Depuis 2014, l’Orchestre de chambre de Paris visite régulièrement le centre pénitentiaire de Meaux-Chauconin, en Seine-et-Marne, pour y interpréter des concerts, dans un premier temps. Deux ans plus tard, en lien avec le Service pénitentiaire d’insertion et de probation de Seine-et-Marne, l’orchestre met en place des créations musicales partagées, interprétées avec des détenus dans des salles de spectacles à l’extérieur de la prison. Avec pour objectif de les faire s’exprimer à travers un processus de création artistique et de les accompagner dans leur démarche vers une future réinsertion.
Le spectacle qui est présenté cette saison à l’Athénée a pour objet le rapport de l’homme à l’argent. Des détenus participeront à cet Homme qui marche, entourés d’un comédien et d’un chanteur professionnels et de musiciens – placés sous la direction de Marc Hajjar –, dans une mise en scène d’Héloïse Sérazin.
Le spectacle est une version revisitée de L’Histoire du soldat de Stravinski, dans laquelle un soldat se trouve ruiné après un pacte avec le diable. Ce personnage est interprété par les détenus, tantôt comme un seul corps, tantôt comme un corps divisé. Ils sont aussi invités à se réapproprier l’œuvre originale en réécrivant certains passages de ce texte adapté de Ramuz et de Cocteau.
Le spectacle convoque aussi Kurt Weill, en intercalant dans cette histoire des chansons du compositeur allemand.
Notre avis : Pari réussi pour cette nouvelle aventure sociale et culturelle menée conjointement par l’Orchestre de chambre de Paris et le Service pénitentiaire d’insertion et de probation de Seine-et-Marne. Si on ne peut qu’imaginer l’intense travail de création – quelques ateliers d’écriture et de chant, une quinzaine de jours de répétition seulement – dans un environnement atypique qu’est l’univers carcéral, on se réjouit du résultat présenté à l’Athénée. On est frappé par l’esprit de troupe et le niveau d’exigence artistique. La mise en scène d’Héloïse Sérazin est techniquement simple mais efficace, et on n’a jamais l’impression qu’elle a été réduite au prétexte qu’elle était destinée à des amateurs qui n’ont jamais posé le pied sur une scène. L’orchestre, présent sur le plateau, fait partie intégrante du spectacle. C’est ce formidable élan collectif qui emporte l’adhésion du public, et peu importe les maladresses d’exécution : l’important réside dans la restitution d’une œuvre portée par de formidables personnalités.
On salue le choix de L’Histoire du soldat, conte musical initiatique dont le livret trouble, qui convoque le Diable et ses escroqueries, et qui fait s’interroger sur le désir d’argent et l’attrait de liberté, résonne sans aucun doute avec la situation d’incarcération. L’insertion ici et là dans le parcours du Soldat, de manière très fluide et dans des versions françaises, de chansons signées Kurt Weill accentue intelligemment le grincement, le chaos et le désespoir qui tiraillent cet anti-héros malmené par la vie. L’incorporation de textes écrits et dits par les détenus renforce le caractère intime de son cheminement en identifiant un peu plus le Soldat à ses interprètes. Là aussi, on note la pertinence de faire incarner le personnage par une pluralité : sept hommes, physiquement différents mais partageant la même grisaille des costumes et affichant un même regard perdu, réagissant comme un tout, chantant à l’unisson mais se dissociant aussi pour exprimer des désirs propres à chacun.
Dans cette réussite collective, il faut évidemment louer le solide ancrage du projet par les artistes professionnels, qui font tous leur première entrée depuis les coulisses mêlés à la masse des soldats, sans signe distinctif, pour bien affirmer la solidarité entre gens de scène : Loïc Félix, narrateur plein de vie dont l’élégante voix de ténor est mise en valeur dans les pièces de Weill ; Glenn Marausse, lui aussi habillé comme un quidam – car le Diable, c’est l’un d’entre nous –, aux intonations cyniquement justes ; et les sept musiciens de l’Orchestre de chambre de Paris emmenés par leur chef Marc Hajjar, tous visiblement enthousiastes et sensibles aux rythmes chaloupés de la partition.
Le public ne tarit pas d’applaudissement au moment des saluts. Les détenus accueillent leurs premiers bravos avec émotion, bonheur et soulagement ; une autre représentation les attend le lendemain – et pourquoi pas d’autres, à leur sortie de prison ?
Voir le reportage sur France TV Info.