Le 29 juin dernier, Liliane Montevecchi a quitté les siens après une lutte acharnée, menée avec le courage et le dynamisme qui l’auront caractérisée tout au long de sa vie, contre un cancer. Une carrière hors norme, à l’image de son rire, immense et contagieux, pour une personnalité des plus attachantes du monde du musical. Avec ce recul, cet humour permanent qui lui permit de traverser les années avec une souplesse légendaire, avec quelques huîtres et du champagne histoire de conserver la forme.
Liliane c’est tout d’abord la danse. Coquette grâce à sa mère adorée qui lui confectionne des vêtements, qui lui insuffle surtout cet appétit de croquer la vie quoi qu’il advienne, qui lui promet que le monde sera à ses pieds. L’élégance, la mère et la fille la partagent. Jamais Liliane ne sortait sans maquillage, sans être habillée avec soin avec des notes de rouge, de tissus noir à pois… Ses yeux de jais n’en ressortaient que plus, ce regard avide d’en découvrir toujours plus, d’explorer et qui pouvait vous foudroyer et la seconde suivante prodiguer une sorte de caresse d’une grande tendresse. Le rouge répondait à celui de son rouge à lèvres, de ses ongles toujours impeccables. Une classe, un maintien… une femme que l’on remarque et qui n’en est pas peu fière.
La danse, donc. Les années d’apprentissage, la rudesse, la discipline : rien ne lui fait peur. Le regard de Roland Petit, la reprise de La Croqueuse de diamants, le chant qu’elle pratique à l’instinct, le premier voyage en Amérique qui va faire basculer sa carrière puisque, repérée par John Houseman, elle finira par accepter un contrat de sept ans à la MGM, elle, la danseuse française qui ne parle pas un mot d’anglais… De ces années à Hollywood, des souvenirs avec les stars de l’époque, des fous rires, des apparitions dans divers films, danser sur une table dans Moonfleet, vanter les mérites de la banane auprès d’Elvis Presley… Un premier rôle raté dans The Living Idol, mais pas d’aigreur pour autant. Liliane a d’autres rêves et la danse la maintient toujours à flot.
Traverser les États-Unis dans votre décapotable avec vos trois chiens. Installer des bacs à eau pour les rafraîchir (il fallait bien pallier au manque de climatisation). Des Folies Bergère de Vegas à celles de Paris, vous voilà naviguant entre deux continents. Des rencontres, décisives, d’amour qui peuvent se transformer en amitié qui perdurent durant de longues années. Un retour à Hollywood où les portes ne s’ouvrent guère, une halte à New York sur l’invitation de votre amie Jacqueline « Platoon » Stone. Une audition, vous qui n’auditionnez jamais, devant Tommy Tune. Un petit rôle dans Nine qui grandit, grandit. Une chanson : « Folies Bergère » que vous inspirez à Maury Yeston et qui stoppera le show tous les soirs. Une superbe voiture rouge enveloppée d’un nœud offerte par un admirateur pour votre anniversaire, le triomphe, le Tony Award et les autres prix. Une reconnaissance « broadwayienne » (adjectif montevecchien) qui saura vous émouvoir au plus haut point. Une visite au Grand Hotel, du même tandem Tune/Yeston, divers shows à travers le pays.
La France de nouveau avec Mistinguett, vue par Jérôme Savary. L’Opéra Comique tremble encore de vos rires en cascades, de cette troupe de saltimbanques dans ce spectacle qui amuse les spectateurs. Vous vous demandez bien quand vous pourrez faire votre one woman show : On the boulevard, à Paris. Ce n’est pas encore le moment. Des participations remarquées dans les revues du Teatro Zinzanni, votre fidélité au Tigerpalast de Francfort où vous chantez, parfois corrigez les spectateurs peu respectueux des artistes. Des rencontres, des projets avortés, des enthousiasmes, la douceur de vivre dans le sud de la France chaque été, un peu d’Italie aussi.
Et jamais de longues périodes de repos. Toujours sur les planches, toujours à amuser les spectateurs. L’interrogation sur votre étonnante vitalité, votre curiosité insatiable. L’envie d’en découvrir toujours plus. Et, enfin, la peur au ventre quand vous présentez enfin à Paris votre « act » grâce à la pugnacité de Patrick Niedo. L’anglais qui s’immisce dans votre texte, le public conquis, la chaleur qui se dégage, votre émotion à vous savoir tellement aimée. Comment aurait-il pu en être autrement ?
Alors adieu Liliane. Vous avez éclairé de votre élégance les moments de celles et ceux qui ont eu la chance de vous rencontrer, de se nourrir de votre énergie. J’ai la chance d’en faire partie et, si vous n’êtes plus parmi nous, vous n’êtes pas si loin, vous êtes là.
Pour celles et ceux qui souhaitent vous dire au revoir, une messe sera célébrée lundi 16 juillet à 10h30 en l’église Saint-Roch. Venez avec du rouge sur vous et même si votre cœur pleure, un sourire aux lèvres.