West Side Story

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Broadway Theatre - 1681 Broadway - New York, NY 10019.
À partir du 20 février 2020.
Le site du spectacle.

Notre avis : Par­mi toutes les comédies musi­cales présen­tées à Broad­way, seules quelques-unes se dis­tinguent par­ti­c­ulière­ment et sont repris­es fréquem­ment, sou­vent avec autant de suc­cès. Par­mi celles-ci, West Side Sto­ry occupe tou­jours une place de choix ; d’abord parce qu’à l’encontre de bien d’autres elle présente une vision mod­erne de New York et de cer­tains de ses habi­tants, dans une adap­ta­tion vivante de l’histoire d’amour entre Roméo et Juli­ette, his­toire qui, comme on le sait, se ter­mine en tragédie ; ensuite parce que le film qui en a été fait en 1961 est resté à jamais gravé dans les mémoires, inci­tant de nom­breuses per­son­nes de tous âges à aller revoir sur scène ce qu’elles ont déjà admiré à l’écran.

Créée à l’origine en 1957 sur un livret d’Arthur Lau­rents, une musique de Leonard Bern­stein, des paroles de Stephen Sond­heim, et surtout une choré­gra­phie inou­bli­able signée Jerome Rob­bins, la pièce est au pan­théon des œuvres les plus fréquem­ment mon­tées à Broad­way avec Okla­homa!, The King and I, Fid­dler on the Roof et My Fair Lady.

Une nou­velle ver­sion réglée par le met­teur en scène belge Ivo van Hove vient de faire ses débuts après une longue péri­ode de ges­ta­tion de plus de deux mois pen­dant lesquels l’œuvre orig­i­nale a été remaniée, mod­i­fiée, altérée, revue et cor­rigée. Le résul­tat, pour le moins probant mal­gré divers­es réserves, est finale­ment con­va­in­cant, non pas parce que le tra­vail de M. van Hove a amélioré ce qui exis­tait précédem­ment, mais surtout parce que, quels que soient les change­ments apportés à la pièce et à son déroule­ment, cette dernière est si bien con­stru­ite et illus­trée que rien ne sem­ble devoir lui porter tort.

Cette nou­velle reprise s’éloigne des précé­dentes à plusieurs égards. Dans un souci d’économie spa­tiale, Ivo van Hove a choisi de dépouiller l’œu­vre notam­ment des arti­fices théâ­traux qui l’encombraient pour la présen­ter sur la scène du Broad­way The­atre, l’une des salles les plus grandes de New York, sans décors ni acces­soires. Pour les scènes dont l’action se passe spé­ci­fique­ment en intérieur, celles-ci ont été recréées en coulisse avec des décors et filmées avec les acteurs pour être ensuite pro­jetées sur le vaste pan de mur qui sur­plombe la scène.

Ces pro­jec­tions qui évo­quent les grands écrans des salles de ciné­ma mod­ernes ser­vent égale­ment à mon­tr­er les par­tic­i­pants en gros plans quand ils se trou­vent sur scène, ce qui mal­heureuse­ment réduit presque à néant leur présence physique en com­para­i­son avec ces images gigan­tesques au-dessus d’eux. C’est là l’un des points faibles de cette présen­ta­tion, dans laque­lle, en dépit du coût que cela doit représen­ter, la dis­tri­b­u­tion compte pas moins d’une quar­an­taine de fig­u­rants. En effet, à l’exception des trois acteurs prin­ci­paux immé­di­ate­ment recon­naiss­ables – Isaac Pow­ell (Tony), Shereen Pimentel (Maria) et Yese­nia Ayala (Ani­ta) – les per­son­nages sec­ondaires comme Bernar­do, Riff et Chi­no dis­parais­sent sou­vent complètement.

La rival­ité entre les Sharks et les Jets, les deux gangs qui s’opposent dans le cadre de l’action, a égale­ment fait l’objet d’un change­ment notoire. Là où ini­tiale­ment les Sharks, d’expression latine, et les Jets étaient spé­ci­fique­ment iden­ti­fi­ables, leurs mem­bres sont ici mélangés avec des acteurs noirs et blancs dans les deux camps. Dans les grandes scènes de con­fronta­tion (« Dance at the Gym », « The Rum­ble »), la mise en scène donne à l’ensemble de la troupe l’occasion d’évoluer comme deux essaims d’abeilles tour­nant en rond, prêts à l’action. C’est effi­cace la pre­mière fois mais las­sant à la longue.

Le livret de la pièce, tout en restant fidèle à l’original, a été allégé (l’action se déroule dans un mou­ve­ment con­tinu d’une heure quar­ante-cinq min­utes sans entracte) et l’une des chan­sons les plus pop­u­laires de la pièce, « I Feel Pret­ty », en a été élim­inée, ce qui, aux dires de M. Sond­heim lui-même, ne serait pas une perte.

Mais le grand défaut de cette reprise est la choré­gra­phie d’Anne Tere­sa de Keers­maek­er, une fréquente col­lab­o­ra­trice du met­teur en scène, qui fait ses débuts à Broad­way, et dont les dans­es se résu­ment à des mou­ve­ments sans grande sig­ni­fi­ca­tion et deman­dent des par­tic­i­pants qu’ils se vautrent sur scène à plusieurs repris­es sans rime ni rai­son, pour les besoins d’une cause qui n’a rien d’artistique. Quand on con­naît le tra­vail réal­isé par Jerome Rob­bins, l’un des grands choré­graphes du théâtre de Broad­way (avec Agnes de Mille, Bob Fos­se et Gow­er Cham­pi­on), et l’importance que sa choré­gra­phie a don­née au suc­cès de la pièce lors de sa créa­tion, on est en droit de se deman­der ce qui a pu motiv­er Mme de Keers­maek­er et son met­teur en scène.

Cela dit, et en dépit des défauts mar­quants de cette pro­duc­tion qui se veut orig­i­nale et dif­férente, West Side Sto­ry con­tin­ue de séduire par la justesse de son con­tenu nar­ratif et l’excellence de sa par­ti­tion musi­cale, preuve, s’il en était besoin, qu’une œuvre d’art aus­si par­faite peut sur­vivre en dépit des indig­nités pseu­do-artis­tiques qu’on lui inflige.

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