Peau d’homme

0
1185

Théâtre Montparnasse – 31, rue de la Gaîté, 75014 Paris.
À partir du 23 janvier 2025. Du mercredi au samedi à 20h. Matinées le samedi à 16h30 et le dimanche à 15h30.
Renseignements et réservations sur le site du théâtre.

Bian­ca est une jeune fille de bonne famille. Vient pour elle le moment de se mari­er avec un homme choisi par ses par­ents et dont elle ignore tout. Dans l’Italie de la Renais­sance, il n’est pas ques­tion pour elle de dis­cuter la déci­sion famil­iale. Pour­tant, elle ne peut se résoudre à épouser un homme qu’elle ne con­naît pas. C’est alors que sa mar­raine lui révèle un secret. Elle est en pos­ses­sion d’une « peau d’homme » qui, si elle la revêt, lui per­me­t­tra de devenir un garçon, d’explorer le monde et lui don­nera l’occasion de décou­vrir son fiancé incognito…

Ce spec­ta­cle musi­cal inter­roge le rap­port au genre et à la sex­u­al­ité, à la reli­gion et à la morale, avec un humour cor­rosif, le tout tou­jours agré­men­té d’une grande tendresse.

Dans cette adap­ta­tion de la bande dess­inée best-sell­er et mul­ti-récom­pen­sée d’Hubert et Zanz­im, le con­te prend vie à tra­vers des chan­sons inédites écrites par Ben Mazué.

Notre avis : ATTENTION SPOILERS ! D’ores et déjà large­ment plébisc­ité par le pub­lic, qui se lève spon­tané­ment avant même la fin du spec­ta­cle, Peau d’homme séduit par son mes­sage human­iste, prô­nant tolérance et lib­erté d’aimer en se défi­ant de toutes les con­ven­tions de l’ordre bour­geois, à com­mencer par celle d’un catholi­cisme rance. Mais qu’est-ce que cela donne dans le détail ?

Un trio présen­tant Bian­ca et ses deux amies, toutes deux (assez mal) mar­iées, ouvre le spec­ta­cle. Les filles épi­ent l’arrivée du futur de Bian­ca, tan­dis que cette dernière chante les espoirs qu’elle met dans cette rela­tion à venir. Elle est ras­surée : il est, comme elle le souhaite, grand, beau. Mais qu’en est-il de sa psy­ché ? La jeune Ital­i­enne de bonne famille aimerait, crime de lèse majesté, ren­con­tr­er son promis avant de con­v­ol­er. L’intrigue prend alors un tour­nant bur­lesque, voire gen­ti­ment grivois, avec une mar­raine un rien per­chée qui lui pro­pose d’enfiler cette « peau d’homme », usten­sile mag­ique que l’on se trans­met de généra­tion en généra­tion. Elle lui per­me­t­tra de chang­er de sexe et, ain­si, de pou­voir décou­vrir ce fiancé. Tout d’abord affolée puis intriguée par cette excrois­sance entre les jambes, Bian­ca, dev­enue Loren­zo, va for­cé­ment, dans un pre­mier temps, être déçue par Gio­van­ni qui se com­plaît dans la beu­ver­ie vir­ile. Lors des ren­con­tres suiv­antes, il va se révéler autre puisque, homo­sex­uel, il va tomber amoureux de Loren­zo et lui faire décou­vrir les plaisirs entre garçons.

Si, une fois la peau d’homme retirée, le mariage a lieu, le jeune mar­ié ne voit en Bian­ca qu’une femme et donc une inférieure – il est, bien enten­du, misog­y­ne – et ne saisira aucun des mes­sages qu’elle lui envoie, réfrac­taire qui plus est à toute éman­ci­pa­tion fémi­nine. Pen­dant ce temps, le cadet de Bian­ca, cure­ton gen­ti­ment idiot, voit son pou­voir grandir. En exploitant la dévo­tion sans lim­ite de ses ouailles, il accède à un pou­voir qui le trans­forme en despote et, par con­séquent, en une véri­ta­ble men­ace pour tous les « déviants ».

Brisant la règle qui veut que l’on n’utilise qu’une fois la peau mag­ique, Bian­ca rede­vient à plusieurs repris­es Loren­zo, tente de se dress­er con­tre son frère (sans qu’il ne sache qui est ce jeune homme), souf­fre de ne pou­voir être aimée de son mari quand elle est femme. À ce stade, nous pou­vons nous deman­der pourquoi sa mar­raine, qui planche sur une nou­velle inven­tion, ne met­trait pas son énergie dans la créa­tion d’une « peau d’hermaphrodite » qui pour­rait peut-être résoudre bien des problèmes ?

Quelques rebondisse­ments prévis­i­bles plus tard, le spec­ta­cle se ter­mine en hap­py end : Bian­ca et Gio­van­ni se retrou­vent, l’un et l’autre épris cha­cun de son côté, appelés à vivre en bonne har­monie. Si Loren­zo, qu’il ne rever­ra donc jamais (quoique…) restera sans doute pour Gio­van­ni l’amour de sa vie, celui-ci se con­sole avec un nou­v­el amoureux. Voilà un mes­sage intéres­sant : mal­gré le cha­grin de la sépa­ra­tion, la vie con­tin­ue et apporte de nou­veaux plaisirs. Quant au frère aveuglé par une foi qui l’a fait dévi­er vers un inté­grisme ter­ri­ble, il finit répudié – en effet, il inter­di­s­ait la pros­ti­tu­tion et souhaitait con­damn­er les hommes infidèles… Si le mes­sage délivré, tant dans la bande dess­inée qui l’inspira que dans ce spec­ta­cle, ne peut qu’être salué par les temps d’obscurantisme qui men­a­cent tou­jours de revenir, il est asséné avec force, à défaut de subtilité.

Tout cela, au fond, ne porte pas vrai­ment à con­séquence car la farce et la fable l’emportent. Le trav­es­tisse­ment, large­ment util­isé dans nom­bre de pièces du réper­toire, sert ici un pro­pos qui aurait pu être plus sai­sis­sant s’il avait été traité avec nuance ou, au con­traire, en util­isant une provo­ca­tion non feinte. Le décor, un car­ton-pâte d’un autre âge, n’aide en rien. Heureuse­ment la dis­tri­b­u­tion brille, menée par Lau­re Calamy, qui met toute son énergie – et elle en a ! – dans ce dou­ble per­son­nage, ne ménageant pas ses efforts pour défendre les idées qui lui sont chères. Régis Val­lée, vu sou­vent chez son cama­rade Alex­is Micha­lik, joue, à l’instar de ses col­lègues, plusieurs rôles et notam­ment un ten­ancier de boîte de nuit où les amours mas­cu­lines s’épanouissent et n’hésite pas à pren­dre le pub­lic à par­ti, invité à applaudir lorsqu’il défend son droit à la dif­férence. L’ensemble des actri­ces et acteurs sont à saluer, tout comme le musi­cien qui gère, depuis son clavier, divers instru­ments enreg­istrés. Une gui­tare per­met égale­ment d’accompagner quelques airs, joli­ment troussés. Léna Bréban opte pour une mise en scène enlevée, avec change­ment de décor à vue. En résumé, si Lau­re Calamy et toute la troupe con­va­in­quent, le spec­ta­cle manque peut-être d’un petit quelque chose qui ferait la dif­férence et emporterait totale­ment l’adhésion. Pour l’heure, il reste plaisant et, rap­pelons-le une fois encore, pro­mou­voir la lib­erté d’aimer relève d’une inten­tion plus que louable.

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici