Un homme qui marche

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Théâtre de l'Athénée–Louis-Jouvet – 2-4, square de l'Opéra Louis-Jouvet, 75009 Paris.
Les 19 et 20 novembre 2022 à 20 heures.
Renseignements et réservations sur le site de l'Athénée.

Depuis 2014, l’Orchestre de cham­bre de Paris vis­ite régulière­ment le cen­tre péni­ten­ti­aire de Meaux-Chau­conin, en Seine-et-Marne, pour y inter­préter des con­certs, dans un pre­mier temps. Deux ans plus tard, en lien avec le Ser­vice péni­ten­ti­aire d’insertion et de pro­ba­tion de Seine-et-Marne, l’orchestre met en place des créa­tions musi­cales partagées, inter­prétées avec des détenus dans des salles de spec­ta­cles à l’extérieur de la prison. Avec pour objec­tif de les faire s’exprimer à tra­vers un proces­sus de créa­tion artis­tique et de les accom­pa­g­n­er dans leur démarche vers une future réinsertion.

Le spec­ta­cle qui est présen­té cette sai­son à l’Athénée a pour objet le rap­port de l’homme à l’argent. Des détenus par­ticiper­ont à cet Homme qui marche, entourés d’un comé­di­en et d’un chanteur pro­fes­sion­nels et de musi­ciens – placés sous la direc­tion de Marc Haj­jar –, dans une mise en scène d’Héloïse Sérazin.

Le spec­ta­cle est une ver­sion revis­itée de L’Histoire du sol­dat de Stravin­s­ki, dans laque­lle un sol­dat se trou­ve ruiné après un pacte avec le dia­ble. Ce per­son­nage est inter­prété par les détenus, tan­tôt comme un seul corps, tan­tôt comme un corps divisé. Ils sont aus­si invités à se réap­pro­prier l’œu­vre orig­i­nale en réécrivant cer­tains pas­sages de ce texte adap­té de Ramuz et de Cocteau.

Le spec­ta­cle con­voque aus­si Kurt Weill, en inter­calant dans cette his­toire des chan­sons du com­pos­i­teur allemand.

Notre avis : Pari réus­si pour cette nou­velle aven­ture sociale et cul­turelle menée con­join­te­ment par l’Orchestre de cham­bre de Paris et le Ser­vice péni­ten­ti­aire d’in­ser­tion et de pro­ba­tion de Seine-et-Marne. Si on ne peut qu’imag­in­er l’in­tense tra­vail de créa­tion – quelques ate­liers d’écri­t­ure et de chant, une quin­zaine de jours de répéti­tion seule­ment – dans un envi­ron­nement atyp­ique qu’est l’u­nivers car­céral, on se réjouit du résul­tat présen­té à l’Athénée. On est frap­pé par l’e­sprit de troupe et le niveau d’ex­i­gence artis­tique. La mise en scène d’Héloïse Sérazin est tech­nique­ment sim­ple mais effi­cace, et on n’a jamais l’im­pres­sion qu’elle a été réduite au pré­texte qu’elle était des­tinée à des ama­teurs qui n’ont jamais posé le pied sur une scène. L’orchestre, présent sur le plateau, fait par­tie inté­grante du spec­ta­cle. C’est ce for­mi­da­ble élan col­lec­tif qui emporte l’ad­hé­sion du pub­lic, et peu importe les mal­adress­es d’exé­cu­tion : l’im­por­tant réside dans la resti­tu­tion d’une œuvre portée par de for­mi­da­bles personnalités.

Source : site de l’Athénée.

On salue le choix de L’His­toire du sol­dat, con­te musi­cal ini­ti­a­tique dont le livret trou­ble, qui con­voque le Dia­ble et ses escro­queries, et qui fait s’in­ter­roger sur le désir d’ar­gent et l’at­trait de lib­erté, résonne sans aucun doute avec la sit­u­a­tion d’in­car­céra­tion. L’in­ser­tion ici et là dans le par­cours du Sol­dat, de manière très flu­ide et dans des ver­sions français­es, de chan­sons signées Kurt Weill accentue intel­ligem­ment le grince­ment, le chaos et le dés­espoir qui tirail­lent cet anti-héros mal­mené par la vie. L’in­cor­po­ra­tion de textes écrits et dits par les détenus ren­force le car­ac­tère intime de son chem­ine­ment en iden­ti­fi­ant un peu plus le Sol­dat à ses inter­prètes. Là aus­si, on note la per­ti­nence de faire incar­n­er le per­son­nage par une plu­ral­ité : sept hommes, physique­ment dif­férents mais partageant la même gri­saille des cos­tumes et affichant un même regard per­du, réagis­sant comme un tout, chan­tant à l’u­nis­son mais se dis­so­ciant aus­si pour exprimer des désirs pro­pres à chacun.

Source : site de l’Athénée.

Dans cette réus­site col­lec­tive, il faut évidem­ment louer le solide ancrage du pro­jet par les artistes pro­fes­sion­nels, qui font tous leur pre­mière entrée depuis les couliss­es mêlés à la masse des sol­dats, sans signe dis­tinc­tif, pour bien affirmer la sol­i­dar­ité entre gens de scène : Loïc Félix, nar­ra­teur plein de vie dont l’élé­gante voix de ténor est mise en valeur dans les pièces de Weill ; Glenn Marausse, lui aus­si habil­lé comme un quidam – car le Dia­ble, c’est l’un d’en­tre nous –, aux into­na­tions cynique­ment justes ; et les sept musi­ciens de l’Orchestre de cham­bre de Paris emmenés par leur chef Marc Haj­jar, tous vis­i­ble­ment ent­hou­si­astes et sen­si­bles aux rythmes chaloupés de la partition.

Le pub­lic ne tar­it pas d’ap­plaud­isse­ment au moment des saluts. Les détenus accueil­lent leurs pre­miers bravos avec émo­tion, bon­heur et soulage­ment ; une autre représen­ta­tion les attend le lende­main – et pourquoi pas d’autres, à leur sor­tie de prison ?

Voir le reportage sur France TV Info.

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