Comment et pourquoi Compote de Prod s’est-elle spécialisée dans le théâtre musical ?
C’est venu très naturellement par le biais de certaines rencontres. En effet, tout a débuté pendant nos études : nous étions en écoles d’ingénieurs ou de commerce, donc nous ne venions pas d’un milieu artistique, mais nous étions tous, plus ou moins, déjà artistes. Ma rencontre avec Julien Goetz, musicien et compositeur autodidacte, m’a donné envie de le suivre et de monter des projets avec lui. La musique m’a toujours beaucoup touché, et pouvoir raconter des histoires en musique était très important pour moi : cela rajoute un véritable supplément d’âme à ce que l’on peut créer. C’est à ce moment-là que j’ai découvert le milieu du théâtre musical. Cette discipline nous a tout de suite beaucoup plu, puisqu’elle permet de porter des projets ambitieux et très excitants.
Pourquoi avez-vous fait le choix de vous adresser au jeune public ?
Nous créons du spectacle jeune public car notre compositeur aime composer dans des univers féeriques. Mais c’est aussi la forme de théâtre musical qui fonctionne en ce moment. Les spectacles familiaux drainent du public : ce n’est pas pour rien que Mogador relance Le Roi Lion. En nous adressant aux jeunes spectateurs, cela nous permet de toucher un public plus large et de faire redécouvrir la comédie musicale aux adultes. C’est aussi très important pour nous de faire des spectacles destinés aux enfants, car cela leur donne l’amour du théâtre et les fait rêver ! Nous faisons très attention aux messages véhiculés par nos spectacles. Avant de commencer une création, nous nous entendons sur les valeurs de nos personnage, sur la morale, etc. Nous avons été surpris de voir à quel point les enfants comprenaient ce que nous voulions évoquer. Nos spectacles restent des spectacles d’émerveillement, mais le public y apprend beaucoup de choses.
Aussi, nous ne voulons pas nous contenter de cela. C’est vrai que nous adorons le spectacle jeune public, mais on ne peut pas y parler de choses aussi engagées que dans un spectacle pour adultes. C’est en partie pour cela que nous avons choisi d’accompagner La Clef de Gaïa, car c’est un spectacle riche de sens et qui parle de sujets auxquels nous sommes sensibles.
Lorsque le confinement a débuté, vous commenciez à travailler sur votre nouveau projet, Le Monde de Peter Pan. Comment votre équipe a‑t-elle vécu cet arrêt forcé ?
Nous avions prévu une grosse marge de sécurité pour produire ce projet, en nous laissant du temps. Le confinement nous a fait perdre une bonne partie de cette marge, mais finalement, dans le processus, le confinement a correspondu à une phase de création en partie « en chambre » – tout comme la finalisation de la musique et du texte –, qui a donc pu continuer. Nous avons cependant prévu une première résidence début juin, dont l’objectif premier était de tester les décors et les costumes sur lesquels nous n’avions absolument pas pu avancer. Les travaux se poursuivent donc en ce moment et les tests se feront pendant les mois de répétitions à l’automne. Mais beaucoup d’incertitudes persistent.
Pendant le déconfinement, nous avons pu apercevoir, sur les réseaux sociaux, quelques images de votre première résidence. Comment avez-vous abordé cette étape de travail dans ce contexte si spécial ?
Nous avons dû nous adapter. Nous avions prévu de travailler sur la chorégraphie ou des exercices de groupe d’une taille limitée au maximum. Nous avons dû faire des répétitions avec masques, ce qui n’a pas facilité la tâche, mais nous souhaitions surtout que l’équipe se rencontre afin de créer cet esprit de troupe qui nous est cher.
Comment envisagez-vous l’avenir ?
Pour l’avenir, je pense qu’il n’y a pas de solutions satisfaisantes actuellement. On ne peut pas créer un spectacle qui prenne en compte tous les gestes barrières et la distanciation physique. Si les comédiens sur scène ne peuvent pas être à moins d’un mètre de distance, j’ai du mal à imaginer comment Peter Pan va faire voler Wendy ! Dans notre Peter Pan, la chorégraphie est totalement liée à la mise en scène, et nous voulons réaliser un gros travail sur le corps ou le rapport entre les comédiens. Bien sûr, nous ne jouerons pas avec le feu, nous nous adapterons à la période, mais, si à un moment les restrictions sont trop lourdes, je préfère que nous ne ne fassions rien… et que nous attendions l’accalmie. Car je ne veux pas mettre de limite à la création du spectacle.
