Des pantomimes légères du Moulin Rouge à l’Académie Goncourt. Du journalisme au salon de beauté. De ses liaisons scandaleuses aux obsèques nationales, Colette était une figure complexe et moderne.
En dressant un parallèle avec une jeune artiste d’aujourd’hui, Léna Bréban met en scène une revue de music-hall finement ciselée conçue tel un aller-retour entre deux époques. Seule en scène, Cléo Sénia, chante, danse et manie l’art de l’effeuillage dans des numéros qui se bousculent et d’où surgissent des moments clés de la vie de Colette, qui dialoguent avec les codes actuels du féminisme, de la nudité, de la liberté après plus d’un siècle de combat. Ces codes ont-ils évolué ou persisté ?
Dans un décor mobile, ce miroir théâtral, ludique et sensuel entre l’impénétrable romancière et Cléo, entre la vie de femmes d’hier et celles du 21e siècle, est une ode réjouissante à la liberté et à la beauté des mots.
Notre avis : Le spectacle s’ouvre sur un reportage couvrant l’enterrement de notre héroïne du jour. La voix d’un journaliste officiel est commentée en live par Colette, interprétée par Cléo Sénia, apportant contradiction et humour à tout ce qui est mentionné dans ce reportage. Nous voilà donc partis pour une heure et quart de Colette loin des discours journalistiques et officiels. Nous n’en apprendrons que peu sur sa littérature ou son processus d’écriture, mais bien plus sur la femme qu’était Colette, sa vie, son énergie, ses valeurs, ses convictions mais aussi ses contradictions.
Music-Hall Colette dessine une idée de Colette joyeuse, libre, caustique et aborde certains pans de la vie de l’auteure. En effet, un seul spectacle ne suffirait pas à couvrir toute la dimension de l’univers de celle qui, en plus d’être écrivaine et artiste de music-hall, fut reporter, critique, éditrice, librettiste, publicitaire… L’angle choisi ici est particulièrement bienvenu puisqu’il interroge la dichotomie entre l’intellect et le corps. Alors que Colette se met à écrire en devenant la plume de son premier mari, qui signera tous ses premiers écrits, elle s’émancipe de ce malheureux mariage et de cette prison littéraire en divorçant et en se consacrant à son corps, son art, en se plongeant dans l’univers du music-hall et de l’effeuillage.
Une autre dichotomie est abordée pendant le spectacle : à travers la vie de l’artiste, Cléo Sénia, comédienne et autrice du spectacle, nous invite à nous interroger sur le lien entre l’enfance et la vie adulte grâce à un dispositif vidéo ou apparaît Claudine, la première héroïne inventée par Colette, inspirée de son enfance à Saint-Sauveur-en-Puisaye.
Il y a donc trois niveaux de narration, trois personnages qui dialoguent dans ce spectacle : Colette (sa vie, son œuvre), Claudine (personnage inventé par Colette qui porte un regard extérieur sur la vie de sa créatrice) et Cléo (comédienne qui se fait narratrice de l’histoire ou y ajoute des petites touches d’humour). C’est peut-être là que la bât blesse : tout cela reste clair, mais cette alternance de niveaux de lecture et de langage nous sort quelquefois de l’histoire – notamment quelques blagues ou références actuelles qui ne nous paraissent pas nécessaires et qui contrastent peut-être un peu trop avec les moments très littéraires – même si le reste du spectacle très bien écrit. En bonus, nous sommes gratifiés de quatre chansons écrites par Hervé Devolder : de véritables pépites !
Le spectacle déborde d’énergie. Ce seule en scène qui demande le cardio d’un athlète est très bien mené par la magnifique Cléo Sénia qui joue, chante, s’effeuille, mime, danse. Se déploient devant nos yeux un univers poétique et des moments très esthétiques, comme la danse du miroir ou celle des éventails. Les costumes d’Alice Touvet sont magnifiques ; mention speciale pour la tenue mi-masculine mi-féminine. Il est intéressant de noter l’exploitation des changements de costumes dans ce spectacle qui sont mis en scène grâce à un jeu de lumière et d’ombre. D’ailleurs, la lumière tour à tour franche ou suave sublime les numéros. La scénographie est utilisée de manière intelligente et il y a de réelles bonnes trouvailles, mais l’on regrette cette structure centrale qui ne bouge pas de tout le spectacle et qui prend beaucoup d’espace. Elle est évidemment très exploitée, mais elle pousse la comédienne à se restreindre à un seul côté du plateau, ce qui est un peu monotone sur la durée.