A Funny Thing Happened on the Way to the Forum (Le Forum en folie) est une farce romaine inspirée d’œuvres du dramaturge Plaute (251–183 av. J.-C.). En particulier, Pseudolus, Miles Gloriosus et Mostellaria servirent de modèles à Larry Gelbart, co-auteur du livret avec Burt Shevelove. « Il a inventé tous les artifices connus de la comédie populaire », déclare Gelbart qui, par ailleurs, rend hommage dans la pièce à son modèle quand il fait dire à Miles Gloriosus « Je suis une parade », une plaisanterie datant de plus de 2 300 ans.
L’ action se passe à Rome, à l’époque des gladiateurs et des empereurs, quand tous parlaient latin, dans un quartier choisi où se trouvent trois immeubles de luxe contigus : la maison de Senex, sous le contrôle de Domina la maîtresse de maison, sur la droite ; la maison d’Erronius, vieil homme parti à la recherche de ses enfants kidnappés par des pirates dans leur jeune âge, sur la gauche ; et, entre les deux, un lupanar tenu par Lycus, avec en façade tout un contingent de jolies filles.
Pseudolus, un serviteur roublard mais plein de ressources et qui travaille dans la maison de Senex, n’a qu’une idée en tête : être un homme libre quel que soit le moyen pour y arriver. Justement, Senex et son épouse, Domina, vont rendre visite à la mère de cette dernière, laissant leur fils Hero, un beau garçon un peu innocent attiré par les filles de l’immeuble voisin, aux bons soins d’Hysterium, le chef des esclaves de leur maison. Quand Hero confie à Pseudolus qu’il est tombé amoureux d’une jeune vierge, Philia, récemment arrivée de Crète chez Lycus, Pseudolus voit là l’occasion idéale de réaliser son rêve de liberté et se porte volontaire pour aller la chercher, en échange de quoi il sera un homme libre.
Hero lui donne son accord et Pseudolus va donc voir Lycus pour acheter Philia, mais Lycus lui déclare qu’elle a déjà été vendue à un militaire de renom, Miles Gloriosus, qui doit venir la chercher ce jour même. Sans se démonter, Pseudolus lui répond qu’une épidémie de peste vient de faire de nombreuses victimes en Crète et que, pour s’assurer que la nouvelle venue n’est par contagieuse et ne contamine pas toutes les filles du lupanar, peut-être pourrait-elle rester à l’écart chez Senex jusqu’à ce que Miles arrive. Lycus trouve l’idée de bon aloi, et c’est ainsi que Hero et Philia peuvent se rencontrer, faire connaissance et, avec toute l’innocence et la simplicité qui les caractérisent, tomber dans les bras l’un dans l’autre.
Hysterium les surprend dans leurs ébats et veut ramener Philia chez Lycus et, par la même occasion, dénoncer dans cette histoire le rôle de Pseudolus, lequel le menace à son tour de dire à Senex que son chef des esclaves cache dans sa chambre « la plus grande collection de poteries érotiques qui soit à Rome ». Alors qu’ils s’arrangent entre eux, voilà maintenant que Philia spécifie qu’elle ne peut rompre les promesses faites à Lycus d’être la courtisane de Miles dès que ce dernier arrivera. Entre-temps, bien sûr, elle n’est pas opposée à flirter avec Hero. Sur ces entrefaites, Senex, qu’on attendait guère, revient seul chez lui après avoir déposé Domina chez sa mère.
Croyant qu’il est son « capitaine », Philia est prête à se donner à lui, et Senex, qui se voit déjà au paradis latin, propose qu’ils aillent chez Erronius pour éviter que Hero ne soit au courant de ses frasques. Mais Erronius arrive lui aussi quand on ne l’attendait pas et est surpris d’entendre un « fantôme » (Senex en train de chanter) qui a pris possession de sa maison. Pseudolus se rendant compte de ce qui se passe l’écarte en lui disant qu’il lui faut faire sept fois le tour de Rome et de ses sept collines s’il veut se défaire de ce mauvais esprit tapageur. Avant de partir, Erronius révèle que ses enfants sont identifiables par l’anneau qu’ils portent comme lui et sur lequel a été gravée la même phrase : « un vol d’oies ».
