Acceptez-vous les thermes et conditions ?
Vivre d’amour et d’eau fraîche, c’est une chose. C’en est une autre de mourir d’amour et d’eaux thermales… Né de la rencontre du romancier Olivier Bleys et du compositeur Guillaume Connesson, cet opéra-comique contemporain mêle les joies de la répartie, les plaisirs d’une enquête policière, le souffle du thriller, et les vertiges de l’amour au-delà de la mort. Une œuvre moderne à l’ancienne, menée avec finesse, humour, et parfumée de quelques gouttes de fantasmagorie.
Notre avis : Comédie musicale, théâtre musical, opéra-comique… À quoi bon toutes ces distinctions lorsque l’on est face au meilleur ? Car ces Bains macabres, annoncés comme un « opéra-polar », première œuvre vocale scénique de Guillaume Connesson – compositeur dit « sérieux » et déjà deux fois lauréat d’une Victoire de la musique classique du meilleur compositeur de l’année en 2015 et 2019 – se jouent assurément des codes et relèvent de l’excellence. Si les voix pour lesquelles est écrit l’ouvrage sont certes lyriques et non amplifiées, et s’éloignent donc de celles des « comédies musicales » au sens habituel, sa conception globale – l’adéquation entre son livret et sa musique, son rythme narratif, sa structure théâtrale, le divertissement qu’il procure – en fait une réussite toutes catégories confondues, et le classe au rang des créations les plus abouties dans le domaine du théâtre mis en musique. Tout simplement. Et même l’univers du cinéma s’y faufile – projection d’un générique, emprunts ou clins d’œil musicaux à Bernard Herrmann ou à John Williams…
La musique, toujours mélodique, expressive et très accessible pour le spectateur que pourraient rebuter a priori des compositions dites « contemporaines », épouse l’action et les ambiances au plus près. À chaque personnage correspondent un thème, un style musical, qui accompagnent l’auditeur dans sa lecture. Et la succession d’airs, de duos, de trios, de moments chorals et de passages parlés, reprenant ainsi un schéma classique qui a fait ses preuves, donne beaucoup de lisibilité à la trame tout en offrant une riche variété d’intentions. En plus des compositeurs précités, Puccini (pour ses récitatifs et ses duos intimes), Debussy (pour sa prose déclamée) ou Britten (pour ses interludes marins) ne sont jamais loin…
Le livret d’Olivier Bleys (son premier), annoncé donc comme un polar, s’articule autour d’une enquête policière : plusieurs morts suspectes ont été recensées – accidents, meurtres ou suicides ? –, et la commissaire chargée de l’affaire n’hésite d’ailleurs pas à allumer la pipe de ce cher Sherlock lorsque les indices deviennent troubles. Tragique donc… mais une occasion rêvée pour l’auteur de convoquer la fantaisie dans toutes ses déclinaisons. La dérision d’abord, car le second degré s’invite à chaque scène, jusqu’au dénouement (mais ne divulgâchons rien) et dès l’entrée des curistes aux Bains Terminus, qui prend des allures de réclame pour un savon de stars dans un bain moussant avant de tourner au cours de gym-yoga. Ensuite, les histoires de fantômes qui rodent parmi les vivants, et qui grommellent plutôt comme des zombies, mais immaculés de blanc et perchés dans les hauteurs. Enfin, la mythologie, au travers d’une évocation inversée du mythe d’Orphée franchissant un obstacle aqueux pour aller chercher sa bien-aimée, qui pose la question profonde de l’amour dans ou au-delà de la mort. Toutes ces strates légères et fantastiques s’ancrent dans un contexte on ne peut plus actuel – harcèlement sexuel au travail, messagerie électronique, police scientifique tout droit sortie de séries télé – mais sans insistance ni gravité ; d’ailleurs, l’employée sait plus que tenir tête à son patron, et l’adjoint à la commissaire tient plus de la bouffonnerie élémentaire que de ce cher Watson…
La scénographie mise sur des panneaux coulissants pratiques et fonctionnels, qui permettent l’arrangement de plusieurs espaces, mais surtout ombres chinoises et projections vidéo qui distillent tout le long une poésie de l’état liquide, celui de la mer qui baigne l’établissement thermal, celui des bains qu’on y prodigue, celui des ectoplasmes qui errent çà ou là.
L’orchestre des Frivolités Parisiennes (Mam’zelle Nitouche, Le Testament de la tante Caroline) confirme sa très haute tenue et son attachement à ce format d’œuvre. Sa taille d’orchestre de chambre et la science du compositeur permettent à plusieurs instruments de se distinguer pour faire naître toute une palette d’atmosphères.
Le plateau vocal est mené par un solide trio de protagonistes : Sandrine Buendia au lyrisme pur et débordant de douceur, Romain Dayez à la séduction tourmentée et Fabien Hyon au tranchant autoritaire. On aurait préféré que le joli mezzo d’Anna Destraël, par ailleurs épatante en policière pète-sec, ne disparaisse pas tant sous le volume émanant de la fosse. Et on salue la basse Nicolas Certenais, qui campe un député meneur de troupes de manière très sonore.
C’est donc un spectacle subtil, audacieux, haut de gamme, qu’accueille à nouveau le Théâtre de l’Athénée, toujours prompt à programmer des productions contemporaines de qualité — comme The Importance of Being Earnest il y a peu. Cette double première expérience s’avère brillamment fructueuse pour le tandem compositeur-librettiste et une excellente surprise pour le public.