Avez-vous pu tout de même retirer quelques effets positifs de cette crise ?
Globalement, la crise a eu un effet très négatif. À l’échelle de Compote de Prod, cela ira, mais pour l’industrie du théâtre musical, c’est très difficile. Nous essayons d’ailleurs de passer un message par l’intermédiaire de notre syndicat et au travers de nos engagements : il faut que nous soyons soutenus pour créer !
Après, cela nous a tout de même permis de prendre le temps de développer de nouvelles choses, comme une offre de location de matériel à prix assez bas pour les acteurs du milieu. Nous en avons aussi profité pour alimenter notre site internet, pour réfléchir à la situation, pour écrire beaucoup d’articles, mais ne nous leurrons pas : c’était un peu pour tuer le temps.
Vous aviez déjà travaillé sur l’histoire du jeune Peter Pan avec votre spectacle Souviens-toi Pan. Pourquoi en refaire une adaptation ?
Il y a trois raisons. La première c’est que Peter Pan offre une possibilité créative plutôt vaste et évoque un imaginaire très large. Les personnages sont très divers et ils peuvent faire l’objet d’un travail différent ; par exemple, nous souhaitons mieux exploiter celui de Wendy.
La deuxième raison, c’est que c’était notre tout premier spectacle ; c’est donc un peu notre madeleine de Proust. Nous nous étions toujours dit qu’il faudrait remontrer ce spectacle de manière plus professionnelle, et le moment est arrivé.
Enfin, il ne faut pas se mentir : quand on vend un spectacle, on vend un titre. L’objectif est de partir en tournée, de le faire jouer. Quand nous proposons nos spectacles aux structures et aux programmateurs, ils se demandent si les gens vont venir le voir. Les programmateurs amateurs mais non professionnels ont besoin d’être rassurés, et Le Monde de Peter Pan est un titre qui fait immédiatement voyager. Nous avons beaucoup d’idées de créations pures, mais c’est un peu tôt pour nous pour l’instant.
Pouvez-vous nous en dire plus sur le personnage de Wendy ?
Dans l’imaginaire collectif, Wendy représente la petite fille sage qui tombe amoureuse de Peter Pan, qui le suit et qui est prête à tout pour lui. Elle s’occupe des enfants et revêt le rôle de la mère. Pourtant, dans certaines circonstances, Wendy tient tête à Crochet, elle s’affirme plus. Nous allons donc essayer de traiter ce personnage comme une petite fille qui connaît ses premiers émois et dont le caractère de femme commence à se manifester. C’est un personnage qui sait se faire respecter et qui n’a finalement pas besoin de Peter Pan pour agir. D’ailleurs, ce dernier est aussi dépendant de Wendy qu’elle est dépendante de lui. Attention : nous ne souhaitons pas faire de Wendy une icône féministe non plus, mais nous sommes bien conscients qu’elle a des choses à dire.
Pourquoi faut-il aller voir Le Monde de Peter Pan?
C’est un thème qui va vous émerveiller ! Il y a eu beaucoup d’adaptations, mais nous avons notre patte. C’est une création merveilleuse, surprenante, pleine d’effets magiques. De plus, nous allons montrer d’autres facettes des personnages ; vous pourrez les découvrir sous un autre angle. Nous avons déjà parlé de Wendy, mais Peter Pan est, pour nous, un double de Crochet : il est assez cruel. On ne s’en rend pas compte à cause de l’image véhiculée par Disney, mais, dans le conte, Peter Pan est un enfant égoïste et violent.
Enfin, c’est vraiment un projet qui nous tient à cœur, et nous essayons de le mener du mieux possible, malgré la situation. Nous avons beaucoup de chance de créer ce spectacle avec toutes ces personnes qui y mettent toute leur énergie. Je suis très fier de l’équipe du show et c’est aussi pour cela que ce projet est si attachant.