Bianca est une jeune fille de bonne famille. Vient pour elle le moment de se marier avec un homme choisi par ses parents et dont elle ignore tout. Dans l’Italie de la Renaissance, il n’est pas question pour elle de discuter la décision familiale. Pourtant, elle ne peut se résoudre à épouser un homme qu’elle ne connaît pas. C’est alors que sa marraine lui révèle un secret. Elle est en possession d’une « peau d’homme » qui, si elle la revêt, lui permettra de devenir un garçon, d’explorer le monde et lui donnera l’occasion de découvrir son fiancé incognito…
Ce spectacle musical interroge le rapport au genre et à la sexualité, à la religion et à la morale, avec un humour corrosif, le tout toujours agrémenté d’une grande tendresse.
Dans cette adaptation de la bande dessinée best-seller et multi-récompensée d’Hubert et Zanzim, le conte prend vie à travers des chansons inédites écrites par Ben Mazué.
Notre avis : ATTENTION SPOILERS ! D’ores et déjà largement plébiscité par le public, qui se lève spontanément avant même la fin du spectacle, Peau d’homme séduit par son message humaniste, prônant tolérance et liberté d’aimer en se défiant de toutes les conventions de l’ordre bourgeois, à commencer par celle d’un catholicisme rance. Mais qu’est-ce que cela donne dans le détail ?
Un trio présentant Bianca et ses deux amies, toutes deux (assez mal) mariées, ouvre le spectacle. Les filles épient l’arrivée du futur de Bianca, tandis que cette dernière chante les espoirs qu’elle met dans cette relation à venir. Elle est rassurée : il est, comme elle le souhaite, grand, beau. Mais qu’en est-il de sa psyché ? La jeune Italienne de bonne famille aimerait, crime de lèse majesté, rencontrer son promis avant de convoler. L’intrigue prend alors un tournant burlesque, voire gentiment grivois, avec une marraine un rien perchée qui lui propose d’enfiler cette « peau d’homme », ustensile magique que l’on se transmet de génération en génération. Elle lui permettra de changer de sexe et, ainsi, de pouvoir découvrir ce fiancé. Tout d’abord affolée puis intriguée par cette excroissance entre les jambes, Bianca, devenue Lorenzo, va forcément, dans un premier temps, être déçue par Giovanni qui se complaît dans la beuverie virile. Lors des rencontres suivantes, il va se révéler autre puisque, homosexuel, il va tomber amoureux de Lorenzo et lui faire découvrir les plaisirs entre garçons.
Si, une fois la peau d’homme retirée, le mariage a lieu, le jeune marié ne voit en Bianca qu’une femme et donc une inférieure – il est, bien entendu, misogyne – et ne saisira aucun des messages qu’elle lui envoie, réfractaire qui plus est à toute émancipation féminine. Pendant ce temps, le cadet de Bianca, cureton gentiment idiot, voit son pouvoir grandir. En exploitant la dévotion sans limite de ses ouailles, il accède à un pouvoir qui le transforme en despote et, par conséquent, en une véritable menace pour tous les « déviants ».
Brisant la règle qui veut que l’on n’utilise qu’une fois la peau magique, Bianca redevient à plusieurs reprises Lorenzo, tente de se dresser contre son frère (sans qu’il ne sache qui est ce jeune homme), souffre de ne pouvoir être aimée de son mari quand elle est femme. À ce stade, nous pouvons nous demander pourquoi sa marraine, qui planche sur une nouvelle invention, ne mettrait pas son énergie dans la création d’une « peau d’hermaphrodite » qui pourrait peut-être résoudre bien des problèmes ?
Quelques rebondissements prévisibles plus tard, le spectacle se termine en happy end : Bianca et Giovanni se retrouvent, l’un et l’autre épris chacun de son côté, appelés à vivre en bonne harmonie. Si Lorenzo, qu’il ne reverra donc jamais (quoique…) restera sans doute pour Giovanni l’amour de sa vie, celui-ci se console avec un nouvel amoureux. Voilà un message intéressant : malgré le chagrin de la séparation, la vie continue et apporte de nouveaux plaisirs. Quant au frère aveuglé par une foi qui l’a fait dévier vers un intégrisme terrible, il finit répudié – en effet, il interdisait la prostitution et souhaitait condamner les hommes infidèles… Si le message délivré, tant dans la bande dessinée qui l’inspira que dans ce spectacle, ne peut qu’être salué par les temps d’obscurantisme qui menacent toujours de revenir, il est asséné avec force, à défaut de subtilité.
Tout cela, au fond, ne porte pas vraiment à conséquence car la farce et la fable l’emportent. Le travestissement, largement utilisé dans nombre de pièces du répertoire, sert ici un propos qui aurait pu être plus saisissant s’il avait été traité avec nuance ou, au contraire, en utilisant une provocation non feinte. Le décor, un carton-pâte d’un autre âge, n’aide en rien. Heureusement la distribution brille, menée par Laure Calamy, qui met toute son énergie – et elle en a ! – dans ce double personnage, ne ménageant pas ses efforts pour défendre les idées qui lui sont chères. Régis Vallée, vu souvent chez son camarade Alexis Michalik, joue, à l’instar de ses collègues, plusieurs rôles et notamment un tenancier de boîte de nuit où les amours masculines s’épanouissent et n’hésite pas à prendre le public à parti, invité à applaudir lorsqu’il défend son droit à la différence. L’ensemble des actrices et acteurs sont à saluer, tout comme le musicien qui gère, depuis son clavier, divers instruments enregistrés. Une guitare permet également d’accompagner quelques airs, joliment troussés. Léna Bréban opte pour une mise en scène enlevée, avec changement de décor à vue. En résumé, si Laure Calamy et toute la troupe convainquent, le spectacle manque peut-être d’un petit quelque chose qui ferait la différence et emporterait totalement l’adhésion. Pour l’heure, il reste plaisant et, rappelons-le une fois encore, promouvoir la liberté d’aimer relève d’une intention plus que louable.