Les fans des Monty Python attendaient depuis le mois de mai le transfert de cette reprise tant appréciée qui avait tenu l’affiche pendant deux semaines au Kennedy Center à Washington, D.C. Ils ne vont pas être déçus : cette comédie musicale exubérante créée en 2005 reprend le narratif du film célèbre sorti en 1975 en y ajoutant des éléments issus de l’émission télévisée Monty Python’s Flying Circus et des chansons écrites par Eric Idle, auteur du livret et des paroles, et John DuPrez, créateur de la musique et compositeur attitré dans les films du groupe, dans une production éclatante de joie, de bon esprit et de couleurs sous la direction experte de Josh Rhodes, également responsable de la chorégraphie.
Il faut bien sûr connaître et apprécier le style un peu déjanté des Monty Python, mais ce n’est là qu’un détail, car dès le lever du rideau sur un docte professeur parlant de l’Angleterre médiévale et de la légende du roi Arthur avant d’être remplacé par des danseurs et chanteurs clamant les mérites de la Finlande (ils se sont trompés de pays), il n’en faut pas plus pour se laisser prendre au jeu et comprendre que le ton de la soirée sera le même de bout en bout – délirant, hors norme, marrant quoi ! Le spectacle idéal pour passer une bonne soirée au théâtre.
L’histoire en est fort simple et bien connue : le roi Arthur à qui la Dame du Lac a décerné Excalibur, une épée magique, qui marque son autorité sur les gens autour de lui (« D’étranges femmes qui gisent au fond d’une mare et distribuent des épées à tout venant, ce n’est pas là une marque d’autorité », lui déclare un paysan) cherche à recruter les chevaliers qui siégeront avec lui autour de la Table ronde à Camelot et, quand Dieu lui ordonne de retrouver le Saint Graal, l’aideront dans ses recherches.
La comédie musicale repose essentiellement sur le scénario du film avec des scènes qui sont devenues familières – les noix de coco servant à imiter le galop des chevaux ; la visite à plusieurs châteaux, dont l’un habité par Guy de Lombard, « le bâtard français », et un autre par le fils homo d’un noble qui ne veut pas qu’il chante ; les moines bêlant « Jesus Christus Domine » tout en se frappant le front avec leurs missels ; les chevaliers qui disent « Ni » ; le redoutable Chevalier noir ; Tim l’Enchanteur; et autant d’autres personnages déjà connus avant même qu’ils n’entrent en scène. Les révisions apportées par Eric Idle permettent au spectacle de se montrer à la hauteur du film, en y ajoutant quelques éléments différents mais toujours dans le même esprit déluré.
C’est ainsi qu’Arthur se rend compte que pour mieux réussir dans la mission que Dieu lui a confiée, il lui faut trouver un Juif qui puisse le conseiller, il porte son dévolu sur un violoniste perché sur un toit et qui joue une hora sur laquelle les preux chevaliers vont pouvoir danser (pour cette présentation, le Saint Graal est caché sous le fauteuil d’orchestre C101, ce qui vaut au spectateur ou à la spectatrice qui l’occupe de monter sur scène pour recevoir les remerciements d’Arthur en personne). Tandis que le brave Sir Robin continue d’être aussi peureux que dans le film, Sir Lancelot se découvre soudain des tendances homosexuelles, un changement d’attitude très contemporain et qui se traduit par un grand et entraînant numéro de claquettes aux couleurs LGBTQ+.
À cela s’ajoute les chansons créées par Idle et DuPrez qui collent à l’action et dont certaines passent agréablement avant de s’effacer tandis que d’autres servent d’excuse pour des moments musicaux qui permettent à une large distribution de danseurs et de chanteurs, souvent habillés dans des costumes colorés et seyants dus à Jen Caprio, de s’extasier et d’étinceler sous les éclairages lumineux de Cory Pattak, et dans les multiples décors chatoyants (y compris « une forêt sombre et très coûteuse ») imaginés par Paul Tate dePoo III, le tout sur un ton enjoué et délibérément extravagant.
Leslie Rodriguez Kritzer, déjà remarquée dans la récente production de Beetlejuice, est sensationnelle sous les traits de la Dame du Lac, un rôle qui lui permet de briser le mur du son à plusieurs reprises et notamment dans deux airs, « Diva’s Lament » dans le deuxième acte où elle se demande pourquoi elle n’est pas en scène plus fréquemment, et dans « Come with Me », un duo avec James Monroe Iglehart, récent transfuge du Génie dans Aladdin, en pleine possession de ses moyens vocaux et artistiques dans le rôle d’Arthur.
Dans le reste de la distribution, Taran Killam et Michael Urie se distinguent respectivement dans les rôles de Sir Lancelot et de Sir Robin (« qui‑n’est-pas-aussi-brave-que-Sir-Lancelot »), avec Nik Walker excellent job sous les traits de Sir Galahad, et Christopher Fitzgerald très amusant dans le rôle de Patsy, le servant d’Arthur.
Même si c’est du déjà-vu, Spamalot n’a rien perdu de sa fraîcheur et de son allant. Cette reprise devrait pouvoir rester à l’affiche pendant des mois… et qui sait, peut-être même quelques années.