La Famille Addams (Critique)

0
1082

Livret et musique : Andrew Lippa
Paroles : Mar­shall Brick­man & Rick Elice
Décors : Mas­si­m­il­iano Merenda
Cos­tumes : D’inzillo Sweet Mode Srl
Lumières : Mau­r­izio Montobbio
Son : Arman­do Vertullo
Choré­graphe : Julia Ledl
Direc­tion vocale et musi­cale : Raphael Sanchez
Met­teur en scène : Ned Grujic

Avec  : Guil­laume Bouchède (Gomez Addams), Lucie Riedinger (Mor­ti­cia Addams), Char­lotte Hervieux (Mer­cre­di Addams), Mag­a­li Guer­rée (Pugs­ley Addams), Lau­rent Conoir (Fétide Addams),  Stéphanie Gag­neux (Grand Ma), Vin­cent Gilliéron (Lurch), Cyril Romoli (Mal­colm Beineke), Dalia Con­stan­tin (Alice Beineke),  Simon Gal­lant (Lucas Beineke)
Ensem­ble: Jean-Bap­tiste Darosey, Julie Costan­za, Géral­dine Deschenaux, Rosy Pol­las­tro, Alexan­dre Bernot, Bart Aerts.

Résumé : Dans l’aile gauche d’une immense vil­la délabrée de style vic­to­rien vit une famille macabre et excen­trique, la Famille Addams. La sin­gulière Mer­cre­di, princesse des ténèbres et fille aînée de la famille, est main­tenant dev­enue une jeune fille ; et comme la plu­part des jeunes filles, elle tombe amoureuse d’un garçon qui, aux yeux de sa famille, aurait tous les défauts : doux, gen­til et… totale­ment ordi­naire ! Effrayée par la réac­tion pos­si­ble de sa mère, la mys­térieuse et fasci­nante Mor­ti­cia, Mer­cre­di décide de con­fi­er le secret de son amour à son père Gomez Addams, forçant ce dernier à faire une chose qu’il n’a jamais faite de sa vie : ne pas révéler ce secret à sa Mor­ti­cia chérie et adorée. Jusqu’au jour où… s’organise un dîn­er dans le manoir des Addams pour la présen­ta­tion offi­cielle du petit ami de Mercredi !

