Vous jouez aujourd’hui à proximité de feu le Limonaire, pouvez-vous nous parler de ce lieu et du rôle qu’il joua pour vous ?
C’est tout simplement le lieu où nous nous sommes rencontrés ! C’était un restau-bar-lieu de spectacle dédié à la chanson française qui proposait chaque lundi une scène ouverte de goguettes, “La Goguette des Z’énervés”, qui existe toujours d’ailleurs : maintenant ça se déroule au Bateau El Alamein, au pied de la BNF, toujours les lundis soirs. Chacun vient avec son texte écrit dans la semaine, et le chante en toute simplicité. Il y a plein de gens qui viennent qui ne sont pas du tout musicien ni chanteur, mais c’est pas grave, c’est un lieu de libre expression.
Clémence, la pianiste du groupe, est devenue l’accompagnatrice la plus fidèle de ce rendez-vous depuis pas mal d’années. Stan chantait ses goguettes depuis déjà quelque temps, Aurélien est arrivé ensuite vers 2009 et Valentin un peu après. Stan qui a commencé ce spectacle en solo, a proposé à Aurélien et Valentin de le rejoindre pour monter ce trio — à quatre avec Clémence — et c’était le début de l’aventure en 2013.
Le Limonaire c’est un endroit mythique pour les amateurs de chanson, un lieu extrêmement vivant, simple, chaleureux, populaire… D’ailleurs il a fermé mais pourrait bien rouvrir ailleurs dans Paris. Ce ne serait pas la première fois que ça arrive, car le Limonaire avant d’être installé pas loin du Trévise était dans le 12ème.
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Quelles sont vos sources d’inspiration ?
La lecture de journaux comme le Canard Enchaîné, bien sûr, et tous les media classiques, même Facebook, les discussions politiques avec les gens, ou même entre nous, ça nous donne des idées. Mais il ne faut pas oublier que les chansons sont aussi des sources d’inspiration majeures ! Parce que parfois ce sont elles qui donnent le déclic pour écrire.
En suite logique, comment écrivez-vous une goguette ?
Généralement en solitaire. Chacun écrit dans son coin, même si c’est parfois sur une idée d’un autre. Et puis on soumet aux autres, qui proposent éventuellement des blagues, des retouches. C’est arrivé qu’on écrive vraiment à 2 ou à 3, mais c’est rare car ça suppose qu’on se retrouve ensemble et qu’on ait du temps pour ça. Parce que quand on se voit c’est généralement pour répéter, préparer ou jouer un spectacle, retoucher les textes pour le spectacle du soir à cause des événements récents… donc pas le temps d’écrire des nouvelles goguettes dans ces moments-là !
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Quel regard portez-vous sur les chansonniers actuels, genre Théâtre des Deux Anes ?
Dans les chansonniers actuels, on citerait plutôt des gens comme Frédéric Fromet ou notre copain Patrice Mercier, qui parlent d’actualité en chanson et en goguettes aussi. On a le sentiment qu’il y a de nouveau un goût pour ça, qu’on dépoussière un genre, malheureusement rendu un peu ringard par des chansonniers dans l’esprit “Théâtre des Deux Anes” justement. Et puis la chanson populaire a changé de statut en 30 ans, aujourd’hui c’est plus rare qu’une chanson traverse toutes les couches de la société, toutes les générations. Ça arrive encore, mais c’est bien plus rare qu’autrefois. Et puis le type d’humour a aussi beaucoup évolué.
Mais finalement la forme de la goguette a gardé son efficacité et les gens sont toujours prêts à entendre de la satire politique en chansons, ça attire vraiment des gens de toute génération.
En fonction de l’actualité, une goguette peut-elle évoluer ?
