Monstrueuses, hilarantes et subversives, ces deux pièces au climat frigorifié mettent en scène les luttes fratricides de personnages cruels extravagants en marge de la société et de l’espèce humaine. Ici, on change de sexe à volonté et on crève pour mieux ressusciter dans un ballet post-apocalyptique jubilatoire. En jouant des contrastes entre kitsch et sublime, cruauté et drôlerie, le spectacle est aussi une œuvre plastique et musicale qui révèle la portée politique et la poésie déglinguée de Copi. Dans une transe joyeuse et dévastatrice est célébré un théâtre de la catastrophe et de la cruauté certes, mais un théâtre du rire et de la surprise avant tout. Un théâtre de la fin de l’impossible où la révolution pourrait enfin advenir.
Notre avis : Même si le spectacle s’ouvre dans une version que l’on croirait sortie de Priscilla, Queen of the Desert de “Girls Just Wanna Have Fun” de Cindy Lauper et qu’il sera ponctuellement question dans la narration d’extraits interprétés en direct de chansons de Barbara, de Michel Berger, ce spectacle qui n’a de glacial que le nom ne s’apparente pas à une comédie musicale.
La plume de Copi, auteur-dessinateur trop tôt disparu, apparaît plus folle et cruelle que jamais, servie par une mise en scène pour le moins inventive. Deux pièces se succèdent ici : L’Homosexuel ou la Difficulté de s’exprimer et Les Quatre Jumelles. Deux huis clos terrifiants, situés dans des contrées inhospitalières. Si nous imaginons sans peine le scandale qu’elles purent provoquer lors de leur création dans les années 70, elles n’ont rien perdu de leur pouvoir subversif, où le rire sert d’exutoire face aux situations plus atroces et scabreuses les unes que les autres dans lesquelles se débattent les personnages.
Soit une mère et sa fille, tou.tes deux transexuel.les qui bénéficient toutefois des dons de reproduction féminin – la mère suggérant à sa fille de “chier l’enfant” qu’elle porte. Ce qu’elle fera. Dans cet univers totalement déjanté où règne en maîtresse incontestée la métaphore, les rapports humains sont présentés dans toute leur fureur. Un désir de fuir de cette maison se heurtera en permanence à des obstacles toujours plus incongrus, créant un climat anxiogène. Ce dernier est d’ailleurs magnifié par les apparences des comédiennes et comédiens, dont les postiches imposent l’outrance, et les costumes de Christian Lacroix. Et n’espérez pas voir distinctement les visages des comédiens, dissimulés en partie sous des masques cauchemardesques qui évoquent les peintures de Francis Bacon.
Quant au duo de jumelles, cette intrigue fait écho à la précédente par ce nouveau huis clos, cette maison en Alaska d’où il est impossible de partir. Et quand on meurt, on ressuscite – grâce en partie à la drogue qui circule allègrement – et quand un membre est amputé, il se régénère. Le metteur en scène Louis Arene, également interprète, semble s’en être donné à cœur joie. Il indique, dans sa note d’intention, qu’il ne faut pas forcément chercher de sens à ces deux pièces regroupées. De sens, peut-être pas, mais une force assez implacable s’en dégage, donnant à ce qui ne pourrait être qu’une hystérie collective bien huilée une épaisseur insoupçonnée. Et lorsque les masques tombent, les applaudissements sont nourris et redoublent après la lecture d’un texte appelant les êtres humains à vivre en paix, condamnant toute forme de guerre et d’oppression. Et là, le spectacle touche au cœur.