Dans un royaume lointain, gouverné par le vieil Arkel, le prince Golaud rencontre une mystérieuse jeune fille dans les bois, Mélisande, qu’il épouse. Il la présente à son frère, Pelléas, et tous deux tombent amoureux…
Notre avis : Quelle excellente idée de présenter une version piano du chef-d’œuvre de Debussy et Maeterlinck ! Dans l’écrin de l’Athénée, toute la dimension du « drame lyrique », du théâtre en musique, prend son sens. S’il manque inévitablement la texture et la palette des couleurs de l’orchestre, les harmonies et les nuances du compositeur – qui a écrit cette partition originelle lorsqu’il est tombé sous l’emprise de la pièce de théâtre – ne sont en rien altérées. On oserait même dire que, nonobstant la délicatesse du pianiste, le martèlement incessant des cordes du piano insuffle un supplément d’angoisse. L’instrument lui-même est disposé dans toute sa longueur sur la scène et sa présence – et même celle du musicien – est régulièrement intégrée à l’action, notamment dans une scène de la tour particulièrement sensuelle.
Moshe Leiser et Patrice Caurier ne s’embarrassent pas d’une scénographie compliquée ni de décors séduisants – n’aurait-on cependant pas pu peindre ou habiller le contreplaqué qui fait office de fond de scène, et également choisir un modèle de porte plus élégant ? – pour se concentrer sur la direction d’acteurs, la symbolique de la pièce au sujet intemporel. Donc, visuellement, ni forêt ni parc ni fontaine ni grotte… mais un intérieur neutre vaguement bourgeois où se noue l’intrigue, et qui prend des allures de salon de musique lorsque le roi vieillissant se retrouve seul, comme bercé, face au piano. En plus de la torride scène de la tour déjà mentionnée, d’autres images marquent les esprits : Arkel qui cède son fauteuil roulant à Golaud blessé après une chute de cheval puis à une Mélisande moribonde et dépressive ; la gifle de Geneviève à son fils qui vient de violenter sa femme. Le canapé qui illustre assez efficacement un promontoire dans la grotte où se sont réfugiés Pelléas et Mélisande est, en revanche, bizarrement utilisé lorsque les deux demi-frères parcourent les souterrains du château…
Tous les chanteurs rendent justice au texte grâce à une excellente prononciation et une évidence du mot. Jean-Christophe Lanièce et Marthe Davost s’approprient avec beaucoup de justesse les rôles-titres : elle grâce à une voix lumineuse et une sincérité dans le jeu qui fait de Mélisande un personnage mystérieux voire ambigu ; lui par une solidité vocale dans une écriture qui sollicite à la fois les tessitures de baryton et de ténor et par un naturel dans le mouvement qui traduit la naïveté de Pelléas. Halidou Nombre parvient à rendre son Golaud menaçant par un confortable volume sonore, son gabarit et ses attitudes mais on reste perplexe devant une voix pourtant jeune qui montre à plusieurs reprises un vibrato chaotique et des détimbrages déplaisants. En adolescent le casque vissé aux oreilles, Cécile Madelin campe avec beaucoup de réalisme un Yniold rebelle mais terrifié par son père. La voix sonore et claire de Cyril Costanzo, physiquement bien plus jeune que son personnage d’aïeul et que les habitués du rôle, transmet avec bonheur la bonté et la bienveillance d’Arkel. Enfin, Marie-Laure Garnier (révélation artiste lyrique des Victoires de la musique classique en 2021), dans le trop bref rôle de Geneviève, imprime une présence magnétique, depuis une saisissante lecture de la lettre jusqu’aux scènes où, muette, sa dignité et ses regards en disent long sur cette mère tiraillée entre ses deux fils. Au piano, Martin Surot suscite admiration et respect tant il fait de la partition dense et ciselée de Debussy un élément tangible du drame.
Pour les fanatiques d’opéra, ce spectacle offre le plaisir d’une version intimiste qui accentue le symbolisme de l’œuvre. Celles et ceux qui sont moins familiers du monde lyrique mais curieux d’un théâtre musical de qualité seront cueillis par la puissance de la musique et la tension du livret. Dans tous les cas, la proximité à la scène qu’offre le Théâtre de l’Athénée se révèle un atout absolu pour (re)découvrir cette pierre angulaire du répertoire.