Une farce musicale hilarante de Stephen Sondheim d’après Plaute pour la première fois à Paris dans sa version originale.
On ne présente plus Stephen Sondheim que le New York Times a qualifié d’auteur et compositeur le plus vénéré et influent de la deuxième moitié du XXe siècle. À Paris, Jean-Luc Choplin a pu déjà faire découvrir certaines de ses œuvres avec succès telles A Little Night Music, Sweeney Todd, Passion, Into the Woods, Sunday in the Park with George…
Pour la réouverture du Lido 2 Paris refait à neuf, c’est le spectacle le plus populaire de Sondheim qui sera présenté, A Funny Thing Happened on the Way to the Forum.
Imaginez un esclave fainéant et facétieux, ses maîtres, des courses poursuites loufoques, une histoire d’amour improbable, de nombreux quiproquos… Impossible de ne pas rire aux éclats et de ne pas fredonner les airs de ce vaudeville musical.
Notre avis : Après le Châtelet, Jean-Luc Choplin continue – et nous l’en remercions –, dans un Lido 2 Paris tout juste rénové, de programmer des premières françaises en version originale d’œuvres de Stephen Sondheim. Il déclarait récemment au micro de Laurent Valière que la salle des Champs-Élysées, avec ses tables de cabaret au plus près de la scène, permet mieux qu’un théâtre traditionnel d’offrir au public une expérience immersive et de lui faire goûter dans les meilleures conditions à toute la loufoquerie de A Funny Thing Happened on the Way to the Forum. Luxueuse également la présence de dix-huit musiciens, sous la baguette de Gareth Valentine (42nd Street au Châtelet l’hiver dernier), qui font sonner les notes de Sondheim avec classe, éclat, swing et nuances. Dès le prologue, impossible de se tromper : on est transporté à Broadway ; dès les premières notes, on reconnaît immanquablement et avec un immense plaisir les harmonies et rythmes qui marqueront les partitions postérieures de Sondheim. De même, dans cette œuvre des débuts, brillent déjà des paroles ciselées, une finesse dans les jeux de mots et dans la progression des couplets.
Le livret de Burt Shevelove et Larry Gelbart, plus foutraque sans être non plus incompréhensible (voir notre article), convainc moins. Si certains éléments de l’intrigue ne sont pas sans rappeler Molière pour la ruse des domestiques et la lubricité des barbons, ou le théâtre de boulevard pour les quiproquos, les portes qui claquent et les infidélités conjugales – et pour cause, tout remonte à Plaute, 200 ans avant notre ère ! –, l’essentiel de la pièce tient dans une extravagance outrée et une collection de situations vaudevillesques.
Forte des intentions, souvent graveleuses, des auteurs, la mise en scène en rajoute en jouant, par exemple, sur l’ambiguïté sexuelle des personnages masculins : un jeune premier parfois plus efféminé que simplement naïf, un capitaine immodestement viril qui se déhanche comme une star de mode, des soldats romains qui s’amusent entre eux… Pas toujours à bon escient, nous semble-t-il : sous prétexte de multiplier les occasions de rire, ces scories diluent le ressort comique. Peut-être est-ce une façon pour le metteur en scène de compenser une maîtrise incertaine de la langue anglaise d’une bonne partie du public : malgré la présence de surtitres – difficilement capables de rendre justice à l’orfèvrerie de Sondheim –, un texte entendu mais mal compris reste moins immédiatement drôle qu’une bonne pantomime un peu grasse. De même, quelques moments de répit nous ont manqué pour pouvoir mieux apprécier les envolées hystériques et les folies irrépressibles ; dans cette atmosphère toujours à la limite de la saturation, les gags qui se chevauchent n’ont pas le temps d’exister. Ces réserves mises à part, on rit énormément, souvent très fort, tout au long de la soirée.
La scénographie, lisible et élégante dans les trois maisons cylindriques qui trônent sur scène, bascule, en seconde partie, le temps de la reprise de « Lovely », dans une incroyable féerie que ne renierait pas l’ancien Lido.
L’ensemble des artistes n’appelle que des éloges. Chacun·e se glisse avec bonheur dans la toge qui lui a été assignée. Les voix sont parfaitement calibrées sur les caractères des personnages. L’énergie qui emporte les scènes d’ensemble est palpable, furieusement communicative.
Il était temps que la France découvre A Funny Thing Happened on the Way to the Forum en version originale (même si on ne doute pas que l’adaptation française, Sur le chemin du forum, présentée en 1964 au Théâtre du Palais-Royal dans une mise en scène d’Yves Robert avec Pierre Mondy en Pseudolus et Jean Lefebvre en Hystérium, ait valu le déplacement). La musique et les mots de Sondheim s’imposent magnifiquement, comme toujours ; la désopilance en plus, et le somptueux cadre du Lido 2 Paris.