale, je me prends à penser que les fans les plus assidus ne manqueront pas de regarder ce film au travers de ce prisme particulier. En connaissant la musique de Claude-Michel, sa manière de composer, je me suis livré à l’exercice d’essayer de comprendre ce qui l’a séduit dans ce chef‑d’œuvre du cinéma russe et de deviner quelles scènes il aurait mises en avant. C’est passionnant. Après la rédaction du livre, j’ai continué quelques recherches et trouvé une partition conservée à Besançon – la ville natale de Victor Hugo – de la première adaptation musicale des Misérables, avec des paroles du romancier lui-même. Pour les curieux, vous pouvez jouer et interpréter « La Chanson de Fantine » puisqu’elle est disponible sur le site de la bibliothèque municipale de Besançon. J’ai même découvert que plusieurs compositeurs l’ont mise en musique, à découvrir en cliquant ici, en cliquant là, ou encore là…
Connaissez-vous par cœur Les Misérables ?
Je mentirais si je répondais par la positive. J’ai vu le spectacle à Londres voilà quelques années, j’ai assisté à une représentation de la tournée au Châtelet en 2010 et j’ai vu le film. Revoir la captation des 25 ans à l’O2 Arena a fait ressurgir nombre de souvenirs. En 1980, j’avais 14 ans et j’écoutais la chanson de Gavroche, largement diffusée en radio, et j’avais emprunté le double 33-tours à la discothèque. L’histoire des Misérables, découverte par une version abrégée du roman puis au cinéma, me terrorisait. La mort de Fantine m’était insupportable, j’en ai fait des cauchemars ! Je me rappelle avoir écouté Rose Laurens, la première interprète de Fantine, et avoir fondu en larmes, sa voix m’avait bouleversé. J’avais été séduit par la prestation de Maurice Barrier et le chant cristallin de Fabienne Guyon m’avait marqué. Je crois également que l’aspect très religieux de l’œuvre m’avait un peu rebuté. J’aurais adoré que Valjean trouve sur sa route un homme bon qui lui offre des chandeliers et soit le point de départ de sa rédemption, sans pour autant qu’il fût un ecclésiastique. J’ignorais que Fabienne et moi deviendrions amis des années plus tard et qu’elle me ferait l’amitié de chanter dans mon premier documentaire, The Funny Face of Broadway ! À l’époque, j’écoutais plus volontiers le conte musical de Philippe Chatel Émilie Jolie, qui me plongeait dans un univers fantasmagorique qui me convenait parfaitement bien. Je devais sans doute devenir un peu plus adulte pour saisir tout ce que la comédie musicale Les Misérables avait à offrir. De toute manière, je n’ai pas de connaissance encyclopédique des œuvres. J’adore me plonger dans les livres achetés à New York qui les recensent et contiennent toutes les informations dont j’ai besoin.
En matière d’abréviation, doit-on utiliser les Miz ou les Mis ?
Prononcer misérable présente plusieurs difficultés pour un Anglo-Saxon : le e accent aigu et le r. Par conséquent l’abréviation « mis » est devenue la règle. J’ai posé la question aux principaux intéressés, qui optent pour Les Mis, mais qui, phonétiquement, se prononce Miz…
En conclusion ?
Je suis ravi d’avoir pu partager quelques moments avec ces deux hommes aux tempéraments tellement différents, deux grands lecteurs, curieux, débordants de projets, qui continuent à travailler, réfléchir et… discuter ! En fait, il y a quelque chose de vertigineux à penser que Les Misérables sont devenus une entreprise gigantesque, un mastodonte dans l’industrie du musical, mais que, à chaque représentation, tout repose sur les épaules des artistes et des techniciens en coulisse avec la fragilité inhérente à toute représentation. Et cette toute nouvelle production, plus que prometteuse, aura tout pour séduire les fans et un nouveau public. Sans parler d’un aspect émotionnel très fort pour ses deux créateurs et, d’une certaine manière, pour Cameron Mackintosh.