Comment êtes-vous arrivés sur le projet de Quand la guerre sera finie ?
Baptiste Famery (comédien) : Pour moi, c’était il y a trois ans, quand Marie-Céline Lachaud a relancé son projet. Je ne suis pas un comédien qui passe beaucoup de castings car je suis très nul en casting. J’ai auditionné pour le rôle principal d’Étienne et j’ai été pris pour le rôle du clown Célestin ! Mais pour lorsque nous avons donné la représentation de Saint-Dizier, un des comédiens d’Avignon ne pouvait pas être là, et je l’ai donc remplacé pour le rôle de Fanfan avec grand plaisir ! J’avais besoin de directions car je débarquais sur ce rôle et j’ai fait beaucoup de choses à l’instinct ; le regard extérieur de Patrick était donc très important.
Patrick Alluin (metteur en scène) : J’ai d’ailleurs réalisé que ça lui allait rudement bien, Fanfan. Nous avons fait connaissance sur ce concert, car tout est allé très vite (une semaine de répétition) et nous étions tous les deux neufs : il n’avait jamais travaillé sur le personnage de Fanfan et moi j’arrivais sur la pièce, nous avons dû apprendre en quatrième vitesse.
Justement, Baptiste Famery, vous jouez plusieurs personnages. Avez-vous un personnage favori, dans lequel vous vous retrouvez le plus ?
B. F. : Déjà, c’est un vrai défi : chanter toutes leurs chansons est un marathon. Chaque personnage a sa propre dynamique, il faut passer de l’un à l’autre très rapidement, cela demande donc un gros travail sur chaque rôle. Ensuite, oui, il y a forcément un personnage qui nous inspire le plus ; pour moi c’est Fanfan, car il est le plus proche de moi dans la vie de tous les jours. Je trouve aussi des petits trucs à droite à gauche. Par exemple, pour André, le patron du cabaret, je vois mes tontons du Havre ; la Normandie, c’est les dockers, le mec est droit dans ses bottes. Le plus difficile pour moi, c’était le nazi, parce que c’est celui qui est le plus raide et qui demande le plus de finesse. Ma vision très historique a été orientée vers quelque chose de plus subtil par Patrick.
P. A. . : On a une image du nazi très précise : le comportement militaire, les exactions, etc. Or, dans notre histoire, c’est un soldat allemand qui a une histoire d’amour avec une chanteuse française, il est attaché culturel et se trouve davantage dans la mondanité. Dans sa logique, il fait bien son travail, c’est tout, ce n’est pas quelqu’un de fondamentalement cruel.
D’ailleurs, Patrick Alluin, c’est aussi un gros défi pour vous de gérer trois comédiens qui interprètent autant de personnages différents ?
P. A. : À la base, quand Marie-Céline m’a parlé de cela, je ne comprenais pas l’intérêt. C’était compliqué de composer les rôles, jouer avec les âges, les archétypes… Par exemple, les trois personnages féminins joués par une même comédienne sont Lucille, une jeune fille de 18 ans, Nora, une jeune femme de 30 ans, et Nini, une mère. Pour la comédienne, nous avons donc cherché une Nora qui ait en elle toujours la jeunesse de Lucille, mais assez de maturité pour Nini. Une fois que nous avons trouvé les trois comédiens, nous avons vu l’alchimie entre eux, ce fut une révélation. L’autre révélation a été leur capacité à endosser les rôles. Mais c’est dur car d’un même acteur, il faut extirper beaucoup de choses différentes. La vraie difficulté est surtout pour eux, car ils ont une corporalité naturelle. Par instinct, ils vont aller vers quelque chose, mais dans la pièce, Nora et Nini ne peuvent pas rire de la même façon.
Comment avez-vous travaillé avec Nicholas Skilbeck, le compositeur ? Avez-vous eu l’occasion de le rencontrer ou a‑t-il juste fait son travail en amont ?
P. A. : J’ai rencontré Nicholas à l’occasion du concert de Saint-Dizier. La compréhension de la musique, je l’ai eue à ce moment-là. Le rôle de Nicholas, directeur musical, est un travail qu’on connaît peu en France, et qui consiste, pour moi, à se demander comment la musique accompagne le jeu et comment on joint les deux. C’est passionnant et indispensable en réalité.
B. F. : Nicholas, je l’ai rencontré lors des lectures il y a trois ans et j’en garde un souvenir phénoménal. C’est Broadway qui débarque ! C’est l’excellence et la précision des Anglo-Saxons. Il nous a mis tout de suite dedans. Au départ, ça surprend, mais c’est un passionné qui a une grande finesse musicale et qui a besoin de transmettre au comédien toutes les subtilités de son écriture. En réalité, tout est écrit dans la partition. Dans chaque chanson, il y a l’humeur du personnage. Il nous expliquait pourquoi il avait écrit comme cela, pourquoi tel ou tel choix rythmique ou mélodique. Je n’avais jamais travaillé comme ça, jamais. Une leçon ! Il fallait en plus donner tout sur le moment, car il était là pour une semaine et il n’allait pas revenir, puisqu’il est entre New York et Londres, sur Tina — The Tina Turner Musical, sur Charlie and the Chocolate Factory… Il a toujours collaboré avec nous avec bienveillance.