Sur ce, Miles Gloriosus finit par arriver et demande que sa « fiancée » lui soit amenée immédiatement. Pseudolus lui annonce qu’elle a été victime de la peste et convainc Hysterium de se déguiser en femme défunte afin qu’il puisse encore mieux tromper Miles et lui faire croire que sa fiancée n’est plus de ce monde. Apparemment déçu, Miles demande qu’elle soit enterrée, mais quand il veut lui donner un dernier baiser, Hysterium se lève et prend la fuite, poursuivi par Miles qui est lui-même poursuivi par Pseudolus, suivi lui aussi de Hero et de Philia, dans une course frénétique, interrompue par Erronius qui reconnaît en Miles son fils et en Philia sa fille grâce aux anneaux qu’ils portent.
Tout est donc bien qui finit bien: Hero et Philia peuvent convoler en justes noces puisque Miles ne peut plus l’épouser ; tout rentre dans l’ordre, aussi bien chez Erronius que chez Lycus que chez Senex… et Pseudolus est finalement un homme libre.
Ce n’était pas la première fois que le théâtre de Broadway prenait l’époque romaine pour toile de fonds (The Boys from Syracuse, de Richard Rodgers et Lorenz Hart, créé en 1938, était un prédécesseur de première classe), et quand Gelbart, Shevelove et Sondheim se mettent à l’œuvre vers la fin des années 1950, le spectacle tel qu’ils l’imaginent est une œuvre entièrement faite dans l’esprit même de Plaute, qui observe la règle des trois unités – de temps, de lieu et d’action – et dans laquelle les plaisanteries auraient pu être appréciées par le public en cette époque lointaine vers 250 avant Jésus-Christ.
La pièce demandera près de cinq ans pour se développer, et connaîtra de nombreuses modifications et changements, avec Sondheim composant chaque fois de nouvelles chansons pour bien encadrer l’action. Maintenant prêts, quand ils entrent dans la phase de production, les trois créateurs doivent faire face à une multitude de difficultés d’un tout autre genre. Gelbart et Shevelove, issus du monde de la télévision, sont des néophytes dans l’univers du théâtre musical. Quant à Sondheim, bien qu’il en ait acquis une certaine compétence grâce à ses participations dans West Side Story (1957) et dans Gypsy (1959) en tant que parolier des chansons, c’est la première fois qu’il présente une œuvre de son cru, et il se sent également vulnérable.
Une première présentation publique à New Haven, dans le Connecticut (dans une mise en scène délirante de George Abbott qui avait dirigé The Boys from Syracuse en 1938), se révèle désastreuse ; après de nombreuses révisions, un second essai, à Washington, reçoit la même réaction. Comme le signalait The Washington Post le jour suivant : « Ce n’est pas une mauvaise idée de combiner ensemble une comédie musicale et une farce romaine digne d’antan, mais il faudra un peu plus d’innovation que cela pour vous assurer que vous ne vous êtes pas égarés dans une soirée créée par des amateurs. » Le producteur Harold Prince, qui va partager avec Sondheim la plus grande partie de ses créations, se souvient d’une représentation devant un parterre d’une cinquantaine de personnes – certainement pas un signe encourageant pour une œuvre qui veut s’installer à Broadway. D’autant que les réactions négatives commencent à filtrer vers New York et les agences de location recommandent à leurs clients potentiels d’éviter cette pièce jugée peu intéressante. Une chanson va tout modifier…
« Oscar Hammerstein m’avait dit plusieurs fois qu’une première chanson pouvait signer le succès ou l’échec de toute une œuvre, explique Sondheim. Celle que j’avais écrite initialement était une “Invocation” pour introduire une farce dans un langage se moquant du genre classique, suffisamment relaxe pour mettre la salle dans une atmosphère confortable tout en ajoutant une pointe d’ironie à la fin… George Abbott, […] notre metteur en scène, avait une seule objection : la musique. Il ne la trouvait pas suffisamment mélodieuse pour séduire les spectateurs. Je dois admettre qu’elle avait des sonorités un peu modernes pour lui, même si elles n’étaient pas remarquablement dissonantes. Néanmoins, Monsieur Abbott, comme on l’appelait avec respect, était une légende de Broadway, célèbre non seulement comme auteur et metteur en scène, mais pour être également un “play doctor”, capable de remettre sur pieds un spectacle sur le point de flancher et de transformer un échec embarrassant en un succès retentissant… J’ai donc écrit une chanson qu’on pouvait fredonner, du moins je l’espérais, pour le séduire ainsi que la salle. »
