À la suite d’une guerre de succession sanglante, Abraha Pokou doit fuir avec ses partisans le royaume d’Ashanti (actuel Ghana). Après un périple de cinq ans, de près de 1 500 kilomètres parcourus à pied dans des forêts et au travers de fleuves, les Baoulés mettent fin à leur exode en fondant l’actuel village de Bouaké, berceau de la nation ivoirienne.
Stratège et autoritaire, Abraha Pokou affronte tous les dangers, écrasant par son intelligence ceux qui contestent son autorité. Elle fera tous les sacrifices, y compris celui de son propre enfant, pour la survie de son peuple. Sorcière et magicienne, on la soupçonne de faire appel aux esprits pour arriver à ses fins. Tout à la fois déesse et humaine, actuelle et mythologique, la destinée de la Reine Pokou marque anciennes et nouvelles générations.
Pour donner vie à Reine Pokou, trois femmes d’âges différents, chanteuses et danseuses, racontent avec une puissance lumineuse le périple d’Abraha Pokou et de son peuple.
Notre avis : Reine Pokou retrace le parcours d’Abraha Pokou, figure emblématique du continent africain. Afin de sauver son peuple face à une guerre de succession, elle le mena du royaume d’Ashanti (l’actuel Ghana) vers l’actuelle Côte d’Ivoire. L’histoire dit qu’elle dut sacrifier son fils afin de pouvoir franchir le fleuve la séparant de son futur territoire. Cette histoire a traversé les siècles, a été la la source de débats mais également d’adaptations sous divers formats (romans, spectacles, dessins animés…). Françoise Dô et la compagnie Bleus et Ardoise transposent sur scène le roman Reine Pokou, concerto pour un sacrifice de Véronique Tadjo. Ce livre relativement court propose plusieurs lectures alternatives des événements. Le spectacle reprend fidèlement le récit initial tout en apportant un regard nouveau grâce à l’originalité et la créativité de la mise en scène retenue.
Françoise Dô a choisi de donner vie à Reine Pokou et à son peuple grâce à trois comédiennes. Deux d’entre elles, Yasmine Ndong Abdaoui et Rita Ravier, interprètent simultanément Abraha Pokou dans une forme de monologue/dialogue troublant mais convaincant. Alvie Bitemo incarne un conteur, rappelant la figure du griot qui narre les grands récits en Afrique. Plus ponctuellement, elle prête également sa voix à Abraha Pokou. Ce choix de plusieurs interprètes pour le rôle d’Abraha Pokou évoque le format du chœur antique et met en avant la complexité d’un personnage aux multiples facettes. Elle était de sang royal tout en étant soupçonnée de sorcellerie et était, à ce titre, également crainte et respectée. Elle était à la fois la cheffe d’un peuple et une mère, provoquant un choix cornélien à l’origine de son statut de mythe.
Yasmine Ndong Abdaoui et Rita Ravier se partagent le rôle de Reine Pokou en faisant preuve d’une synchronisation permanente dans les dialogues. Il en est de même lors de leurs déplacements à pas de velours, tels des félins, et aux allures de chorégraphies. Les deux artistes semblent indissociables comme les deux faces d’une même pièce. Avec son enthousiasme et l’appui de ses partenaires, la conteuse Alvie Bitemo nous fait oublier avec facilité que les rois, princes, guerriers et citoyens cités ne sont pas présents sur scène. Elle ponctue également les événements avec quelques beaux chants africains. La musique régulièrement jouée donne d’ailleurs un caractère envoûtant supplémentaire au récit. On appréciera par ailleurs la qualité des éclairages qui habillent subtilement le plateau nu.
Souhaitons que Reine Pokou poursuive son parcours et trouve de nouveaux territoires d’accueil dans les théâtres de l’Hexagone au cours des prochaines saisons.