Pièce d’Albert Camus, adaptée et mise en scène par Abd Al Malik.
Musique : Wallen, Bilal.
Avec Marc Zinga (Ivan Kaliayev), Sabrina Ouazani (Dora Doulebov), Lyes Salem (Stepan Fedorov), Youssef Hajdi (Boris Annenkov), Karidja Touré (Alexis Voinov), Frédéric Chau (le gardien), Clotilde Courau (La Grande Duchesse), Camille Jouannest (l’âme russe), Matteo Falkone (Foka), Montassar Alaya (Skouratov), et un chœur constitué par de jeunes comédiens amateurs de Seine-Saint-Denis (sélectionnés par Abd Al Malik dans le cadre d’ateliers artistiques, et qui se produiront pour la première fois sur la scène d’un théâtre parisien).
Musiciens : Bilal (Machine / DJ), Michael Karagozian (piano), Didier Davidas (clavier, synthétiseurs), Christophe Pinheiro (guitare), Izo Diop (basse), Franck Mantegari (batterie).
Abd Al Malik adapte et met en scène la pièce d’Albert Camus. Entouré de jeunes comédiens et de fidèles de son univers, notamment Wallen et Bilal qui œuvrent à la musique, il apporte un souffle nouveau à cette histoire d’idéalistes. Située dans le cadre de la révolution russe de 1905, cette tragédie musicale suit un groupe de terroristes qui cherchent à éliminer le Grand Duc lors d’un attentat. Mais il n’est pas simple de jeter une bombe quand les forces de l’amour et de l’amitié vous bouleversent….
« Le texte d’Albert Camus devient ici un spectacle qui associe la déclamation poétique (rap et slam) et le théâtre prolongé et soutenu par une musique instrumentale et vocale, polyphonique (a capella ou accompagnée), du hip hop, de l’électro… Il s’agit d’utiliser la musique comme un écrin qui mettrait en lumière la solitude et l’intense sincérité de l’engagement de nos Justes ainsi que la poésie et les enjeux philosophiques du texte camusien dans sa globalité, et qui nous permettrait de pénétrer, par l’émotion générée, son signifié le plus profond. » Abd Al Malik
Notre avis : Quelle mouche a piqué les metteurs en scène ? Déjà Bob Wilson inondait de musique Mary said what she said, le monologue interprété (certes parfois en playback, ce qui n’est pas le cas ici) par Isabelle Huppert. Et voilà qu’Abd Al Malik, pour sa première mise en scène de théâtre, en fait autant. Nous aurions pu penser que la « tragédie musicale » annoncée était le fruit d’un autre type de parti pris : celui d’adapter partiellement en chansons le texte écrit voilà 70 ans par Camus. D’ailleurs l’ouverture du spectacle le laisse penser, puisque Frédéric Chau slame un prélude (qui sera également épilogue) écrit par le rappeur dans lequel il est question de foi, d’ordre établi, mais cela s’arrête là. Par la suite, les répliques seront sous-tendues par plusieurs thèmes musicaux, joués en direct par des musiciens invisibles. Lesdits thèmes relèvent chacun de la boucle musicale, ce qui peut agacer des oreilles habituées à plus de subtilité et, pire, distraire de l’écoute d’un texte qui n’a rien perdu de sa force. Les actrices et acteurs, à la voix amplifiée, semblent un peu perdus dans ce dispositif qui tient de l’artificiel. Autant dire que si vous aimez les partis pris forts, vous pourrez y trouver votre comptes, sinon… Par ailleurs, une sorte de fantôme russe erre de temps à autre et interprète des airs en yiddish.
Mais attention, il ne faudrait pas passer sous silence une scénographie étonnante, qui exploite toutes les possibilités qu’offre la (nouvelle ?) cage de scène. Amélie Kiritzé-Topor a conçu un décor quasi naturaliste qui évoque les maisons de poupée, puisque diverses pièces d’un immeuble bourgeois à deux étages se dévoilent au fil de l’intrigue. Une autre qualité, et pas des moindres, est constituée par ce chœur d’acteurs amateurs d’Aulnay-sous-Bois qui vient, d’un acte à l’autre, offrir au public le fruit d’un travail de réflexion mené avec Abd Al Malik, soit quelques phrases par personne qui relatent les luttes contemporaines, en résonance avec celles mises en avant par Camus dans sa pièce. Cette mixité, que l’on retrouve dans le choix des acteurs professionnels, offre une réelle force au spectacle. Une expérience particulière, donc.