« “Love Is in the Air” était une adorable chanson qui semblait suffisamment mélodique et que nous avons étrennée à New Haven, où le spectacle a reçu des critiques dévastatrices de la part de la presse et une indifférence totale de la part des spectateurs, à tel point que même George Abbott […] se plaignait, “Je suppose qu’il va nous falloir faire appel à George Abbott”, marmonnait-il. »
« Ce n’est pas à George Abbott que nous avons fait appel, mais une fois à Washington c’est à Jerome Robbins… et sa première suggestion a été de se débarrasser de cette première chanson… C’était bien une chanson qu’on pouvait fredonner, a‑t-il expliqué, pleine de grâce, charmante, bienvenue, et les spectateurs l’apprécient à sa juste valeur, mais le climat créé détruit tout ce qui s’ensuit. Ils s’attendent à une comédie légère, pas grossière, quelque chose de minutieusement filigrané mais pas élégamment vulgaire… Ce fut donc « Comedy Tonight », que j’ai écrite pendant le week-end. Jerry en a réglé la mise en scène pendant la semaine, et c’est la chanson qui a ouvert le spectacle à New York. Non seulement ça a été du délire, mais le spectacle lui-même a été un succès… et tout cela du fait de cette première chanson… et du fait que George Abbott ne pouvait pas la fredonner. »
Lors de la première de A Funny Thing à Broadway le 8 mai 1962, la réponse de la presse est dans son ensemble très positive. « Cette œuvre idiote l’est réellement et les idiots le sont également, écrit Walter Kerr, critique redoutable du Herald Tribune, mais je remercie le metteur en scène George Abbott de nous avoir donné l’occasion de passer une soirée de moindre importance, agréable et sans prétentions. » « Le livret de Burt Shevelove et Larry Gelbart est comme un souffle d’air chaud et la musique de Stephen Sondheim n’accroche guère, mais sous la direction précise de George Abbott, le spectacle se déroule, provoquant l’hilarité dans la salle », surenchérit John McClain dans le Journal-American. Quant à Howard Taubman, qui écrit pour le puissant New York Times, il note : « George Abbott, un vieux de la vieille qui n’a jamais mis en scène un spectacle pour les foules du Forum, n’a rien oublié et s’est souvenu de tout. Il a mis en marche un événement funéraire très drôle sur une musique réglée au pas cadencé par Stephen Sondheim. Il utilise des identités multiples qui se mélangent, des portes qui claquent, des coups de pied dans le postérieur, des jeux de mots, et tout l’ensemble de ces réactions familières avec l’air désinvolte et sans merci d’un homme qui sait que les spectateurs seront vite pris au piège. » La pièce restera à l’affiche pendant quatre ans pour un total de 965 représentations.
Après avoir reçu plusieurs nominations aux Tonys, les Oscars de Broadway tant convoités, A Funny Thing en remporta huit dont celui de la meilleure production (Harold Prince), celui du meilleur acteur (Zero Mostel, pour sa prestation dans le rôle de Pseudolus), celui de la meilleure mise en scène (George Abbott), celui du meilleur livret (Burt Shevelove et Larry Gelbart), et, suprême récompense, celui de la meilleure comédie musicale de l’année. Sondheim ne figurait même pas dans la catégorie des meilleures musiques et chansons.
Portée à l’écran en 1966 dans une version très édulcorée avec Zero Mostel (Pseudolus), Michael Crawford (Hero), Buster Keaton (Erronius), Phil Silvers (Senex) et Jack Gilford (Hysterium) dans les rôles principaux, la pièce a depuis été reprise par deux fois à Broadway : en 1972 avec l’acteur Phil Silvers dans le rôle principal pour 156 représentations ; et en 1996 avec Nathan Lane, remplacé par Whoopi Goldberg, pour 750 représentations.
La pièce est également très populaire en Angleterre où elle a été produite à plusieurs reprises, et notamment au Royal National Theatre en 2004 et au Stratford Shakespeare Festival en 2009. Elle a été également jouée à Hong Kong en 2009 et à Melbourne en 2012. Sa programmation au Lido 2 Paris marque ses débuts en France en version originale.