Ah oui, ça n’arrête pas. Surtout en ce moment ! En période pré-électorale il y a toujours beaucoup de mouvement, là c’est encore pire évidemment avec cette campagne présidentielle, donc nous sommes obligés tout le temps de retoucher telle ou telle phrase, couplet, refrain… et même parfois on se fait piéger, il nous arrive de devoir changer un texte au tout dernier moment. Comme le soir où on a appris à 15 minutes du début du spectacle que Hollande ne se représenterait pas. Ça bouleversait pas mal de choses !
Vous commencez à évoquer Broadway : un pas vers « Goguettes, the musical » ?
Oui, enfin c’est un autre métier ! Ou plus exactement, comme nous sommes dans une réactivité maximale à l’actualité, c’est difficile pour nous de construire une narration aussi complète et fixée à l’avance que dans une comédie musicale. Les goguettes, ça vient du cabaret aussi, mais ça reste du travail de chansonnier, donc un concert. On essaye de le théâtraliser davantage, certes, mais comme on le dit parfois dans le spectacle, non “c’est pas Broadway” !
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Quels retours avez-vous du public ?
Bon… globalement ils sont bons! Sinon on aurait déjà arrêté ! Et nous ne sommes pas encore suffisamment connus pour attirer des gens qui n’ont pas envie de nous voir ! Les gens qui viennent, en général, savent à quoi s’attendre. Mais quand ce n’est pas le cas, ils sont surpris par le ton très libre et acide du spectacle. Parfois devant un public complètement neuf, on sent ce moment de surprise, voire de gêne, parce qu’on n’ose pas forcément rigoler de choses politiques devant d’autres gens, on a peur de se trahir. Et puis comme on tape un peu partout, et surtout sans coups bas ni méchanceté gratuite, les gens se sentent assez vite en confiance et se détendent.
Les retours négatifs viennent de gens qui prennent le spectacle un peu trop au pied de la lettre, et sans humour, qui vont trop se sentir attaqués dans leurs croyances politiques… parce qu’il faut être honnête, on aborde tous ces sujets avec un point de vue. Mais on ne se prend pas au sérieux, ce n’est pas du tout un meeting, c’est un prétexte à rire, simplement on ne cherche pas un rire creux, juste bête et méchant qui dirait “c’est tous des pourris”. Alors il y a des gens qui se sentent personnellement mis en cause. Mais bon c’est quand même rare ! Là je pense à deux retours qu’on a eu de ce genre-là. En quatre ans !
Comment envisagez-vous l’avenir des goguettes ?
A partir du moment où on renouvelle le point de vue, le type d’humour, on se rend compte que ce n’est pas un exercice si désuet en France. Il y a un tel goût pour la politique et la chanson dans ce pays que, sans parler de “mode”, il semble en tout cas qu’il y ait un certain renouvellement en ce moment. Et tant mieux.
Quant à l’avenir du groupe, c’est difficile à dire. Quand on gagnera beaucoup d’argent avec ce spectacle, on commencera à investir dans l’immobilier et les bateaux de luxe, et alors probablement on changera un peu de discours… En attendant, on continue d’écrire, de chanter et de rire, et surtout d’améliorer sans cesse tout ce qui peut l’être sur scène… les lumières, la musique, la mise en scène, notre interprétation.
Pourquoi faut-il venir voir votre spectacle ?
Ah c’est à vous de le dire ! Nous on n’est pas très bien placés. Mais les spectateurs qui reviennent et motivent leurs proches pour venir au spectacle suivant nous disent souvent combien ça leur fait du bien de rire de toutes ces choses qui peuvent vite devenir accablantes au quotidien. C’est tellement stressant, oppressant d’être surinformés comme nous le sommes à notre époque, qu’on a besoin de spectacles où l’on peut rire tous ensemble, et si possible intelligemment, pour nous regonfler, nous redonner de la force mutuellement. Bon enfin ça a l’air très ambitieux comme ça, mais il s’agit surtout de passer un bon moment !
Pour en savoir plus, rendez-vous sur le site des Goguettes en trio mais à quatre.