Patrick, est-ce un atout en tant que metteur en scène d’avoir la casquette de comédien ? Cela induit-il une manière différente de diriger les comédiens ?
P.A. : J’ai les deux casquettes, mais, dans ma tête, je suis d’avantage metteur en scène. Mais c’est un grand atout d’être comédien, cela permet de comprendre la personne qu’on a en face de soi. L’idée est de percevoir où est la difficulté du comédien et de l’amener à ce que je veux, en fonction de ce que je vois d’eux, en leur faisant prendre confiance en eux. Le principal apport, c’est que je peux bien comprendre ce qu’ils peuvent prendre bien ou mal et d’autre part ; je ne pense pas leur demander des choses irréalisables. L’écueil serait de leur demander de jouer comme moi je jouerais.
En tant que comédien, comment abordez-vous des histoires si tragiques qui ont une certaine réalité ?
B.F. : J’ai envie de dire que je ne sais pas… Pour moi, c’est le croisement de deux choses. Étant un féru d’histoire, quand je suis retourné à la Sorbonne, j’ai étudié l’histoire du 3e Reich. J’ai lu plein de bouquins et de témoignages sur l’Allemagne nazie donc j’avais un point de vue historique sur ça. Mais c’est quelque chose que je n’ai pas vécue. En revanche, les liens entre les personnages, leur ressenti, leur situation, ça, on le voit tous les jours. Le pouvoir, la jalousie, le fait de vouloir protéger son petit frère ou sa petite sœur, c’est quelque chose que tout le monde connaît. Donc, dans mon cas, ça a été le croisement de ce bagage historique et des liens que présentaient les personnages entre eux.
P.A. : Je rebondis sur le fait que, dans ce contexte historique, les gens n’avaient pas une conscience immédiate de ce qui allait arriver. Dans la direction d’acteur, ce qui était important c’était de ne pas jouer la conscience du drame, mais de jouer le quotidien. Je leur disais parfois qu’ils en étaient trop conscients. En somme, les tenants et les aboutissants échappent complètement aux personnages et c’est pour ça que nous avons un spectacle avec également un peu de légèreté.
Est-ce comme ça que vous avez abordé ce thème de la Seconde Guerre mondiale ? Après tout, c’est une époque souvent traitée dans de nombreux films et romans…
P. A. : Je ne me suis pas posé la question. Lorsque je mets en scène une pièce, l’idée pour moi est de comprendre de quoi ça parle, le parcours des personnages et comment la pièce est structurée, quel que soit le sujet abordé. J’imagine que, si je suis sincère, il y aura quelque chose de spécifique qui en ressortira. Mais la démarche est la même sur chaque spectacle. Ensuite, lorsque, comme c’est le cas ici, l’auteure est vivante, il y a énormément d’échanges avec elle.
Justement, comment avez-vous travaillé avec l’auteure ?
P. A. : Beaucoup de discussions. L’idée de Marie-Céline est qu’il y avait des choses à côté desquelles il ne fallait pas passer et qu’elle voulait voir. Pour le reste, elle a beaucoup de respect pour notre travail de comédiens et de metteur en scène, et elle a toujours su me faire ses retours et échanger pour ne pas nous mettre de pression. Elle nous fait confiance ; à partir de là, il ne pouvait pas y avoir d’anomalies.
Pensez-vous que cette pièce résonne avec l’actualité ? Est-ce que c’est important pour vous que ce soit le cas pour une œuvre ?
P. A. : C’est très bien quand c’est le cas, même si il faut se détendre aussi parfois. Mais quand on fait résonner l’actualité dans une pièce populaire et qui nous ramène à un passé qui s’éloigne, on a un devoir de mémoire qui est important.
B. F. : Pour moi, ce spectacle est et sera ancré dans son époque, quelle que soit son époque, pour la bonne raison que le propre de ses personnages est : « À quels choix font-ils face dans une situation donnée ? » Et ça peut être dans n’importe quel contexte : « Comment réagissez-vous en situation de crise ? » On peut se poser la question aujourd’hui avec les gilets jaunes par exemple. Marie-Céline nous disait souvent : « Les héros ne sont pas toujours ceux que l’on croit. » Cette pièce parle de nos choix et du fait que seules nos actions nous déterminent.
Quels sont vos projets pour la suite ?
P. A. : En janvier, je pars en tournée avec Le Baladin du monde occidental, la pièce que j’ai montée juste avant. Et je travaille sur une autre comédie musicale qui s’appelle Une vie, basée sur le roman éponyme de Guy de Maupassant qui est en cours d’écriture et qui a fait l’objet d’un showcase au mois de juin dernier.
B. F. : En ce moment, je travaille comme coach vocal sur Les Souliers rouges de Marc Lavoine jusqu’en janvier, et également avec mon collaborateur Karim Medjebeur sur un album caritatif pour une association qui s’appelle Centre Ressource et qui s’occupe de la vie au quotidien des personnes malades et de leur entourage proche. Vous pourrez le retrouver en février 2020 avec de belles surprises et de beaux duos, de la comédie musicale anglo-saxonne et plusieurs artistes d’univers différents.
Propos recueillis par Estelle Evora et Rosalie Lapourré.