Notre avis : Écrit en 2017. De La Famille Addams, le grand pub­lic con­nait surtout les longs métrages des années 90. Des films au suc­cès plané­taire, pop­u­lar­isant cette tribu pour le moins par­ti­c­ulière, d’inquiétants humains au teint bla­fard et de créa­tures improb­a­bles. Beau­coup ignorent que ce déli­cieux petit monde, vivant à l’ombre d’un cimetière, est né il y a près de cent ans, sous le cray­on de Charles Addams dans les pages du New-York­er. Série télévisée des années 60, The Addams Fam­i­ly est surtout dev­enue A musi­cal com­e­dy à Broad­way, en 2010 signée du trio Andrew Lip­pa (paroles et musiques), Mar­shall Brick­man et Rick Elice (Jer­sey Boys).
C’est cette ver­sion inté­grale que le Palace pro­pose depuis le 15 sep­tem­bre au pub­lic français. Une adap­ta­tion absol­u­ment fidèle au show améri­cain et dont seule la mise en scène a été entière­ment revue et imag­inée. On y retrou­ve avec plaisir cette famille absurde et attachante où les ancêtres ont deux têtes, où les enfants se tor­turent joyeuse­ment et où la cave regorge d’instruments de sup­plice. Banal. S’amuser avec une arbalète, dormir dans un cer­cueil, ou élever un « iguane de com­pag­nie », quoi de plus nor­mal pour les Addams? Mais voilà que Mer­cre­di est amoureuse et que deux familles n’ayant rien en com­mun vont se ren­con­tr­er. C’est le face à face entre deux mon­des, entre deux philoso­phies de la vie, entre deux «nor­mal­ités».
Dis­ons-le sim­ple­ment, cette Famille Addams « française » est un régal empoi­son­né, un grand moment de musique et de rires. Il faudrait d’ailleurs plutôt qual­i­fi­er le show de « boule­vard musi­cal » tant l’écriture est celle d’une pièce et les répliques dignes d’un vaude­ville. Ned Gru­jic, à qui l’on doit l’adaptation, a effec­tué un tra­vail au cordeau, évi­tant de bâcler les textes et d’affadir les rimes. Il a fidèle­ment respec­té l’âme théâ­trale du spec­ta­cle, mais aus­si sa struc­ture artis­tique : Un grand numéro choral, réu­nis­sant la qua­si-total­ité des seize artistes, ouvre ain­si la soirée, dans la plus pure tra­di­tion de Broad­way. « Pour être un Addams » con­voque notam­ment les ancêtres, qui for­ment judi­cieuse­ment l’ensemble tout au long du musi­cal, mi morts-vivants, mi-anges-gar­di­ens au ser­vice de l’Amour.
Autour d’un vaste et ingénieux décor mobile — le manoir famil­ial, qui se déplace et s’ouvre au gré des scènes — la suite est une suc­ces­sion de hurlements de ter­reur ou de rire… Car La Famille Addams ne déroge pas à la règle du vaude­ville, avec son lot de rebondisse­ments, de secrets et de men­songes. Rien ne se passe évidem­ment comme prévu… et l’amour sem­ble vac­iller pour ces Roméo et Juli­ette au pays de Drac­u­la. Leurs par­ents, que tout oppose, ne sor­ti­raient pas eux-mêmes indemnes, s’ils ne finis­saient par se remet­tre en ques­tion. Ce n’est plus macabre, c’est une leçon de vie !
Très swing, la musique est d’ailleurs enlevée, dynamique et par­ti­c­ulière­ment var­iée. On a peine à croire qu’un seul com­pos­i­teur a com­mis tous les airs, tant leurs couleurs dif­fèrent. Castag­nettes, trompettes et rythmes lati­nos rap­pel­lent l’Espagne de Gomez, mélodie pop et déchainée réu­nit les deux amoureux, et grands thèmes typ­iques de Broad­way ponctuent l’intrigue.
Bien loin des tubes français mar­ketés et facile­ment mémoris­able aux­quels le grand pub­lic a pu être habitués ces dernières années, ces airs pren­nent une évi­dente dimen­sion sup­plé­men­taire par leurs inter­prètes. Et plus que les mélodies, c’est la dis­tri­b­u­tion d’excellents artistes, dont la ressem­blance est frap­pante avec les héros, qui fait la force de ce spec­ta­cle. Lucie Riedinger est une Mor­ti­cia plus vraie que nature, Guil­laume Bouchède (Gomez) est maitre dans le boule­vard, Char­lotte Hervieux (Mer­cre­di) relève tous les défis vocaux du pre­mier acte et Dalia Con­stan­tin est une for­mi­da­ble Alice Beineke. La palme de l’interprétation revient cepen­dant à Vin­cent Gilliéron. Mécon­naiss­able et sai­sis­sant en Lurch (le major­dome), il offre pen­dant deux heures une presta­tion, unique­ment com­posée d’expressions et de mim­iques, absol­u­ment for­mi­da­ble. Leurs voix, leur jeu, le texte, et la puis­sance déli­rante de cette galerie de gen­tils doux-dingues ren­dent finale­ment inutiles tout effet super­flu et on sait gré à Ned Gru­jic de n’avoir pas cédé à la mode des écrans plas­mas et des pro­jec­tions vidéos.
Drôle, parsemée de clins d’œil (La Chose, le cousin Machin), et adap­tée à tous les publics, La Famille Addams con­fin­erait au par­fait s’il l’on ne déplo­rait pas un manque de relief sur cer­taines scènes et quelques longueurs, une ou deux chan­sons assez inutiles brisant le rythme général. Les Français n’y sont sem­blent-ils pour rien, l’œuvre orig­i­nale com­por­tant ce même défaut. Reste cette leçon qui se dévoile pro­gres­sive­ment, entre un tan­go et une pendai­son par les pieds : Il n’y a rien de plus sub­jec­tif que la nor­mal­ité, et les fous ne sont pas tou­jours ceux que l’on croit.  A bon entendeur…